Yoko Ogawa en hommage à Goran

Pour rendre hommage à Goran, disparu ce printemps, Eva et Patrice organisent aujourd’hui une LC du « Petit joueur d’échecs » de Yoko Ogawa.

Je me joins à eux et à tous les autres aminautes de Goran avec un autre titre de l’auteure (j’avais déjà lu le petit joueur d’échec)

Le roman s’ouvre avec la mort d’une petite fille de trois ans. Le médecin affirme qu’elle est morte de pneumonie mais la mère, accablée de douleur, prétend que cette mort est due à un chien maléfique.
La mère décide d’isoler les 3 enfants survivants dans une maison abandonnée afin de les préserver de la « malédiction ».
Il s’agit là d’un roman très onirique.
L’action est vue d’un point de vue extérieur, et raconte le quotidien de ces trois petits pendant plusieurs années..
Les jeux des enfants sont très bien racontés en particulier les instantanés d’ambre (Ambre est le garçon du milieu, huit ans lors du début de cet isolement) : il a réalisé des « dessins animés » de sa petite soeur disparue dans le bas d’encyclopédies. Sa soeur, Opale, 12 ans au début de l’histoire, danse et le petit dernier, Agate, 5 ans, découvre la nature à l’intérieur du jardin jusqu’au mur de briques cachant leur existence au reste du monde.
Le lecteur voit peu la mère mais le contact avec ses trois enfants est  « magique ».


Un livre étrange et envoûtant …à la fois doux et un peu angoissant…

Un extrait :

L’œil gauche de celui-ci (le fils aîné) commençait à présenter une évolution qui cadrait bien avec son nom, Ambre, et aucun autre. Tout d’abord, non loin du coin de l’oeil la limite entre le noir et le blanc s’estompa, le marron de l’iris déborda en marbrures qui bientôt s’étendirent à la totalité de l’œil gauche. Elles coulaient le long des vaisseaux capillaires, se déposaient, sédimentaient. Et les strates venant s’imprégner de larmes comme de résine, il se forma bientôt une concrétion d’ambre. L’existence de cet œil attestait le nom de l’ambre.
Au fur et à mesure de cette transformation son œil gauche eut peu à peu des difficultés à voir, mais Ambre n’était pas inquiet. Si l’extérieur devenait pour lui de plus en plus vague, inversement l’intérieur gagnait en densité, faisant ressortir avec davantage de vie les silhouettes qui apparaissaient au fond.

Le meurtre du commandeur livre 2 – Haruki Murakami

Peu avant neuf heures, Masahiko se réveilla. Il vint en pyjama dans la salle à manger, but une tasse de café noir. « Non, dit-il, je ne veux rien manger, le café me suffit. » Il avait des poches sous les yeux.
« Ça va ? lui demandai-je.
– Ça va, répondit-il en se frottant les paupières. J’ai connu des cuites bien pires. Cette fois, ça reste léger.
– Prends ton temps, rien ne presse, dis-je.
– Mais tu vas bientôt avoir de la visite ?
– Oui, à 10 heures. Il y a encore un peu de temps. Et si tu es encore là, ça ne pose pas de problème. Je te présenterai. Elles sont charmantes toutes les deux.
– Deux ? Tu ne fais pas le portrait d’une fillette ?
– Sa tante vient avec elle.
– Une tante chaperon ? Dis donc, on est dans une région très « vieille école ». Comme dans un roman de Jane Austen. Elles ne vont tout de même pas jusqu’à porter un corset ? Arriver dans une calèche tirée par deux chevaux ?
– Non, pas de calèche. Elles arrivent en Prius. Ne portent pas de corset non plus. Pendant que je peins la fillette dans l’atelier, la tante attend dans le salon en lisant. Enfin, je dis « tante », mais elle est encore jeune.
– Quel genre de livre ?
–Je n’en sais rien. Je lui ai demandé, mais elle n’a pas voulu me le dire.
– Ah bon, fit-il. Tiens, à propos de livre, dans Les démons, de Dostoïevski, je me souviens qu’il y a un homme qui se suicide au pistolet pour prouver qu’il est un homme libre, mais comment s’appelle-t-il déjà ? Je te le demande car j’ai pensé que tu le saurais.
– Kirilov, dis-je.
– Ah oui, Kirilov. J’essayais depuis un moment de m’en souvenir, mais ça ne me revenait pas.
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Le meurtre du commandeur livre 2 – Haruki Murakami

