Il y avait une petite taverne au rez-de-chaussée, dont l’entrée était surmontée d’une ampoule électrique ; je constatai qu’en effet la porte était toujours ouverte. Nous nous mîmes à courir de nouveau. Juste avant d’arriver, ma mère me prit par le bras et nous nous glissâmes furtivement dans la maison, tels deux voleurs. Elle monta les escaliers au galop, ne faisant une pause qu’un instant au deuxième étage pour reprendre haleine. Plus on habite haut, moins le loyer est cher ; nous habitions au quatrième, parce qu’il n’y avait pas de cinquième.
Ma mère s’arrêta en haut des escaliers.
– Je vais faire mes affaires tout de suite, dit-elle. Attends-moi, puis tu feras les tiennes.
Les seuls cabinets de ce palier servaient à toute famille. Je n’avais pas été gâté sous ce rapport chez la tante Rosika, mais il n’y avait pourtant pas de comparaison avec ici. Au village, la planche était récurée au moins une fois par semaine, par la servante ou par moi ; mais ici, aucune main n’avait jamais touché à cette épaisse litière d’ordures amoncelées. Les cabinets donnaient sur la cour, l’eau était gelée, il n’y avait ni papier ni lumière.
Pendant ce temps, ma mère était entrée dans notre logement. Il y en avait douze sur ce palier ; en sortant des lieux d’aisances, je ne pus retrouver le nôtre dans le noir. La maison avait l’air encore plus bizarre vue de l’intérieur. On aurait dit que l’immense brique était creuse. Les logements donnaient tous sur l’espace libre dans le milieu. Ils étaient minuscules : une porte et une fenêtre ; ou, pour les prodigues, une porte et deux fenêtres. Le bâtiment était cinq fois plus profond que large ; aussi, deux des logements sur douze s’ouvraient-ils sur la rue, tandis que les deux autres dominaient une courette étroite et lugubre. À l’extérieur de ceux-ci, passait une galerie à ciel ouvert où s’entassait une épaisse couche de neige; je glissais sans cesse et je ne savais pas où j’étais. Je finis par rappeler ma mère.
Elle parut à l’une des portes.
– Assez braillé ! hurla-t-elle, tu veux déranger Monsieur le gardien ?
Sa voix était indignée, mais lorsque je m’approchais, elle cligna de l’œil pour me montrer que ses reproches était destinés aux oreilles du concierge. Elle ajouta en un murmure étrange et embarrassé :
– Entre, mon fils. Soit le bienvenu et que Dieu te bénisse.
Ceci se passait le 31 décembre 1927 ; au couvre-feu de dix heures, trois mois et demi avant mon quinzième anniversaire. Pour la première fois de ma vie, je me trouvais au « foyer familial », ainsi que certains se plaisent à le nommer.
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L’enfant du Danube- Janos Székely – Page 189