La promesse de l’aube – Romain Gary

Trois fois par semaine, ma mère me prenait par la main et me conduisait au manège du lieutenant Sverdlovski où j’étais initié par le lieutenant lui-même aux mystères de l’équitation, de l’escrime et du tir au pistolet. Le lieutenant était un homme grand et sec, d’aspect jeune, au visage osseux, armé d’une immense moustache blanche à la Lyautey. À huit ans, j’étais certainement son plus jeune élève et j’avais la plus grande peine à soulever l’immense pistolet qu’il me tendait. Après une demi-heure de fleuret, une demi-heure de tir, une demi-heure de cheval – gymnastique et exercices respiratoires. Ma mère restait assise dans un coin, fumant une cigarette, observant mes progrès avec satisfaction.

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La promesse de l’aube – Romain Gary

L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage – Haruki Murakami

 

Difficile parfois de comprendre les agissements de Tsukuru Tazaki (l’incolore du titre). Au lycée il était très ami avec 4 personnes, deux garçons et deux filles (leur nom contient chacun une couleur – Akamatsu – pin rouge -, Ômi – lac ou mer bleue, Shirane – racine blanche – et Kurono – champ ou prairie noire)  et celui de Tsukuru Tazaki n’en contient pas  d’où le début du titre « incolore »

Au début, ce jeune homme m’a paru bien insipide (histoire de ne pas dire incolore) : Il se fait rejeter par ses amis et ne demande aucune explication…étrange… Le début m’a un peu pesé (les idées de suicide qu’il rumine me rappelait trop la ballade de l’impossible) et puis Tsukuru se remet à vivre (quand il parle de sa passion la construction de gares il peut devenir réellement intéressant et convaincant)

A l’université, il rencontre un jeune homme (dont le prénom signifie « Marais gris », ami avec lequel il écoute Litz et les années de pèlerinage. Ce jeune homme disparait mystérieusement de sa vie…Tsukuru se croit alors incapable de se faire des amis et se consacre à sa seule profession.

Plus tard, il rencontre une jeune femme, Sara, qui l’incite à chercher une explication au rejet à la fin du lycée de ses 4 amis…commence alors la réelle année de pèlerinage de Tsuruku qui le mènera dans un périple au Japon puis en Finlande…

Bien que jeune (36 ans), Tsukuru utilise très peu Internet et n’a jamais eu l’idée de rechercher ses anciens amis…

Ce roman a commencé à m’intéresser une fois que la jeune femme entre dans sa vie et le convainc de rechercher ses anciens amis… Les rencontres successives montrent bien l’évolution que chacun prend après la fin du lycée…

J’ai beaucoup aimé aussi l’explication des prénoms japonais (étant moins même une jument verte aux yeux légèrement bridés)

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Quelques extraits

Nous vivons dans une époque d’indifférence totale et, pourtant, nous sommes cernés par une énorme quantité d’informations, très faciles à obtenir, sur tout un chacun. Et en réalité nous ne savons presque rien sur les autres.

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Tsukuru était surtout impressionné par l’innombrable quantité d’humains qui peuplaient cette planète. Il lui semblait tout aussi miraculeux que, dans ce monde, circulent un si grand nombre de trains. Que tant de gens dans tant de wagons soient ainsi transportés aussi méthodiquement. Que tant de gens viennent de quelque part et se rendent autre part.

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Il se peut que je sois un homme vide de contenu,
pensait Tsukuru. Il y a néanmoins des gens qui m’approchent, au moins temporairement. Comme des oiseaux de nuit solitaires en quête d’un lieu sûr et désert, sous les toits, où ils pourront se reposer durant la journée. Ces oiseaux- là se sentent bien dans un espace vide, peu éclairé, très silencieux. Tsukuru devait donc peut-être se réjouir de son vide.

