La petite marchande de prose – Daniel Pennac

Chapitre sept : l’apparition eu lieu dans les couloirs du retour. Car la première rencontre entre Clara et Clarence relève, oui, de l’apparition. C’était un soir de printemps. Un soleil feuille morte dorait les murs. Le vieux maton nous reconduisait  vers la sortie. Nos pas s’étouffaient dans le silence d’un long tapis cardinalice.  Il ne manquait que les paillettes de Walt Disney pour nous expédier main dans la main, Clara et moi, au paradis azur de toutes les réconciliations. Pour dire la vérité, j’avais hâte de me tirer. Qu’une prison ressemblât si peu à une taule chamboulait mon système de valeurs. Et je n’aurais pas été autrement étonné si le taxi diesel qui nous attendait à la sortie se fût métamorphosé en un carrosse de cristal tiré par cette race de chevaux ailés qui ne produisent jamais de crottin.

C’est alors que le prince charmant nous apparut.

Debout, long et droit, un livre à la main, au bout du couloir, sa tête blanche éclaboussée d’or par un rayon oblique.

L’archange soi-même.

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La petite marchande de prose – Daniel Pennac

Effacement – Percival Everett

Voilà un livre qui vaut le détour (livre recommandé par Ingannmic, son avis ici)

D’abord j’ai adoré la forme : un journal d’un écrivain américain qui livre à la fois ses impressions sur l’écriture et l’art et qui nous fait partager son quotidien : ses relations avec sa mère atteinte d’Alzheimer, ses relations avec ses frère et sœur, son éditeur, ses relations sentimentales …

Thelonious Monk Ellison (Monk pour ses amis) est un écrivain qui a publié des analyses érudites sur des auteurs grecs ou sur le « nouveau roman ».

Aux Usa, il a peu de succès car le fait qu’il soit noir fait que le public attend de lui une certaine littérature (une littérature « noire , comprenez : qui mette en avant des «noirs»)

J’ai la peau noire, les cheveux frisés, le nez épaté, certains de mes ancêtres étaient esclaves et j’ai été gardé à vue par des policiers pâlots dans le New Hampshire, l’Arizona et en Géorgie ; selon la société dans laquelle je vis, donc, je suis noir ; c’est ma race.

Un jour, il lit un extrait d’un livre (atroce) d’une femme noire « Not’ vie à nous au ghetto» et rédige une parodie (parodie qui est présente intégralement dans le livre), ce livre compte tout attente devient un best seller, et Monk se retrouve confronté à un cruel dilemme : perdre son honneur ou ne pas pouvoir subvenir aux besoins de sa mère dépendante..

Ce que j’ai le plus aimé dans ce livre est bien la surprise. On passe d’un épisode « réel » de l’auteur avec sa mère avec une discussion fictive (ou pas)  entre Hitler et Eckhart («Souvenez vous que vous êtes allemand. Gardez notre sang pur ») puis un épisode réel puis une discussion fictive (ou pas) de Rothko et Alain Resnais… sur la valeur artistique des rectangles, De Kooning et Rauschenberg sur la notion d’effacement du titre….

Puis on revient à des souvenirs d’enfance et de ce qu’il a vécu à 10 ans. Cela pourrait semble un peu foutoir mais pas du tout :  La transition entre tous ses « moments » est facilité par la typographie. A chaque changement de narration, le lecteur est « prévenu » par trois croix.

Bref, tout m’a plu dans ce livre le fonds et la forme, l’écrivain pris entre ses convictions sur le fait qu’un écrivain peut écrire sur tout et pas seulement sur le milieu d’où il vient et la dure réalité de la vie quotidienne.

J’ai eu un peu peur au début de ne pas arriver à finir (je n’ai pas compris un seul mot de la conférence sur le « nouveau roman » mais je crois que c’était fait exprès).

Autre tout petit bémol : le style de « Pataulogie », le livre dans le livre, est très « grossier », dans le sens bourré de clichés (étonnant que les lecteurs américains n’aient pas vu qu’il s’agissait d’une parodie tellement c’est gros!!!)…donc 80 pages un petit peu longuettes… mais si ce faux « livre » n’avait pas été inclus, il est presque certain que j’aurais regretté qu’il n’y soit pas….