Le meurtre du commandeur – livre 2 – Haruki Murakami

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J’ai lu ce livre dans la foulée du livre 1, j’aurais donc passé la semaine avec Haruki Murakami. (à mon plus grand plaisir)
Le narrateur de ce livre restera donc sans nom. Peu importe… cette absence de nom ne m’a pas gêné…
C’est un livre en deux parties assez distinctes.  La première est très ancrée dans le réel : oublié le côté fantastique du premier tome. Le commandeur n’apparaît plus, le narrateur vit son quotidien en se remémorant et s’interrogeant sur ce qui est arrivé dans le premier tome. Il a une vie tranquille entre ses cours de peinture, ses discussions avec Menshiki, son voisin, ou Masahiko son copain de fac, il poursuit le portrait de Marié (qui est une ado passionnante et très intuitive).
Murakami continue à approfondir ses personnages en particulier Marié et sa tante Shoko…
Vers le milieu du livre, il y a un événement retentissant qui remet tout en cause (je m’attendais à cet événement car si j’ai réussi à ne pas lire la quatrième – je déteste les quatrièmes qui disent tout) , je m’étais auto-spoliée en allant cocher dans Babelio que je commençais ce livre : mes yeux n’avaient pu s’empêcher de lire la première phrase « Une jeune fille disparaît » donc pendant les 220 première pages j’ai attendu que Marié disparaisse…dommage …ou pas… cela rend plus attentif…aux petits détails…
Dans la deuxième partie du livre l’action accélère et le fantastique revient en force….Amateur de situations rationnelles, passez votre chemin…
Comme souvent chez Murakami on n’a pas toutes les réponses aux questions que l’on se pose mais je ressors enchantée de ce voyage dépaysant…

 

Un extrait

Le dimanche fut aussi un jour de très beau temps. Il n’y avait pas de vent et le soleil automnale faisait joliment resplendir les feuilles des arbres des montagnes en leur conférant toutes sortes de nuances variées. Des petits oiseaux à gorge blanche voletaient de branche en branche, picorant des bais rouges avec habilité. Assis sur la terrasse, je ne me lassais pas de contempler ce paysage. La beauté de la nature est prodiguée impartialement aux riches comme aux pauvres. Comme le temps…Non, le temps, ce n’est pas la même chose. Avec de l’argent, je crois que les favorisés de ce monde peuvent s’acheter du temps en plus.

Le meurtre du commandeur – Haruki Murakami

Jour de lecture 1
Le narrateur est un peintre reconnu (un portraitiste) ; il n’est pas très célèbre mais vit bien de son art. Sa femme lui avoue un jour qu’elle souhaite divorcer (elle a un amant)
Il part du domicile le jour même et roule une nuit entière vers la mer du nord.
J’aime beaucoup l’ambiance un peu mystérieuse mais pas trop, il erre pendant des semaines sur Hokkaidô, puis accepte la proposition d’un ami de garder la maison de son père, atteint d’Alzheimer.
Et puis au détour d’une phrase banale, on apprend une chose importante de son passé ou celui de son épouse Yuzu.

Jour 2
L’action se met en place tout doucement (c’est pour cela que j’aime Murakami)
On y fait la rencontre d’un mystérieux tableau (le tableau s’appelle « le meurtre du commandeur » et il était caché dans le grenier de la maison où le narrateur vit) , d’un mystérieux voisin (Menshiki).

Il y a aussi une ambiance fantastique (Murakami a-t-il lu le Horla de Maupassant) ?
Le narrateur a-t-il des hallucinations auditives (puis visuelles) ? Est-il un meurtrier qui aurait refoulé son crime ?
Le lecteur assiste à de mystérieuses fouilles dans le jardin, et se sent tour à tour claustrophobe, peintre, Mozart….

Bref, j’adore l’ambiance, je n’y vois goutte et me demande où l’auteur veut nous emmener … mais je suis montée dans la Toota poussiéreuse du narrateur, puis la Subaru blanche, la jag de Menshiki itou…

Jour 3
Le mystérieux voisin se fait moins mystérieux : le narrateur réalise son portrait et on assiste à leurs échanges sur l’art (peinture, musique) et la création en général..
Il apparaît un nouveau personnage : la mystérieuse Idée (celle du sous titre ; Idée avec une majuscule s’il vous plait)..Ces passages sont à la fois réalistes, fantastiques et plein d’humour…

Le narrateur finit le tableau de Menshiki et en attaque deux nouveaux, celui du mystérieux homme à la Subaru et celui de Marié, une jeune voisine qui est son élève dans son cours de peinture.