 

 

Livre recommandé par Soène et qui rentre parfaitement dans le challenge lire sous la contrainte de Philippe avec la contrainte « apostrophe »

 

Chez Loupiot et chez son ami Tom, de La Voix du Livre et aussi ici

Vacamphres – Dictionnaire des orpherimes

Vacamphres : Néologisme du XXème Siècle : de vacances (congés) et de camphre (le camphre étant un produit anti-mite mais peu efficace de nos jours) : synonyme de « vacances miteuses » voire « calamiteuses » selon certaines sources.
Rime avec : Camphre –  Trafiquamphre – Bulamphre – aide de camphre –  
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Je courus vers la mer, m’y enfonçai en gémissant sur les vacances que nous aurions pu avoir, que nous n’aurions pas. Nous avions tous les éléments d’un drame : un séducteur, une demi-mondaine et une femme de tête. J’aperçus au fond de la mer un ravissant coquillage, une pierre rose et bleu ; je plongeai pour la prendre, la gardai toute douce et usée dans la main jusqu’au déjeuner. Je décidai que c’était un porte-bonheur, que je ne la quitterais pas de l’été. Je ne sais pas pourquoi je ne l’ai pas perdue, comme je perds tout. Elle est dans ma main aujourd’hui, rose et tiède, elle me donne envie de pleurer. De vacances, nous nous passerions, vacances mortelles d’ennui , vacamphres cependant inoubliables, comme ce ravissant coquillage.

Françoise Sagan – Bonjour tristesse – 1954

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La plage était à dix minutes de là, mais ce matin-là la chaleur était telle, qu’elles seraient peut-être restées à l’hôtel. Elles s’en allèrent toutes les trois. Le chemin brûlait les orteils à travers les sandales pieds-nus, elles marchaient vite. Il y avait sur la plage, très exactement, tous les estivants de l’endroit, une trentaine de personnes environ (…).

Il n’y avait rien à faire, ici, les livres fondaient dans les mains. Et les histoires tombaient en pièces sous les coups sombres et silencieux des frelons à l’affût. Oui, la chaleur lacérait le cœur. Et seule lui résistait, entière, vierge, l’envie de la mer pour oublier le poids de ces vacamphres.

Marguerite Duras – Les petits chevaux de Tarquinia – 1953

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Puisque c’était cela, fonder une famille; devenir reine et esclave à la fois; avoir constamment le souci des autres, adultes comme enfants (…); mettre son corps au service du bon fonctionnement de la machine familiale, pieuvre dévorante dans laquelle toute la personne de M.A. s’était fait avaler, toute sa personne manipulée par les tentacules de la bête, qui tour à tour demandait un biberon, un conseil, où est passé le puzzle, as-tu pensé à la location de la maison de vacamphres et qu’est-ce qu’on mange ce soir ma chérie.

Sophie Divry – La condition pavillonnaire – 2014

 

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Dictionnaire des orpherimes : On soulevait ici l’autre jour, et ici précédemment, la grave question des mots sans rime, belge, bulbe, camphre, clephte, dogme, goinfre, humble, meurtre, monstre, muscle, pauvre, quatorze, quinze, sanve, sarcle, sépulcre, simple, tertre et verste. Ce petit dictionnaire donnera chaque jour la définition d’un des mots nouveaux proposés, puisqu’il est bon que chaque mot ait un sens afin que chacun comprenne en l’entendant la même chose que ce qu’à voulu dire son interlocuteur. Quant aux citations, s’agissant d’illustrer des néologismes, le lecteur comprendra qu’il a été nécessaire d’améliorer nos sources.  à suivre, avec l’aide des collaborateurs bénévolontaires.

Merci à Jobougon pour son commentaire ici qui a permis à « vacamphres » d’éclore.

Amours – Léonor de Récondo.

