Requins d’eau douce – Heinrich Steinfest

La victime, un homme très sportif, est retrouvé mort dans une piscine sur un toit-terrasse dans la ville de Vienne 🙂
Le meurtrier présumé est un requin:-) Il manque au cadavre une jambe et une main (non retrouvées dans la piscine).
L’enquête est confiée à l’inspecteur Lukastik. C’est la quatrième, qui raconte tout cela, qui m’a motivée à lire ce roman. Le fait est que j’avais adoré un autre livre d’Heinrich Steinfest (le poil de la bête).
Si vous aimez les livres avec beaucoup de rebondissements, de l’action, ce livre n’est pas fait pour vous : l’enquêteur est lent (ce n’est pas un défaut pour moi), l’histoire est racontée de son point de vue. Parfois pendant une page entière, l’auteur décrit tout ce qui passe par la tête de Lukastik avant de décrocher son téléphone. Les digressions sont nombreuses (philosophiques et musicologiques) et le lecteur voit quand l’inspecteur se fourvoie dans son enquête. le personnage n’en est que plus humain.
La fin ne m’a pas totalement convaincue mais j’ai tout de même passé un bon moment avec cet inspecteur qui sort des sentiers battus.

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Un extrait 

D’un geste du bras, le Dr Paul indiqua à Lukastik une chaise libre, tandis que de l’autre main il désignait le cadavre en disant :
– Il n’y a plus de doute. Cet homme a été tué par un requin.
Devant lui, alignés sur une plaque de verre posée sur un papier, se trouvaient plusieurs petits fragments. Il souleva l’un d’eux à l’aide d’une pincette, l’exposa à contre-jour et expliqua qu’il s’agissait d’un bel exemple de dent de requin.
– Et regardez ceci, dit-il en montrant un minuscule objet semblable à un caillou, qui luisait d’un éclat métallique. C’est une dent cutanée.
– Une dent cutanée ?
– Moi non plus, je ne connaissais pas, j’ai du faire un tour rapide sur Internet. Ça m’est toujours un peu désagréable.
– Qu’est-ce qui vous êtes désagréable ? D’aller sur Internet ?
Oui, fit Dr Paul. On a l’impression de tricher. Comme si on allait chercher son savoir dans une zone interdite. Comme si on braconnait sur le terrain de chasse des incultes et des anti-sportifs, de ceux qui, d’une pression de touche ou presque, font leurs courses au supermarché.
–Et donc, dans ce supermarché, vous êtes tombé sur des dents cutanées, en déduisit Lukastik.
– Des écailles placoïdes, précisa le Dr Paul, sur lesquelles reposent de belles petites dents en émail, d’une dureté incroyable. Un dispositif vraiment très pratique : atténue les frottements et protège comme une cotte de maille. Car le requin lui aussi n’est qu’une créature de chair, c’est-à-dire vulnérable. On a tendance à l’oublier quand on voit la bestiole. Les requins ne sont pas des insectes, ils n’ont pas leur robustesse : ils sont plutôt sensibles, craintifs, indolents. Mélancoliques. La plupart d’entre eux sont des vivipares, avec en plus une longue durée de gestation. Ça engendre forcément la mélancolie.
– Voilà qui n’est plus très scientifique, constata le policier.
– C’est vrai, je m’égare. Donc, j’ai trouvé dans le corps du mort les fragments de dents d’un requin, dents de la mâchoire et dents cutanées. La taille et la nature des blessures, sans oublier le fait que notre mort a eu la main et la jambe arrachée, semblent indiquer un poisson d’un certain volume. Cela dit, compte tenu de la faible profondeur du bassin, inutile de fantasmer sur une créature de cinéma de six mètres.
– Compte-tenu de la présence d’un bassin d’eau douce chlorée, on ne devrait pas pouvoir fantasmer du tout.
– Je suis de votre avis. L’homme a été tué ailleurs. Et nous devons évidemment supposer que ces blessures caractéristiques lui ont été infligées de façon artificielle. Que quelqu’un a simulé une attaque de requin avec minutie et compétence – sans compétence excessive, espérons le – qu’il a sectionné la jambe et la main comme l’aurait fait un requin et appliqué sur le mort des segments corporels du poisson.
– Et tout le sang ?
– Tout le sang? Je dirais plutôt qu’il y en a tout sauf assez. Si l’homme avait été tué dans le bassin on l’aurait sorti d’une soupe rouge, pas d’une petite ou légèrement teintée, d’un bouillon clair. Non, on ne peut pas vraiment parler d’une grande quantité de sang. Le mort s’était sans doute quasiment vidé avant d’être transféré. Le cadavre n’en était pas moins… Disons qu’il n’en était pas moins frais.
C’est-à-dire ?
Que l’homme est mort au cours de la nuit, probablement lors de la seconde moitié. Tout a dû se passer très vite, les préparatifs visant à simuler l’attaque, le déplacement du corps. Sans doute entre deux heures et quatre heures du matin.