Je vous laisse : il fait que j’aille de toute urgence me procurer le tome 2.

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Un extrait

En y pensant rétrospectivement, je me dis que nos vies sont faites d’une façon vraiment étrange. Elles regorgent de hasards extravagants et difficiles à croire, de développements en zigzag impossibles à pronostiquer. Mais lorsque ces événements nous arrivent réellement, lorsqu’on est plongé en plein milieu du tourbillon, il est possible de ne pas y voir le moindre élément étrange.Peut-être ce qui nous arrive nous semble-t-il être uniquement des faits parmi les plus ordinaires, se produisant de la façon la plus ordinaire, dans un quotidien linéaire. Ou bien au contraire, peut-être tout cela nous paraît-il complètement insensé. Mais en fin de compte, c’est seulement beaucoup plus tard que l’on saura vraiment si un événement est conforme à la raison ou pas.

 

Que lire un 16 octobre ?

Le 16 octobre, un grave accident avait eu lieu dans les mines de Yûbari, dans le Hokkaidô. Un incendie s’était déclaré dans les galeries d’extraction, à mille mètres sous terre. Plus de cinquante mineurs étaient morts par asphyxie. Comme le feu s’était propagé sur des zones proches du sol, dix autres personnes avaient perdu la vie. Pour empêcher la propagation du feu, la société avait inondé les galeries de la mine à l’aide d’une pompe sans vérifier s’il restait ou non des survivants au fond. Au total, le sinistre avait fait quatre-vingt-treize victimes. Une véritable tragédie. Le charbon est une source d’énergie «sale». Son extraction dangereuse. La société minière avait rechigné à investir dans les équipements et les conditions de travail étaient mauvaises. Les accidents nombreux. Les poumons atteints à coup sûr. Mais, en raison de son faible coût, il restait toujours des hommes et des entreprises qui en avaient besoin. Aomamé avait un souvenir précis de cet accident.

L’affaire qu’elle recherchait s’était produite le 19 octobre, alors qu’il y avait encore des répercussions de l’accident de la mine de Yûbari. Aomamé ne savait rien de cet événement – que Tamaru venait de lui évoquer, quelques heures auparavant. Il était pourtant invraisemblable qu’elle n’en ait pas eu connaissance. Le titre, en une de l’édition du matin, était imprimé en gras et en gros caractères. Impossible de le louper.

TROIS POLICIERS TUES DANS LES MONTAGNES DE YAMANASHI AU COURS DE COMBATS CONTRE DES EXTREMISTES.

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1Q84 – Livre 1 – Haruki Murakami 

Que lire un 20 septembre ? un 6 octobre ? un 12 octobre ?