Les chevaux sont beaux, sellés, brossés, les muscles fringants, les naseaux fumants. Les chiens courent dans tous les sens. Les deux hommes, le fusil à l’épaule, quittent le domaine, suivis de la meute. Ils trottent le long du Cher avant de s’enfoncer dans le bois. La brume qui recouvre tout le paysage leur laisse peu d’espoir d’abattre une bête. Mais ils sont là pour d’autres raisons. Anselme pour chevaucher près de Pierre, pour avoir l’occasion de lui parler, avec l’espoir, malgré l’infirmité de son compagnon, d’être compris. Et Pierre pour l’excitation qu’éprouve son épiderme à être à cheval à l’aube. Une excitation qui le projette en pleine guerre. Ce conflit qu’il hait au plus profond de lui-même, qui lui a fait croiser la mort à chaque instant, qui l’a forcé à toutes les humiliations, les subordinations, et qui, pourtant, l’a aussi lié à d’autres, à ces hommes avec qui il a ressenti des émotions collectives intenses, à jamais gravées dans la mémoire de son corps, comme celle de la peur avant l’assaut, comme celle de la joie à se retrouver vivants ensemble, à rire aux éclats, à danser, à hurler qu’on lui a fait un beau pied de nez, à la mort, qu’elle ne nous a pas eus, pas cette fois-ci en tout cas.

La guerre rapproche terriblement. C’est là qu’on se dit des choses qu’on ne se dirait jamais en temps de paix, de ces secrets qui ne se dévoilent pas –  comme l’a fait le père d’Anselme près d’un feu de camp, lors d’une soûlerie méticuleuse qui vous laisse les boyaux retournés et l’âme déchirée.

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Amours – Léonor de Récondo.

La grâce des brigands – Véronique Ovaldé

Lecture commune avec Edualc

Voici un livre où la quatrième de couverture est trompeuse : Maria Cristina, la trentaine, reçoit un coup de fil de sa mère à qui elle n’a pas parlé depuis 15 ans. Elle s’est enfuie à 16 ans de Lapérouse, petite commune du Canada pour aller étudier à Los Angeles dans les années 70. De suite, Maria Christina part dans le Nord pour apprendre que sa mère veut lui confier l’enfant de sa sœur Meena. Par conséquent, je m’attendais à la rencontre entre Maria Cristina et ce petit garçon mais la rencontre se fera dans la toute fin du livre…

Le propos de l’auteur n’est pas cette rencontre mais de retracer tout le parcours de Maria Cristina, son enfance dans un pays froid et hostile dans une famille qui la maltraite (physiquement et surtout psychologiquement). J’ai beaucoup aimé le ton de l’auteur, les allers-retours dans le passé et le présent de Maria Cristina et comment elle arrive à surmonter son enfance difficile, sa culpabilité de « vilaine sœur », sa recherche d’une figure paternelle en son mentor et amant Claramunt, ses relations avec son amie Joanne…et surtout sa capacité de résilience…

Les relations malsaines avec sa famille sont bien évoquées, sa mère est bigote, raciste et obtuse, son père a baissé les bras très tôt :

On n’avait d’ailleurs pas le droit de prononcer le mot « amour » dans la maison si ce n’était pour évoquer celui de Notre Seigneur. Si l’amour n’était pas spirituel, il n’était qu’un échange de liquides plus ou moins malodorants, une confusion des sens ou une perte de discernement.

 

Les personnages secondaires sont savoureux (je citerais notamment Jean Luc Godard, le chat, et Judy Garland, le taxi-dealer et néanmoins ami de Claramunt).

Je me suis beaucoup reconnue dans cette vision des gens de Maria Cristina, pendant longtemps je me suis crue « éponge », Maria Christina c’est un peu ma grande sœur (la maltraitance physique en moins mais la famille asphyxiante de ma jeunesse est bien là.

Maria Cristina ferme les yeux. Elle ne sait pas si être poreuse à d’autres vies que la sienne est une fatalité ou une richesse. Ou si tout cela n’est pas simplement un exercice d’à priori – la divertissante estimation de ses contemporains d’après leur allure, leur fantôme de sourire ou leurs oripeaux n’est peut-être pas une habitude si reluisante. Quand elle était petite fille, elle se sentait engloutie par les émotions des gens.