Page 33 – 35

Challenge polar chez Sharon et Challenge animaux du monde chez Sharon

Ada – Antoine Bello

– Mike, dit Dunn, donnez s’il vous plaît à l’inspecteur Logan un aperçu de nos procédures anti-intrusion.
– Certainement. Les fenêtres et portes extérieures sont équipées de capteurs télémétriques reliés à une unité centrale grâce à une double connexion wifi et électrique. Lors de nos tests, la société de télésurveillance est intervenue quatre-vingt-dix secondes après le déclenchement de l’alarme. Le bâtiment comporte quarante-quatre caméras ainsi qu’une vingtaine de détecteurs de mouvement dont les enregistrements sont conservés pendant sept jours. Nous avons un veilleur de nuit, présent de 20 heures à 8 heures du matin. Il a pour consigne de ne quitter le poste de contrôle qu’en cas de bruit suspect ou de déclenchement d’une alarme. Il n’a pas bougé la nuit dernière.
– Comment le savez-vous ?
– Il est lui-même filmé, répondit O’Brien sans relever l’ironie de la situation.
– J’aurais besoin d’une copie de tous les enregistrements.
– Vous les aurez, à l’exception de celui de la chambre forte qui s’arrête à minuit.
– Minuit pile ?
O’Brien jeta un regard interrogateur à son patron.
– Je n’ai pas pensé à regarder.
– Quelle différence ? demanda Dunn
Une heure juste plaiderait pour une intervention automatique. Dans le cas contraire, la coupure a plus de chance d’être d’origine manuelle.
– Nous vérifierons, dit Dunn en faisant signe à O’Brien,. Autre chose ?
– Je suppose que vous avez changé tous vos mots de passe ?
– Évidemment.
– J’ai vu que vous aviez un système d’identification à l’entrée de la chambre forte. Ses logs ont-ils aussi été effacés ?
– Non. Ils sont intacts.
– Que révèlent-t-ils ?
– Qu’une seule personne a pénétré dans la salle : Carmela Suárez, la femme de ménage. Elle est entrée à 2h56 et sortie à 3h22.

 

Ada – Antoine Bello

Ada – Antoine Bello

Voilà un roman très convaincant.
Franck, policier d’une cinquantaine d’années, est chargé de l’enquête sur la disparition d’Ada, l’héroïne éponyme.
Ada n’est pas un être humain mais une Intelligence Artificielle (dont le but est d’écrire un roman à l’eau de Rose et pas n’importe quel roman, un best-seller : minimum 100 000 exemplaires).
Franck, le policier, est atypique : il écrit des haïkus,  habite Los Angeles, est marié a une française, Nicole (enseignante à l’université et marxiste (si, si…)
Pourquoi ce roman m’a-t-il plu ?

Tout d’abord, les dialogues sont percutants, qu’il s’agisse des flash-back de discussion entre Ada et des programmeurs, de ceux de Franck avec les témoins ou avec sa femme. Et puis Ada se révèle finalement très humaine dans son évolution :
La première  semaine, elle est confondante de naïveté et la deuxième elle est une «  théoricienne avertie » en littérature (p 107). Ensuite les rebondissements sont nombreux jusqu’au final, grandiose.

En bref, un roman qui parle de la naissance  des romans sur un ton drôle mais aussi réfléchi : que demander de plus ?