Le 20 septembre s’était tenu à Jakarta le plus grand rassemblement mondial de cerfs-volants, avec plus de dix mille participants. Qu’Aomamé ignore ce fait là n’avait rien de bizarre. Qui se souviendrait d’un rassemblement de cerfs-volants qui avait eu lieu à Jakarta plus de trois ans auparavant ?
Le 6 octobre, le président égyptien Sadate avait été assassiné par des extrémistes islamistes. Aomamé se souvenait de cette affaire et elle plaignit de nouveau le malheureux  Sadate. Non seulement la tête presque chauve du président lui plaisait, mais elle éprouvait invariablement une profonde aversion à l’encontre des fondamentalistes, toutes religions confondues. Songer à leur conception du monde étriquée, à leur condescendance, à leur arrogance et à leur insensibilité vis-à-vis d’autrui la submergeait d’une colère irrépressible. La question n’avait pourtant pas de rapport avec son problème. Après s’être calmé les nerfs en respirant profondément à plusieurs reprises, Aomamé passa à la page suivante.
Le 12 octobre, à Tokyo, dans la zone résidentielle de l’arrondissement d’Itabashi, un collecteur de la NHK (56 ans) s’était disputé avec un client qui refusait de payer sa redevance. Il avait grièvement blessé au ventre le jeune homme avec un couteau qu’il emportait toujours sa sacoche. Le collecteur avait été arrêté par des policiers accourus sur place. L’homme, qui tenait encore à la main son couteau ensanglanté, était resté là, presque prostré, et n’avait opposé aucune résistance lors de son arrestation. Un de ses collègues avait expliqué qu’il travaillait comme collecteur depuis six ans, que son comportement au travail était irréprochable et que ses résultats étaient excellents. Aomamé ne savait pas qu’une telle affaire avait eu lieu. Abonnée au Yomiuri, elle le lisait assidûment chaque jour dans les moindres détails. Les faits divers – en particulier ceux qui étaient liés à des crimes -, elle les étudiais avec beaucoup d’attention. Et cet article occupait presque la moitié de la page consacrée aux faits divers. Inconcevable qu’un aussi long article lui ait échappé. Bien sûr, il n’était pas impossible que pour une raison quelconque, elle ait négligé de le lire. La chose était tout à fait improbable, mais elle ne pouvait affirmer le contraire.
Des rides se creusèrent sur son front tandis qu’elle réfléchissait quelques instants à cette possibilité. Puis elle rédigea un résumé de l’affaire en notant la date.
Le nom du collecteur était Shinnosuke Akutagawa. Un nom splendide. Comme celui du grand écrivain. Il n’y avait pas de photo de l’homme. On voyait seulement celle du blessé, M. Akira Tagawa (21 ans), étudiant en troisième année de droit, à l’université Nihon, et deuxième dan de kendô. S’ul avait eu en main son sabre de bambou, il n’aurait sans doute pas été aussi facile de le blesser. Mais un individu normal ne discute pas avec un collecteur de la NHK, un sabre de bambou à la main. Pas plus qu’un collecteur n’emporte de couteau dans sa sacoche. Elle essaya de suivre l’incident sur plusieurs jours mais ne dénicha pas d’article signalant la mort de l’étudiant blessé. Peut-être avait-il finalement survécu. (P192)

Suite le 16 octobre

1Q84 – Haruki Murakami 

1Q84 Livre 3 – Haruki Murakami

Pour ce dernier tome de la trilogie 1Q84, Haruki Murakami rompt avec  l’alternance de point de vue entre Aomamé et Tengo. Il vient se greffer à ces deux histoires une troisième voix, celle de Ushikawa le personnage que j’avais trouvé caricatural dans le tome 2.
J’ai cru à un moment que cette façon de mêler trois fils narratifs allait me gêner mais pas du tout
J’ai trouvé ce dernier tome bien plus intéressant que le deuxième où l’aspect secte (et viol de petites filles) m’avait finalement oppressée.
Dans ce tome on assiste à une triple quête :
– Aomamé recherche Tengo.
– Tengo semble mettre en suspens sa quête d’Aomamé pour essayer de renouer avec son père en fin de vie.
– Ushikawa cherche Aomamé pour le compte de la secte et se rapproche, se rapproche de sa cible…

Les différentes interrogations sont fascinantes (en acceptant le côté improbable quand même de l’histoire….) : la vie, la mort, le réel, les relations père-fils sont tour à tour explorés…

Et puis quel suspens dans la narration …j’ai plusieurs fois tremblé pour nos deux héros : Finalement ce troisième fil narratif avec Ushikawa permet un tension beaucoup plus grande…

Un tome 3 qui clôture de façon magistrale l’épopée d’Aomamé et de Tengo (et de la little thing) bien plus sympa que les Little People, isn’t it ?

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Un extrait

« Je sais. J’ai connu moi aussi la même expérience, dit l’homme, sur le ton léger de la causerie. À moins de l’avoir vécue, personne ne peut comprendre à quel point c’est atroce. La douleur est une notion qui ne peut entrer dans une catégorie générale. Chaque douleur possède sa spécificité. Permettez-moi de paraphraser une célèbre citation de Tolstoï : les plaisirs se ressemblent tous ; les douleurs sont douloureuses chacune à leur façon. Sans toutefois aller jusqu’à dire qu’elles auraient chacune une saveur particulière. Vous n’êtes pas d’accord ? »

Challenge trilogie de l’été chez Philippe      Et challenge pavé de l’été chez Brize

1Q84 livre 2 Juillet -septembre – Haruki Murakami

Attention : cet avis renferme des spoilers (je n’ai pas trouvé le nom commun issu de divulgâcher :  divulgachis ?)