 

En bref, un roman savoureux que je trouve un peu desservi par cette quatrième qui en dit trop…

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Un extrait (p 262)

Ils entrent dans l’appartement, Jean-Luc saute du banc pour venir les accueillir ou s’assurer qu’il s’agit bien de quelqu’un qui va le nourrir. Quand il reconnaît Maria Cristina il lui tourne le dos et il part faire la gueule dans la salle de bain.

Maria Cristina demande à Garland et à Peeleete de s’installer pendant qu’elle aère. On a l’impression d’être dans la gueule d’un alligator. Ça sent la vieille eau et la viande putréfiée. Peeleete est subjugué par la piscine qu’on voit depuis le salon.

– Tu es riche, dit-il.

Quand il comprend qui est Peeleete, Garland dit à Maria Cristina :

– En fait tu as enlevé cet enfant.

Elle se récrie :

– C’est absolument faux. Sa grand-mère me l’a confié.

– Mais sa grand-mère n’a pas le droit de te le confier. Sa mère ou son père oui.

Et comme il s’aperçoit que cette remarque la fait paniquer il modère la chose :

– Considère que c’est temporaire. Dans ce cas-là, ce n’est plus vraiment un enlèvement. Ce sont des vacances.

Maria Cristina regarde Garland en plissant les yeux comme si elle le regardait de très loin et tentait d’ajuster le peu qu’elle connaît de lui à ce qu’il lui donne à voir, elle a tout à coup envie d’en savoir beaucoup plus sur lui, quel genre de type il est et aussi quel genre d’endroit il habite, il y a des années qu’elle l’a rencontré et tout comme Claramunt, elle n’est jamais allée jusqu’à son domicile, c’est un fait, c’est inscrit, Garland est l’homme qui se déplace. En réalité rien de tout cela n’est vraiment décidé, elle serait bien en peine de justifier son intérêt soudain pour la vie de Garland, ce n’est pas rationnel, c’est simplement qu’il ferait une meilleure mère qu’elle, parce que les mères sont inquiètes quand vous n’êtes pas là et qu’elles ont des trésors de patience, elles attendent toute la nuit que vous reveniez et ne s’assoupissent que lorsque que vous avez enfin tiré le verrou derrière vous. Elle lui sert une bière. Et elle se concocte une margarita. Elle se rend compte qu’elle est soulagée qu’il ait été là pour les accueillir. Elle ne veut pas écouter son répondeur qui clignote à la vitesse de la lumière sur la console, elle ne veut pas prendre une douche et se délasser du voyage, elle veut garder ce voyage en elle, que sa propre maison fasse partie du voyage, elle veut pouvoir dire à Peeleete, Allez enfourchons nos fidèles destriers, et qu’ils repartent et traversent de nouveaux territoires, leur mule attachée derrière eux, et leur carabine Springfield sur l’épaule.

 

 

 

 

Trafiquamphre – Dictionnaire des orpherimes

Trafiquamphre

N.m et n.f : nom à l’origine inconnue – de traficant et de camphre – camphre étant un produit anti-mites. Le quamphre très différent est un produit anti-mythes. Un trafiquamphre est donc un trafiquant qui cherche à repousser les mythes.

Rime avec : Camphre – Bulamphre aide de camphre – 

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Alors je grattai l’allumette qui s’enflamma en crépitant. Je la levai en l’air et vis les dos livides des Morlocks qui s’enfuyaient parmi les troncs. Je pris en hâte un morceau de quamphre qu’ils avaient apporté et me tins prêt à l’enflammer dès que l’allumette serait sur le point de s’éteindre. Puis j’examinai Weena. Elle était étendue, étreignant mes jambes, inanimée et la face contre le sol. Pris d’une terreur soudaine, je me penchai vers elle. Elle respirait à peine ; j’allumai le morceau de quamphre et le posai à terre ; tandis qu’il éclatait et flambait, éloignant les trafiquamphres et les ténèbres, je m’agenouillai et soulevai Weena.