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Un extrait

– J’ai lu que vous avez investi dans deux autres sociétés. Puis-je me permettre de vous demander ce qu’elles font ?
– Bien sûr. La première, Actionate, analyse la tonalité de l’actualité économique. Elle vend les résultats aux fonds d’investissement qui cherchent à anticiper les points d’inflexion des marchés financiers. Par exemple, une recrudescence soudaine de mots comme « alarmant », « maussade » ou « décélération » présage presque à coup sûr un effondrement boursier.
– Quid si ces mots sont employés hors contexte ?
– Nous traitons une masse de texte colossale. Sur de tels volumes, un mot, une phrase isolée ne pèsent rien. La deuxième société me tient très à cœur. Son nom, LinFran, est une contraction de Lingua Franca, c’est-à-dire…
– Une langue servant à des populations de langues différentes à communiquer, compléta Franck.
Cooper ne chercha pas à dissimuler son étonnement.
– Exactement, dit-il. Les équipes de LinFran créent – tenez vous bien – une nouvelle langue.
– Il n’en existe pas déjà assez ?
– Si, encore que quelques dizaines disparaissent chaque année dans le monde. Il est désormais établi que la structure de la langue que nous parlons façonnent notre mode de pensée. Charles Quint prétendait s’adresser à Dieu en espagnol, à ses amis en anglais, à sa maîtresse en français et à son cheval en allemand. Ceci explique pourquoi certains peuples sont davantage portés vers les sciences, les arts ou les affaires. LinFran empruntera à chaque idiome ce qu’il y a de meilleur.
– N’est-ce pas le principe de l’espéranto ?
– Non. Zamenhof, le créateur de l’espéranto, avait pour seul objectif de promouvoir le dialogue entre les peuples. LinFran, elle, est conçue pour procurer un avantage concurrentiel à ses utilisateurs : ils penseront plus clairement, leurs raisonnements seront plus rigoureux, leurs associations d’idées plus fécondes…
– Bref, à eux la puissance, la richesse et la gloire…
– Tout juste, répondit Cooper, imperméable à l’ironie de Franck.
– Et, pour ma gouverne, comment commercialise-t-on une nouvelle langue ?
– C’est à ce jour, la seule zone d’ombre du projet. Facturation au mot, au verbe, à la métaphore, mous n’ excluons aucune piste. Comme vous dans votre enquête, en somme.

Le ver à soi – Robert Galbraith

Vêtu d’un costume-cravate qui lui allait à ravir, Matthew était – comme d’habitude – le plus bel homme alentour. Depuis le temps, Robin ne faisait plus guère attention aux regards discrets mais admiratifs que les femmes lui lançaient quand il passait près d’elles. Honnêtement, elle ne savait pas si Matthew se rendait compte de la convoitise qu’il suscitait. Avec son mètre quatre-vingt ramassé sur le banc de bois qu’il partageait avec un groupe d’étudiants éméchés, son menton taillé à la serpe marqué d’une fossette et ses yeux d’un bleu étincelant, il avait l’air d’un pur sang enfermé dans un paddock avec des poneys Shetland.

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Le ver à soi – Robert Galbraith

Quatre garçons dans la nuit – Val Mcdermid

Un roman policier en deux parties.
La première se passe en 1978 et est extrêmement captivante : dans le premier chapitre, quatre étudiants trouvent le corps de Rosemary, 20 ans, sur la lande ; ils préviennent la police et pendant deux cent pages, ils oscillent entre suspects, témoins… mensonges et vérités : le portrait des quatre jeunes est très crédible, on voit les dégâts que peut créer la suspicion dans une amitié et dans la vie quotidienne. Les années 70 sont également bien rendues avec une bande son que j’ai appréciée.
Le policier chargé de l’enquête se démène pour faite la lumière sur ce crime sordide.

La deuxième partie nous fait découvrir, 25 ans plus tard, ce que sont devenus les quatre amis : Ziggy, Alex, Weird et Mondo…Le meurtrier de Rosemary n’a jamais été arrêté et à l’occasion de nouveaux tests possibles (les tests d’ADN n’existaient en 1978) , l’enquête est rouverte et replonge les amis dans le stress de la suspicion ..
La deuxième partie m’a moins convaincue (peut-être parce qu’on a l’impression d’avoir souvent vu ce type de situation) et par quelques rebondissements que j’ai trouvé peu vraisemblables.
Malgré ce petit bémol, ce livre reste un excellent polar que l’on a du mal à lâcher …

 

un extrait

Dans ses articles, Jackie Donaldson avait eu l’occasion d’évoquer les coups frappés à la porte au petit matin, la bousculade jusqu’à la voiture de police rangée le long du trottoir, le trajet à toute allure à travers les rues désertes et l’attente insupportable dans une pièce exiguë imprégnée de l’odeur de tous les pauvres bougres qui étaient passés par là. Mais il ne lui était jamais venu à l’esprit qu’elle pourrait en faire l’expérience à ses dépens.