Hypnotisée par le tome 1, j’ai enchaîné de suite avec le tome 2 qui nous raconte la suite des aventures de Tengo et Aomamé (qui ont failli se rencontrer à la fin de ce tome – 1er spoilier)

Tengo et Aomamé ne se rencontrent toujours pas mais progressent chacun de leur côté dans leur exploration de 1Q84 : un monde pas éloigné du monde finalement avec en toile de fonds le Japon (lui non plus pas très éloigné de notre culture : Les femmes m’ont cependant semblé plus mal loties qu’en France – soit dans leur vie conjugale, soit dans leur vie professionnelle avec des mises au placards à des postes subalternes, soit dans leur famille)

On en apprend plus sur Aomamé et ses motivations (c’est mon personnage préféré) . Les personnages secondaires comme la vieille dame (non ce n’est pas la vieille dame de Babar) et son garde du corps Tamaru prennent de la consistance.
Fukaéri, la jeune femme qui a écrit  le roman « la chrysalide de l’air » est obligée de se cacher (il s’agit en fait de faire sortir un certain loup du bois – 2ème spoilier)

Ce qu’il y a de bien dans ce deuxième tome c’est l’imprévu : un peu de conte, le chapitre d’après est un peu « thriller », le suivant développement personnel, le suivant nous explique la méthode que Tengo a pour écrire ses romans ….Il y a deux petites choses qui m’ont dérangé  : d’abord le nom des « little people » parce que pour moi ce sont des figurines de jeux, les little people, et quand même les Little people de Murakami sont un peu malveillants non ?
La deuxième chose qui m’a gênée est aussi le nouveau personnage, Ushikawa, qui est intéressant au niveau de l’intrigue et des rebondissements mais qui est quand même par trop caricatural dans son accoutrement.

Sinon ces deux bémols mis à part (qui font que je mets 4 * à ce tome (et 5 * au premier) cela reste une excellente lecture et je suis partie sur la deuxième lune en route pour le tome 3 ….

Deux extraits
Personne ne le sait, songeait Aomamé. Mais moi, je comprends. Ayumi avait en elle un énorme manque aride et désolé, quelque chose comme un désert aux confins de la Terre. Sur le sol duquel on pouvait verser toute l’eau que l’on voulait, nulle humidité ne subsistait quand la terre l’avait absorbée. Aucune forme de vie ne pouvait y prendre racine. Aucun oiseau ne volait dans ce ciel-là. Seule Ayumi savait ce qui avait produit en elle ce paysage totalement ravagé. Non, en fait, peut-être Ayumi n’en était-elle pas tout à fait consciente. […]
Chaque fois qu’elle ôtait une des couches du moi décoratif qu’elle avait élaboré, il ne restait pour finir qu’un abîme de vide. Qui la laissait complètement assoiffée. Et même si elle s’efforçait de l’oublier, ce vide la visitait périodiquement. Un après-midi pluvieux où elle était solitaire, ou un matin où elle s’éveillait après avoir fait un cauchemar. Et dans ces moments-là, il lui fallait impérativement se retrouver dans les bras de quelqu’un, et peu importait qui. »

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La Chrysalide de l’air, qui se présentait sous la forme d’un récit fantastique, était un roman facile à lire. Le style adoptait la façon de parler d’une fillette de dix ans. Il n’y avait pas de mots compliqués, pas de logique excessive, pas d’explications ennuyeuses, pas non plus d’expressions recherchées. Du début à la fin, le récit été raconté par une fillette. Dans une langue compréhensible et précise, bien souvent plaisante à l’oreille, et pour ainsi dire sans explications. La petite fille relatait au fil de la plume ce qu’elle avait vu de ses yeux. La lecture n’était pas interrompue par des réflexions ou des interrogations du type : « Mais que se passe-t-il exactement ? » Ou : « Qu’est-ce que ça veut dire ? ». L’enfant avançait à une allure lente mais tout à fait pertinente. Les lecteurs marchaient avec elle, voyaient avec ses yeux. Tout se faisait très naturellement. Et avant même qu’ils aient eu le temps de s’en apercevoir, ils avaient pénétré dans un autre monde. Un monde qui n’était pas celui d’ici. Un monde où les Little People tissait une chrysalide de l’air. (Page 392)

Challenge trilogie de l’été chez Philippe

1Q84 Livre 1 Avril-juin – Haruki Murakami

Genre : roman avec deux fils narratifs (fils presque parallèles mais qui s’emmêlent et s’entremêlent, oui je sais cela fait longtemps que je n’ai plus fait de mathématiques)

1er fil : Aomamé (prénom signifiant haricot de soja vert) est une jeune femme, la trentaine, séduisante. Dans un taxi, le chauffeur fait mention d’un escalier pour quitter l’autoroute bloquée par un accident. Cet escalier mène-t-il vers un autre monde ?