Le point principal est qu’il remet en cause tous nos préjugés : En refermant ce livre, je m’aperçois que j’avais un préjugé sur ce livre : En voyant la couverture, et sans avoir lu la quatrième, je m’étais imaginé que le sujet était l’histoire d’un homme noir dans le couloir de la mort (qui allait donc être effacé)…Etrange non, ce préjugé juste sur la couverture?

En bref une excellente lecture qui réussit à mêler écriture, racisme, préjugés en tout genre , coming out, droit à l’avortement , Alzheimer et art sans paraître complètement superficiel …

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Livre recommandé par Ingannmic dans le cadre du « challenge 12 amis – 12 livres »

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Chez Loupiot et chez son ami Tom, de La Voix du Livre et aussi ici

La modification – Michel Butor

Il faudra donc que vous vous prépariez à les affronter, ces semaines et ces mois de mensonges, que vous renforciez cette volonté de vous taire, d’attendre, que vous entreteniez et surveilliez soigneusement votre flamme interne, que vous organisiez toutes vos ressources intimes en vue de ce long combat de résistance, tandis que vous dînerez au wagon-restaurant, regardant au travers des vitres noires peut-être brodées de milliers de gouttes de pluie dans chacune desquelles traînera une égarante lueur, surgir de l’ombre absolue, au passage des fenêtres du train éclairé, les talus couverts de feuilles pourrissantes, les fragments des troncs par centaines dans la forêt de Fontainebleau entre lesquels vous imaginerez entrevoir l’immense queue grise d’un cheval, semblable à une écharpe de brume déchiquetée par les branches nues et aiguës, entendre son galop par-delà le bruit des essieux et cette plainte, cet appel, cette objurgation, cette tentation : «Qu’attendez-vous ? »

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La modification – Michel Butor

 

Françoise SAGAN – Des bleus à l’âme

Destin étrange, que celui de l’écrivain. Il doit se mener les rènes courtes, à un pas bien accordé, l’échine droite, alors qu’idéalement il devrait faire le cheval fou, crinière au vent, gambadant par dessus des fossés ridicules, tels la grammaire, la syntaxe, ou la paresse, cette dernière étant une haie gigantesque.

Françoise SAGAN, Des bleus à l’âme

Citation rapatriée de mon ancien blog pour le mois des fous chez Monesille

 

Tout ce dont on rêvait – François Roux

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Lecture commune avec Edualc

Chronique moderne autour de Justine, de son mari Nicolas et de leurs enfants… Paris de 1990 à 2015…

Le début m’a énormément plu : L’auteur a su me captiver avec un portrait sans concession de Justine, 25 ans. Justine, ma presque jumelle, trois ans de plus que moi, un père tyrannique.

Sa rencontre avec Alex, puis avec Nicolas le frère d’Alex..

25 ans plus tard, on retrouve Justine et Nicolas mariés, mère de deux enfants une fille de 17 ans, un garçon de 12 (encore ma presque jumelle, Justine, j’ai une fille de 15 ans et un garçon de 10). Des interrogations intéressantes sur la vie, le couple, la confiance en soi…

Et puis  à un moment je ne sais pas lequel, ce livre m’a un peu plombée (peut être les 730 jours de chômage de Nicolas, ou la référence à l’attentat chez Charlie Hebdo ou la dépression de Nicolas, ou leurs problèmes d’usure de couple …).

Bref un avis mitigé entre un début qui m’a énormément plu et une moitié qui m’a un peu déprimée…

Trop proche de mon univers, Justine et sa famille…en même temps cela met en lumière pourquoi je lis …vivre d’autres vies que la mienne…

Incipit

À ce stade de son existence, l’unique certitude de Justine quant à la nature humaine résidait dans le fait que l’immense majorité des hommes, à commencer par son propre père, étaient à ranger sous l’index « sombres abrutis » de son petit répertoire psychosociologique personnel. Elle avait alors vingt-cinq ans, son expérience intime – onze années de galère sexuelle, d’abus de confiance, de faux départs, d’humiliation tous azimuts – l’ encourageait à cette catégorisation un rien abusive. Son aigreur envers les représentants de l’autre sexe ne constituait en réalité qu’une toute petite fraction de sa hargne, sa colère composait un diamant brut, facetté de milliers d’autres rancoeurs contre les abus de tout poil, les passe-droits et, d’une manière générale, contre un état du monde de plus en plus bancal : Justine était à cran.