La machine à explorer le temps – 1895 –  HG Wells

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Un jour, il a une illumination. Tous, tous les voyageurs qui ont défilé chez lui, les menteurs, les bavards, les vantards, les hâbleurs, et même les plus taciturnes, tous ont employé un mot immense qui donne toute sa grandeur à leurs récits. Ceux qui en disent trop comme ceux qui n’en disent pas assez, les fanfarons, les peureux, les chasseurs, les outlaws, les trafiquamphres, les colons, les trappeurs, tous, tous, tous parlent de l’Ouest, ne parlent en somme que de l’Ouest.

L’or – 1925 -Blaise Cendrars

 

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Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu R’lyeh wgah’nagl fhtagn.

Legrasse avait un point d’avance sur le Pr Webb, car plusieurs de ses prisonniers lui avaient révélé le sens de ces paroles qui peuvent se traduire comme suit :

Dans sa demeure de R’lyeh la morte, Cthulhu attend en rêvant.

La version complète étant :

Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu el Tr’ph’camphr eR’lyeh wgah’nagl fhtagn.

Dans sa demeure de R’lyeh la morte, Cthulhu le trafiquamphre attend en rêvant.

Lovecraft – 1928 – le mythe de Cthulhu

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Dictionnaire des orpherimes : On soulevait ici l’autre jour, et ici précédemment, la grave question des mots sans rime, belge, bulbe, camphre, clephte, dogme, goinfre, humble, meurtre, monstre, muscle, pauvre, quatorze, quinze, sanve, sarcle, sépulcre, simple, tertre et verste. Ce petit dictionnaire donnera chaque jour la définition d’un des mots nouveaux proposés, puisqu’il est bon que chaque mot ait un sens afin que chacun comprenne en l’entendant la même chose que ce qu’à voulu dire son interlocuteur. Quant aux citations, s’agissant d’illustrer des néologismes, le lecteur comprendra qu’il a été nécessaire d’améliorer nos sources. * à suivre, avec l’aide des collaborateurs bénévolontaires.

Gatsby le magnifique – F. Scott Fitzgerald

Sur l’autre rive de notre aimable baie, les façades blanches des palais d’East Egg, l’œuf «le plus huppé », scintillaient en bordure de mer. Et l’histoire de cet été-là commence un certain soir où je m’y suis rendu en voiture, invité à dîner par les Buchanan. Daisy était ma cousine germaine et j’avais connu Tom à l’université. Au retour de la guerre, j’avais passé deux jours avec eux à Chicago.

Entre autres exploits physiques, le mari de Daisy avait été l’un des ailiers les plus athlétiques que Yale ait compté dans une équipe de football – un héros national en quelque sorte, l’un de ces garçons qui atteignent, à vingt et un ans, un tel niveau de réussite que tout ce qu’ils font par la suite a un arrière-goût d’échec. Sa famille était fabuleusement riche – à l’université déjà, on lui en voulait d’avoir tant d’argent – et depuis qu’il avait quitté Chicago  pour la côte Est, il vivait sur un pied à couper le souffle. Exemple,  il avait fait venir de Lake Forest une écurie de poneys dressés pour le polo. Difficile de croire qu’un homme de ma génération ait les moyens de s’offrir ça !

Pourquoi la côte Est, je l’ignorais. Après un an passé en France, sans raison précise, ils avaient erré d’un endroit à l’autre, partout où les gens peuvent être riches ensemble et jouer au polo.

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Gatsby le magnifique – F. Scott Fitzgerald

Epices au café Verlaine

J’avais donné rendez-vous à Lharissa au café Verlaine à Coupiac. Elle aurait sans nul doute accepté de me rencontrer ailleurs mais elle donnait ce jour-là un concert et j’éprouvais un besoin urgent de la voir, de l’entendre, de la sentir.

