C’est avec plaisir que j’ai retrouvé Rheauna,12 ans, que Michel Tremblay nous avait présentée dans la « traversée du continent » et « la traversée de la ville« .
Rheauna est toujours aussi attachante, elle n’a pas sa langue dans sa poche et entre elle, sa mère, son petit frère de 2 ans et les deux tantes, cela finit parfois par des étincelles.
L’histoire de ce troisième tome raconte une semaine de vacances dans les Laurentides. L’action se passe en 1915, dans l’Europe lointaine, la guerre fait rage mais le Canada et le Québec sont encore peu concernés.
Rhéauna décrit son environnement, ses lectures (Hugo, Dumas, Jules Verne) mais ignore encore comment on fait les bébés.
En parallèle, on suit également les pensées de Teena, qui a été obligée de laisser son fils, illégitime, chez sa cousine, pour travailler à Montréal. Montréal se situe à environ 12 heures de voyage (9 heures de train puis trois heures en carriole sur des chemins non carrossables) : une réelle traversée…
En conclusion, une chronique familiale toute en tendresse, disputes, et éclats de rires…et l’accent québécois toujours aussi chantant de Michel Tremblay.
Un extrait
Devant la gare, juste au pied du perron de bois, donc à la place d’honneur, comme si une personne de la famille royale d’Angleterre ou un premier ministre allait sortir à toute vitesse, les attend une énorme charrette tirée par un cheval aussi noir que la crinière de son maître.
En reconnaissant Simon, la bête tourne la tête, hennit. Simon sort une pomme d’une de ses poches, la lui end. Le cheval étire le cou, croque dans la pomme en secouant son harnais. Il est de toute évidence heureux. Si c’était un chat, on l’entendrait ronronner. Il échappe le fruit, tend le cou pour le rattraper. Simon le flatte, lui donne quelques tapes sur la croupe. Les muscles de l’animal frissonnent sous sa main, une de ses pattes arrière gratte le sol. Simon se tourne vers les cinq voyageurs dont deux, Théo et Rheauna, sont restés pétrifiés sur la dernière marche, les yeux ronds. Rheauna a déjà vu des percherons en Saskatchewan, mais elle ne se souvenait pas qu’ils pouvaient être si gros, si impressionnants. À moins que celui-là soit vraiment plus gros que ceux qu’elle a connus… En tout cas, c’est un géant à côté de ceux qu’elle voit tous les jours à Montréal, même les montures des policiers de la ville. Quant à Théo, il n’a jamais vu une bête pareille et il ne sait pas encore s’il devrait hurler en se sauvant en courant ou sauter d’excitation en tapant des mains. On est bien loin du petit cheval à bascule en bois peint en rouge qui traîne dans un coin de sa chambre et qui finit par lui donner des nausées quand il s’en sert trop longtemps.
Simon bombe le torse de fierté.
« Y s’appelle Charbon puis y est pas malin pour deux cennes. C’est le joual le plus fin que j’ai jamais eu ! Hein, mon Charbon ? »
En entendant son nom, le cheval se tourne vers Simon, hume son odeur avec des naseaux humides grands comme des assiettes à soupe – c’est du moins ce que pense Rheauna.