 

Un deuxième extrait

– Est-ce que tu connais une seule personne de plus de quarante ans qui est ne serait-ce qu’un peu heureuse et équilibrée ? On fait tous avec, crois moi.

 

Journal d’une PAL

Salut c’était moi Palagie

Pas Pélagie hein, PALAGIE, je suis la PAL de Valentyne. On me voit sur la photo avec ma jumelle la Princesse Palatigne (un peu prout prout la Princesse mais bon on choisit pas sa famille)

Je suis sûre que vous vous demandez ce qu’il y a dans la PAL de Valentyne : pfttt et bien je dirais qu’il y à boire et à manger dans cette Pile à lire (elle écume subrepticement et en tout impunité les brocantes alors il y a moults livres jaunis et  à trois sous dans son escarcelle,  elle dépense sans compter avec des titres improbables où domine une certaine folie : folie primesautière avec « En attendant Bojangles (l’histoire d’une folle selon la quatrième de couv), la P respectueuse (je me demande bien qui est cette P ?  Pélagie la charette ma presque homonyme ? ),  les aventures du capitaine Alatriste – l’homme au brûle-pourpoint jaune d’un certain Arturo Reverte (non mais c’est quoi de titre à la noix comme si quelqu’un pouvait s’appeler Alatriste : un cousin du Chevalier à la triste figure ?  On choisit pas sa famille je vous dis)

Le problème avec Valentyne c’est qu’il n’y a pas de place chez elle et que moi et ma sœur nous sommes toutes éparpillées  dans la maison :Elle nous réunit de temps en temps pour une photo. Elle nous remonte une fois par mois à la parution du thème de l’agenda ironique :  il faut la voir dès potron-minet,  les 4 fers en l’air, en train de monter des tours de livres : d’un côté ceux en raccord avec le thème, de l’autre les livres qui devront attendre un mois voire plus pour être enfin considérés  (par exemple le mois d’avant le précédent elle a failli lire « le bal du dodo » pour Espèces d’espaces organisé par Carnets, mais je l’ai remis discrètement en dessous de la pile, un bal et puis quoi encore ?)

J’ai eu un peu peur à un moment de nous voir ainsi dressées dans le salon ma sœur et moi alors que dans la pièce d’à côté il y a un avion Playmobil en parfait état de marche. Je ne suis pas pleutre mais je suis sûrement influencée par le fait que dans moi même il y a un livre sur le 11 septembre (Beigbeder – Windows of the World), j’en ai pâli d’effroi.

Voilà donc ce mois ci Valentyne a démarré des recherches Paléolithiques pour trouver un livre sur la folie (dommage qu’elle ait lu Martien go home le mois dernier : il y avait une belle palanquée de fous dans ce bouquin)

Bon avec un sujet pareil la folie je subodore que c’est pas demain que je vais me débarrasser des quelques romances qui me servent de fondations. Bon sur ce, je vous laisse, j’entends Valentyne qui a fini ses ablutions post-goûter : faudrait pas qu’elle me chope à écrire ces galéjades elle pourrait se rechoper un accès de paludisme, voire me clouer au palori (je vous en recause incessamment sous peu)

Je vous embrasse

Lectureusement votre

Votre respectueuse Pal toquée

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Ma participation à l’agenda ironique organisée par Monesille avec pour thème : « Les fous, bouffons et autres amuseurs public, les fous-rires, l’espoir fou, enfin quoi Mars sera le mois des fous ! »

Ma participation au jeu de la licorne où il fallait écrire un texte désuet avec au moins 10 de ces 20 mots :

ablutions, brûle-pourpoint, calembredaines, callipyge, chafouin, escarcelle, fustiger, galéjade, gougnafier, gouleyant, mirifique,

moult, paltoquet (détourné l’avez vous vu ? ), potron-minet , pleutre, primesautier, pusillanime, rodomontades, subrepticement,subodorer

Erik Orsenna – Les chevaliers du subjonctif

– Et maintenant, cap au 190, sur l’île des fous !

– Quel genre de folie ?

– Pour ça nous ne réservons la surprise. Et tu ne seras pas déçue, foi de cartographe. Alors Jean Luc, que nous dit la météo ?