Le bistrotier leur prêtait la salle, ravi de voir son café à l’ombre de la citadelle se remplir à nouveau de rythme entrainant ; il répétait depuis le matin en boucle : « de la musique avant toute chose et pour cela préfère l’impair »

Le concert était expérimental, le groupe de Lharrissa avait voulu faire une analogie avec le Pianocktail de Vian mais au lieu d’alcools ils avaient choisi des instruments mixant chacun des épices. Lharissa, piquante liane aux cils sombres et peau cannelle,  naviguait en chaloupant entre les musiciens de son quatuorze : Gillou avec son accordéonze, Jamel D. avec son didgerodooze, et Charles XV avec son vilebrequinze…je ne connaissais pas les autres membres du groupe qui allaient et venaient en fonction de leurs disponibilités.

Assise telle Blanche-Neige au milieu de ses nains, Lharissa cala son djembé entre ses jambes longilignes et commença à tapoter sur son instrument. Là, il me faut faire une pause, pour expliquer, à mon attentif public ce qu’est un Djembé. Pour cela je nommerai mon ami Caetano (appelé ainsi en hommage au Veloso du même prénom) qui du haut de ses trois ans m’avait dit – fronçant les sourcils sur le fait que les adultes ne connaissent rien à rien – un djembé c’est un petit atabaque, et un atabaque qu’est-ce que c’est ? avais-je dit, curieux !  C’est un grand djembé sourcils refroncés – fin de la parenthèse.

La forme évasée du fût du djembé viendrait de celle du mortier à piler le grain, par conséquent le djembépices de Lharrissa représentait un retour aux sources à la culture africaine, mêlant métisses et épices, je ne pouvais rêver meilleur mélange.

Les tuyaux que Lharissa avait greffé sur son djembé était aussi discrets que peuvent l’être cinq tuyaux de diamètre 7 mm: elle m’avait dit : des tuyaux de 7 pour un cinq épices, c’est le rapport idéal : 7 comme les sept notes  de musique, les couleurs de l’arc en ciel, les jours de la semaine et les merveilles du monde….., je buvais, il faut le dire ses paroles. J’étais le modeste ingénieur qui avait installé un moulin à café dans le djembé qui recrachait par le devant une mixture écrasée du plus beau vert, musiques saccadées et  parfums enivrants.

Le morceau qu’elle jouait n’aurait pas déplu à Verlaine et Rimbaud pour leurs belles couleurs vert, camaïeu qui pouvait s’harmoniser avec un verre d’absinthe : l’échalote (la verte pas la violette), le curry vert thaï, l’anis, le matcha, la cardamome…

De ce concert je me rappelerai longtemps, gardant sur les lèvres le doux baiser de Lharissa qui me dirait plus tard « souviens toi du cinq à sept avec Lharissa au café Musique-Verlaine de Coupiac – Aveyron »

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Participation en canon aux agendas ironiques de septembre chez Frog  et octobre chez Carnets  

 

 

 

Ps : si j’y arrive un jour, quatuorze aura sa définition dans le dico des orpherimes (ce sera le clou de girofle de ce beau dico)

 

 

Hypothalamuscle – Hippothalamuscle : dictionnaire des orpherimes

Hypothalamuscle / Hippothalamuscle 

Sens 1 : Mot valise composé de Hypothalamus partie du cerveau (de hypo (en dessous) et thalamus (chambre, cavité))  et muscle. N.m. désignant l’action de muscler son cerveau avec des jeux de mémoire, de mots. En vogue à partir de l’explosion de la maladie d’Alzheimer en 1980

A ne pas confondre avec le sens 2 : Hippothalamuscle qui est littéralement un cheval (hippo) de mer (thalassa) musclé

Rime avec muscle, Erasmuscle, et les formes conjuguées du verbe s’émuscler

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L’œil humain n’a jamais été autant sollicité de toute son histoire : on avait calculé qu’entre sa naissance et l’âge de dix-huit ans, toute personne était exposée en moyenne à 350 000 publicités. Pas besoin de s’acheter des Nike ou des iphones pour se mettre à  l’hypothalamuscle.