Elle avait été tirée du sommeil par le bourdonnement de l’interphone. Il était 3h47, avait-elle noté, avant d’attraper son peignoir et de se diriger vers la porte d’un pas incertain. Lorsque l’inspecteur Darren Heggie s’était annoncé, sa première pensée avait été pour Hélène. Sinon pourquoi serait-il venu à une heure pareille ? Mais elle n’avait pas protesté. Elle savait que ça n’aurait servi à rien.

Heggie avait fait irruption chez elle accompagné d’une femme en civil et de deux agents en uniforme à la traîne, l’air légèrement mal à l’aise. Il n’avait pas perdu de temps en bavardages. « Jacqueline Donaldson, je vous demande de me suivre. Vous êtes soupçonnée de complicité de meurtre. Sans mise en examen, la période de détention provisoire est d’un maximum de six heures. Il vous est possible de communiquer avec un avocat. Tout ce que vous êtes tenue de dire, c’est votre nom et votre adresse. Comprenez-vous la raison de votre garde-à-vue ? ».

Challenge polar chez Sharon

Que lire un 24 avril ?

– Le samedi 24 avril 1915, à minuit, des douzaines de notables arméniens d’Istanbul furent arrêtés et conduits de force au quartier général de la police.
Ils étaient tous vêtus élégamment, comme s’ils se rendaient à une cérémonie. On les garda longtemps sur place sans leur fournir d’explication, puis on les sépara en deux groupes et ils furent déportés à Ayach et à Cankiri.
Un triste sort attendait le groupe d’Ayach.
Les déportés de Cankiri furent tués plus graduellement. Mon arrière grand-père appartenait à ce dernier groupe.
Des soldats turcs les escortèrent dans le train de Cankiri.
Là on les obligea à marcher les 5 km qui séparaient la gare de la ville.
Jusqu’ici on les avait traités décemment, mais au cours de cette marche, on les battit avec des cannes et des manches de pioche.
Komitas, le grand musicien, perdit la raison après avoir vu ce que firent les soldats turcs ce jour-là.

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La batarde d’Istanbul – Elif Shafak

Que lire un 23 avril ?

Le 23 avril 1789, Jean-Baptiste Réveillon, propriétaire de la manufacture royale de papiers peints, s’adresse à l’assemblée électorale de son district, et réclame une baisse des salaires. Il emploie plus de trois cents personnes dans sa fabrique, rue de Montreuil. Dans un moment de décontraction et de franc-parler stupéfiant, il affirme que les ouvriers peuvent bien vivre avec quinze sols par jour au lieu de vingt, que certains ont déjà la montre dans le gousset et seront bientôt plus riches que lui. Réveillon est le roi du papier peint, il en exporte dans le monde entier, mais la concurrence est vive ; il voudrait que sa main-d’œuvre coûte moins cher.
Marie-Antoinette avait lancé la mode, elle en fit couvrir son boudoir : amour serrant une colombe sous un dais floral, angelots tirant à l’arc, grotesques, pastorales, singeries. Et cette mode du papier peint, sublimement peint, pochoirs, pinceaux, s’était diffusée en Europe ; c’est alors qu’entre deux fêtes somptueuses, faisant bouffer d’une main délicate son gilet framboise écrasée et rajustant son foulard crème, Jean-Baptiste Réveillon avait sérieusement médité, la concurrence internationale faisant rage, sa baisse des salaires.
Or, le peuple avait faim. Le prix du froment avait monté, le prix du blé avait monté, tout était cher. Et voici qu’Henriot, fabricant de salpêtre, fit à son tour la même annonce. Dans les faubourgs, on commença de marmonner. Au cabaret, le soir, on se réunissait, on criait , on invectivait, on buvait son petit verre en se demandant si on allait pouvoir longtemps payer son terme. Tout le monde était agité, inquiet. La nuit du 23 avril 1789 une longue nuit de palabres, de plaintes et de colère.
C’était peu de temps avant l’ouverture des états généraux, plusieurs fois différés. On manifesta. Un jour, deux jours, en vain. Réveillon et Henriot devaient penser que ça leur passerait, entre deux lampées de pinard, entre deux quignons de pain, ils l’avaleraient, la pilule, il le fallait bien ! Et qu’ils retourneraient tous bientôt dans le matin s’agenouiller devant leurs machines et turbiner pour vivre ; car il faut bien vivre ! On ne peut passer sa vie place de Grève à gueuler. Mais la protestation ne cessa point.
C’est qu’une grande famine sévissait en France. On crevait. Les récoltes avaient été mauvaises. Bien des familles mendiaient pour vivre. Partout des convois de grains avaient été attaqués, des greniers pillés, des magasins mis à sac. On brisait les vitres à coups de pierres, on éventrait les barriques à coups de couteau. Il y avait eu des émeutes de la faim à Besançon, à Dax, à Meaux, à Pontoise, à Cambrai, à Monthléry, à Rambouillet, à Amiens. Partout les magistrats avait été insultés, leur palais assiégés, des soldats blessés. C’était un peuple de femmes, d’enfants qui se rebellaient. Un peuple de chômeurs aussi. Pour six cent mille habitants, Paris comptait quatre vingt mille âmes sans travail et sans ressources. Alors on s’agita dans les taudis, on avait été écarté des débats et du vote préparant les états généraux, on voyait bien qu’on n’aurait pas grand chose à en espérer, qu’ils nous laisseraient seulement le froid de l’hiver prochain et la disette ; c’était une affaire qui allait se régler entre gens de bien.
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14 Juillet – Eric Vuillard