2ème fil : Tengo, la trentaine également, est un écrivain semi-professionnel  et un professeur  de mathématiques au lycée.
Son éditeur lui propose de réécrire un roman d’une lycéenne (une histoire fascinante mais écrite sans style). La jeune fille qui a écrit ce livre est en fait quasiment incapable de lire et d’écrire (forte dyslexie) et elle l’a dicté à une amie.

Mon avis  : C’est un roman captivant avec ses deux histoires parallèles.
On comprend assez tard ce que les deux héros ont en commun : une enfance maltraitée (témoin de Jéhovah pour l’une, un père obsessionnel pour l’autre). Les chapitres sont comme un écho l’un à l’autre.
Aomamé est solitaire et rencontre une jeune femme qui travaille dans la police, puis une vieille dame qui s’occupe de femmes et d’enfants maltraités. Depuis l’épisode du taxi, elle est plus attentive à l’actualité et il lui semble que celle-ci change subtilement. Il est question d’un monde parallèle à 1984.
Tengo est également solitaire : il a peu de contacts sociaux à part son éditeur et son amante, une femme mariée plus âgée que lui. La rencontre avec Fukaeri et son père  adoptif change sa vie du tout au tout : il apprend que Fukaéri s’est échappée d’une secte à l’âge de 10 ans.

La Sinfonitta de janacek revient régulièrement. Par circonvolutions, Murakami met en lumière ses deux personnages principaux (qui à la fin du livre 1 ne se sont pas encore rencontrés). A moins qu’ils se soient rencontrés en 1Q84 dans un pays où deux lunes cohabitent….

 

En bref  : totalement fascinant même si on ne fait pas bien le distinguo entre réalité et affabulation.

J’espère en apprendre rapidement plus sur ce monde dans le deuxième tome.

Un extrait

Mais quel lien y avait-il entre cette Sinfonietta et elle ? La notice n’en donnait  aucune piste. Lorsqu’elle sortit de la bibliothèque, c’était presque le coucher du soleil. Elle avança sans but dans les rues. Elle monologuait de temps en temps, de temps en temps secouait la tête.

Bien entendu, il s’agit d’une simple hypothèse, pensait Aomamé en marchant. Mais là, maintenant, elle me semble très convaincante. Du moins, tant qu’une autre, plus évidente, ne sera pas apparue, je dois m’y conformer. Sinon, je pourrais bien me retrouver rejetée je ne sais où. Il serait d’ailleurs bon de donner une appellation appropriée à ces conditions nouvelles dans lesquelles je me trouve. Et j’ai aussi besoin d’attribuer à ce monde un nom qui me sera propre, pour le démarquer du monde d’autrefois, celui où les policiers étaient munis de leurs vieux revolvers. Après tout, on donne bien des noms aux chiens et aux chats. Il n’y a pas de raison que ce nouveau monde altéré n’en ait pas.

1Q84 – voilà comment je vais appeler ce nouveau monde, décida Aomamé.

Q, c’est la lettre initiale du mot Qquestion. Le signe de quelque chose qui est chargé d’interrogations.

Tout en marchant, elle hocha la tête pour s’approuver.

Que cela me plaise ou non, je me trouve à présent dans l’année 1Q84. L’année 1Q84 que je connaissais n’existe plus nulle part. Je suis maintenant en 1Q84. L’air a changé, le paysage a changé. Il faut que je m’acclimate le mieux possible à ce monde lourd d’interrogations. Comme un animal lâché dans une forêt inconnue. Pour survivre et assurer ma sauvegarde, je dois comprendre au plus tôt les règles et m’y adapter.

P 205

 

double participation au Challenge « lire sous la contrainte chez Philippe » où la contrainte est « sans nom commun » et trilogie de l’été

La marche de Mina – Yoko Ogawa

LC avec Edualc

Deuxième lecture pour ma part de cette auteure japonaise après « La formule préférée du professeur » lu il y a 5 ans (déjà…)

Dans les années 1970, au Japon.