Frédéric Beigbedder – 99 francs

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Les sortilèges, ça n’est guère intéressant. Il faut trois mois pour en retenir même un simple, et une fois qu’on s’en est servi, pouf ! y en a plus. C’est ce qui est tellement idiot dans ces histoires de magie, tu vois. Tu passes vingt ans à apprendre le sortilège qui fait apparaître des vierges nues dans ta chambre, et tu t’es tellement intoxiqué aux vapeurs de mercure et usé les yeux à lire de vieux grimoires que tu n’arrives pas à te rappeler ce qu’il faut en faire après. Et toutes les séances d’hypothalamuscle que l’on fait n’y change rien.

Terry Pratchett – Les annales du disque monde tome 1 

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Philippe : Hey, tu es poisson-clown, t’es un marrant alors ! Raconte-nous une blague.

Robert : Oui vas-y on t’écoute.

Marin : En fait c’est un préjugé absolument sans fondement. Les poissons-clowns ne sont pas particulièrement drôles. C’est comme si on disait que tous les requins ont de grandes dents, que tous les bars sont des loups ou que tous les hippothalamuscles ont de gros biscotos !

Le monde de Némo – Pixar

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Dictionnaire des orpherimes : On soulevait ici l’autre jour, et ici précédemment, la grave question des mots sans rime, belge, bulbe, camphre, clephte, dogme, goinfre, humble, meurtre, monstre, muscle, pauvre, quatorze, quinze, sanve, sarcle, sépulcre, simple, tertre et verste. Ce petit dictionnaire donnera chaque jour la définition d’un des mots nouveaux proposés, puisqu’il est bon que chaque mot ait un sens afin que chacun comprenne en l’entendant la même chose que ce qu’à voulu dire son interlocuteur. Quant aux citations, s’agissant d’illustrer des néologismes, le lecteur comprendra qu’il a été nécessaire d’améliorer nos sources. * à suivre, avec l’aide des collaborateurs bénévolontaires.

Paul Auster – Brooklyn follies

Il y a deux itinéraires possibles pour aller de New York à Burlington, Vermont : l’un rapide, l’autre plus long. Pendant les deux premiers tiers du trajet, nous avons choisi le rapide, un trajet qui comprenait des voies urbaines telles que  Flatbush Avenue, le BQE, Grand Central Parkway et la route 678. Après être passés dans le Bronx par le Whitestone Bridge, nous avons encore roulé vers le nord pendant plusieurs miles jusqu’à la I-95, qui nous a fait sortir de la ville, traverser l’est du comté de Westchester et entrer dans le Connecticut. A New Haven, nous avons pris la I-91, que nous n’avons plus quittée pendant la majeure partie du voyage, à travers ce qui restait du Connecticut et tout le Massachusetts, jusqu’à la frontière méridionale du Vermont. La façon la plus rapide d’arriver à Burlington eût été de continuer par la I-91 jusqu’à White Rider Junction et, arrivés là, de prendre vers l’ouest par la I-89 mais, alors que nous nous trouvions dans les faubourgs de Brattleboro, Tom a déclaré qu’il en avait marre des grands axes et préférait poursuivre par des routes de campagne plus étroites et moins encombrées. Et voilà comment nous avons abandonné l’itinéraire rapide en faveur du lent. Cela rallongerait le voyage d’une heure ou deux, nous dit-il, mais au moins nous aurions une chance de voir autre chose qu’une procession de voitures pressées et sans vie. Des bois, par exemple, et des fleurs sauvages au bord du chemin, sans parler des vaches et des chevaux, des fermes des pâturages, des pelouses municipales et de quelques visages humains ça et là.

 

 

Paul Auster – Brooklyn follies