 

Ada – Antoine Bello

– Tu permets, Parker, le coupa Weiss. Continuez inspecteur. Que reprochez-vous à Passion d’automne ?
Franck s’empara de son exemplaire, qu’il avait copieusement annoté.
– Déjà, c’est une drôle d’idée d’avoir situé l’action en Angleterre au début du siècle dernier…
– Pourquoi ? Les ères élisabéthaine et victorienne ont inspiré de nombreux romans sentimentaux. Ada a préféré la période 1907–1910 qui correspond à la fin du règne d’Édouard VII, afin de profiter de l’engouement pour des séries télévisées comme Downton Abbey ou Mr Selfridge.
– Jamais entendu parler…
– Parce que vous n’êtes pas dans la cible. 85 % des lecteurs de romans à l’eau de rose sont des femmes. Elles connaissent mieux l’arbre généalogique des Windsor que les statistiques à la Battle de Derek Jeter.
– De toute façon, intervint Dunn, les études montrent que le cadre historique n’a que peu d’influence sur le niveau des ventes. C’est la qualité du scénario qui prime.
– Justement, parlons-en ! Je n’ai jamais vu un tel tissu d’invraisemblances.
Il chaussa ses lunettes.
– Page 12, Henry le palefrenier déclame du Tennyson en étrillant le cheval de Lady Margareth : « Si j’avais une fleur chaque fois que je pense à toi, je pourrais marcher dans mon jardin pour toujours » !
Qu’est-ce qui vous chagrine, inspecteur ? Qu’un lad récite de la poésie ? Mais Tennyson était le Dylan de son époque. Et puis n’oubliez pas que Henry a été élevé par une institutrice…

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Ada – Antoine Bello

A malin, malin et demi – Richard Russo

Après Le déclin de l’empire Whiting et Mohawk, je poursuis ma lecture de l’oeuvre de Richard Russo. Et je dois dire que cet auteur est enthousiasmant.

L’action se passe dans une petite ville (pauvre, quasiment sinistrée) complètement éclipsée par sa voisine, riche et célèbre.
Il y a plusieurs personnages principaux : le premier est Douglas Raymer, le shérif de la ville, la quarantaine , veuf il a du mal a se remettre de la mort de Becka : sa femme s’apprêtait à le quitter quand elle est décédée dans un accident domestique. Il y a ensuite Sully, le septuagénaire toujours prêt pour une blague de potache , son ami Rub (l’idiot du village), le méchant Rob (qui bat son ex femme), un entrepreneur semi-véreux , et aussi le chien de la couverture (que Sully a appelé Rub (oui son ami et le chien ont le même nom ce qui crée des situations drôles et des quiproquos). Les personnages féminins sont moins nombreux mais tout aussi attachants et bien campés : il y a Ruth l’amie et ancienne amante de Sully, Alice qui n’a plus toute sa tête ….et aussi l’excellente Charice, adjointe du Shérif Raymer.
L’action se passe sur 2 jours où il semble que les différentes calamités envisageables se concentrent sur cette petite ville. Jamais je n’aurai cru qu’autant de personnages dépressifs, borderline pouvaient être aussi intéressants et passionnants. La nature humaine m’étonnera toujours : j’ai à la fois été atterrée et subjuguée par autant de phénomènes : c’est mal de se moquer mais qu’est ce que c’est bon quand c’est bien écrit…