Le personnage principal est Tomoko, une petite fille d’une douzaine d’années, qui raconte l’année qu’elle a passée chez son oncle et sa tante. La quatrième de couverture induit un peu en erreur mais ce n’est pas grave. La quatrième nous informe qu’après le décès du père de Tomoko, la mère doit partir au loin en formation et que Tomoko se retrouve un an chez son oncle et sa tante. Vu comme cela, je m’attendais à de la pauvreté, des larmes, un deuil . Pas du tout le sujet du livre est tout autre :  certes le père de Tomoko est mort mais il est mort quand elle avait 6 ans et elle en a 12 maintenant, il n’y a donc pas de profond chagrin chez cette jeune fille juste un peu de tristesse d’être éloignée de sa mère. Tomoko va vivre pendant cette année de nombreux événements qui vont la marquer. D’abord cette famille où elle arrive est plus nombreuse (avant elle vivait toute seule avec sa mère) : Il y a la grand mère (allemande), la gouvernante, le fils (chef d’entreprise, très souvent absent), sa femme, le jardinier, la petite fille Mina – 11ans, cousine de Tomoko, le frère de Mina, Ryuichi, est à la fois présent puisque l’on parle beaucoup de lui et absent puisqu’il vient de partir faire ses études en Europe.

Tomoko observe sa cousine, les grandes personnes et est témoin de nombreuses scènes qui la font grandir. Elle a à la fois le charme et la naïveté de l’enfance. Mina, quant à elle est une petite fille asthmatique qui fait régulièrement des séjours à l’hôpital, elle est également attachante et drôle (les deux filles font des parties de volley assez époustouflantes….).

De plus, par rapport à Tomoko et sa mère, sa famille « adoptive » est très riche : grande maison, Mercedès, grand jardin….

Cette année passée en compagnie de Tomoko et de Mina m’a enchantée :  des anecdotes sur le quotidien de cette famille, quelques incursions dans l’actualité (par exemple les JO de 1972 et la tragique prise d’otage qui s’est déroulée lors de ces JO…), des histoires que Mina invente pour oublier sa maladie….

J’ai beaucoup aimé l’attitude de Tomoko qui, dès le départ, remarque un « dysfonctionnement » dans cette famille. Sans  juger, elle agit pour donner un virage à la vie de cette famille…

En conclusion : Une histoire bienveillante mais pas du tout mièvre, un très bon moment…(en relisant mon billet sur « la formule préférée du professeur » , je me rends compte que j’avais utilisé le même terme : « bienveillance »)

Et voici l’extrait qui explique le titre :

 

Mina allait tous les jours à l’école primaire Y à dos de Pochiko, l’hippopotame nain.

C’est à cause de sa santé qu’elle n’allait pas à l’école primaire privée de Kobe que son frère aîné Ryuichi avait fréquentée. Qu’il s’agisse de l’autobus de ramassage scolaire ou de la Mercedes, l’odeur des gaz d’échappement était un des facteurs de ses crises. L’école Y avait été choisie parce qu’elle était la plus proche de la maison et que les allers et retours n’étaient pas une trop lourde charge. Elle se trouvait à environ vingt minutes de marche si l’on franchissaitm le pont Kaimori au-dessus de l’Ashiya. Le seul problème était la forte déclivité.

Avant d’entrer à l’école primaire, mon oncle avait négocié avec le directeur de l’école pour obtenir la permission que Mina fasse les allers et retours sur le dos de Pochiko. Il paraît que le directeur avait testé lui-même pour savoir si Pochiko était docile et si elle n’attaquait pas les gens. Il avait fait exprès de crier, de jeter çà et là des tranches de pain de la cantine et de lui tirer les oreilles, mais Pochiko avait conservé son calme en se contentant de renifler d’un air agacé. Elle avait passé le test avec succès.

C’est mon oncle qui avait fabriqué, en multipliant les essais et les échecs, les différents éléments pour transformer Pochiko en moyen de transport. Il avait utilisé comme selle une chaise de bébé dont il avait coupé les pieds, une ceinture comme collier et une cordelière et son gland d’embrasse de rideau comme laisse. Il avait réussi à réaliser la première selle pour hippopotame nain au monde. Le matin, mais monsieur Kobayashi installait Mina sur Pochiko pour l’emmener à l’école et après la classe, ils allaient l’attendre à la sortie. C’était devenu une habitude. Alors qu’il y avait une Mercedes aussi magnifique, je pensais que c’était dommage, mais je changeai d’avis aussitôt. Puisque Pochiko avait coûté le prix de dix Mercedes, Mina utilisait le véhicule le plus coûteux de la maison.

 

Lire sous la contrainte chez Philippe où la contrainte est « tout au féminin »