En bref une réussite , du grand art chez cet auteur de faire évoluer une quinzaine de personnages (pas piqués des hannetons) tout en leur donnant une réelle profondeur.
Au moment où j’écris ces quelques lignes, j’apprends que Sully apparaît dans « un homme presque parfait ». Je connais mon prochain livre de l’auteur.

Un extrait

C’était déjà affreux quand il disait des choses fausses ou injustes, mais son silence, c’était pire encore car pour Rub, cela voulait dire que Sully se désintéressait de ce qu’il essayait d’expliquer, ou estimait que ça ne méritait pas de réponse. Ces temps-ci, Sully semblait toujours pressé, impatient de filer ailleurs, comme s’il était poursuivi par une chose que ni l’un ni l’autre ne pouvaient nommer. Serait-ce pareil aujourd’hui ? Rub ferait en sorte que non. Couper la branche incriminée ne prendrait pas plus d’une demi-heure, mais il veillerait à ce que ça dure tout l’après-midi. Bootsie étant à son travail, le fils et le petit-fils de Sully étant absents, ils pourraient sortir deux chaises de jardin, et Rub lui confierait tout ce qu’il avait emmagasiné dans sa tête, chaque pensée débouchant sur la suivante et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il en ait fait le tour.

Une lecture commune autour de Richard Russo avec Inganmic qui a lu « Le pont des soupirs »

L’avis de Marie Claude sur ce même titre 

Challenge animaux du monde chez Sharon  et Pavévasion chez Brize (624 pages)

 

Que lire un 20 avril ?

« Ce matin, à huit heures, un petit déjeuner de travail a eu lieu au Berghof, la maison du Führer. Elle est située près de la mienne, quelques mètres en aval. Les personnes présentes étaient essentiellement des architectes, des ingénieurs et des fonctionnaires, réunis à fin d’envisager quelles nouvelles améliorations pouvaient être apportées au Berghof ou à l’Obersalzberg pour le confort, le plaisir et la sécurité de notre Führer. Il devait y avoir, je dirais, entre dix et quinze personnes. Peut-être même un peu plus. Après le petit déjeuner, autour de neuf heures, ces messieurs sont sortis sur la terrasse qui domine la vallée. À neuf heures quinze, l’un deux, le Dr Karl Flex, s’est écroulé, blessé à la tête. Il saignait abondamment. Il venait d’être abattu, sans doute avec un fusil, il est mort sur le coup et personne d’autre n’a été touché, et curieusement, nul n’a rien entendu, semble-t-il. Dès qu’il a été établi que cet homme avait été assassiné, le RSD a fait évacuer la maison et fouillé immédiatement les bois et les montagnes sur lesquels donne la terrasse du Berghof. Mais jusqu’à présent ils n’ont retrouvé aucune trace du meurtrier. Vous imaginez un peu ? Tout ces SS, les RSD, et pas un seul indice ! »
J’hochai la tête et continuait à manger ma saucisse, qui était délicieuse.
« Je n’ai pas besoin de souligner la gravité de la situation, poursuivit Bormann. Cela étant, je ne pense pas que ce soit lié au Führer, dont les déplacements, hier et aujourd’hui, étaient largement signalés dans la presse. Mais tant que l’assassin n’aura pas été arrêté, impossible pour Hitler d’approcher de cette terrasse. Comme vous le savez certainement, il va fêter ses cinquante ans le 20 avril. Or, il vient toujours ici, à l’Obersalzberg, pour son anniversaire ou juste après. Cette année ne fera pas exception. Ce qui signifie que vous avez sept jours pour élucider ce crime. Vous avez bien entendu ? Il est impératif que ce meurtrier soit arrêté avant le 20 avril car je ne veux pas être celui qui annoncera au Führer qu’il ne peut pas sortir parce qu’un tueur est en liberté. »

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Bleu de prusse – Philipp Kerr