– Des turbulences, comme toujours là bas.

Quelle était donc cette folie des habitants assez grave et puissante pour désordonner l’air ?

Décidément, cette nouvelle destination me mettait la puce à l’oreille. D’autant plus que le paysage s’annonçait somptueux : une chaîne de petites montagnes très aiguës qui plongeaient à pic dans la mer.

Mes deux compagnons avaient repris leur éternel débat d’anciens jockey : qu’y a-t-il de plus noble, de plus glorieux, l’obstacle ou le trot, le courage de sauter des haies ou des rivières ou l’intelligence nécessaire pour garder dans l’allure une tonne de muscle ? Ils m’avaient oublié. Je m’endormis. Mieux vaut prévenir mon futur mari (encore à rencontrer) : quand on m’oublie, je m’endors. A l’instant même et n’importe où : à table, en classe, sur la plage… quand je n’existe plus pour les autres, je préfère le sommeil. Au moins lui me prend dans ses bras et m’offre, rien que pour moi, le cinéma de mes rêves. S’il ne veut pas vivre avec une marmotte, ce futur mari, qu’il n’oublie jamais de faire attention à moi. A bon entendeur, salut !

Erik Orsenna – Les chevaliers du subjonctif

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Citation rapatriée de mon ancien blog en l’honneur du mois des fous chez Monesille

Le jour où ….j’ai cru être la réincarnation de Fredric Brown

Le jour où après plusieurs mois sans idées neuves niveau écriture, j’ai une idée (cf ici) et bien une recherche wiki m’a dit que cette idée a déjà été traitée par Fredric Brown que je « connais depuis peu . Voici l’extrait de Wiki  : « Dans le recueil de nouvelles Fantômes et Farfafouilles de Fredric Brown, la nouvelle « l’hérésie du fou » est en fait une partie d’échecs vue par un fou d’échecs (bishop en anglais). Tout le long de la narration en point de vue interne, une atmosphère de guerre moyenâgeuse s’impose à l’esprit du lecteur »…ça m’a un peu coupée dans mon élan …

 

« Le jour où » est une idée chez CarnetsParesseux

 

Crazy Horse

Ils disent que je suis fou, fuyant, incapable d’aller droit au but mais ce sont eux les paltoquets….

Tenez par exemple, l’autre jour, le type en face me narguait, l’air chafouin, car j’étais un peu coincé et je ne pouvais plus me mouvoir, j’étais cerné….Cela arrive aux meilleurs… Après moultes contorsions et après avoir donné du coude en veux tu en voilà j’avais fini par me rapprocher de sa Majesté. J’allais l’attaquer subrepticement dans les règles de l’art quant à brûle-pourpoint l’autre gougnafier de Crazy-Horse  s’est intercalé et m’a forcé à reculer (enfin je devrai dire gougna-fière je pense parce que le Crazy-horse du camp adverse est en fait une jument – callipyge de surcroît – fière comme un paon – ou une paonne).

Mais ils ne perdent rien pour attendre les autres poltrons-minets. Ils veulent me snober ? moi ? Ils me prennent pour un pion alors que moi,  Jekill Bishop de La Tchèque en bois, je suis un digne descendant d’Agilulfe-Edme-Bertrandinet des Guildivernes et autres de Carpentras et Syra du côté de mon père et de Dulcinea del Toboso de la Cervantesse du côté de ma mère ?

Foin de leurs calembredaines. Je ne me laisserai pas fustiger sans défendre mon honneur par une bande de pleutres qui font des courbettes à une monarchie pour qui rodomontades rime avec galéjades.

Et l’autre en face qui me regarde en biais, je vais lui rendre la monnaie de sa pièce à ce fou-monnayeur, le hisser pendu haut et court au mat de misaine. Crazy-Horse aura beau s’intercaler, se dandiner, prendre la tangente, moi j’irai droit au but et …paon dans sa face.

Et après je n’en ferai qu’une bouchée de cette reine d’albâtre et une fois celle-ci dans mon escarcelle, à moi les sommets, j’éliminerai le roi et ce n’est pas l’autre Crazy Horse qui m’en empêchera ! Foi de fou !

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Un petit selfie : je suis le troisième en partant de la gauche (votre gauche)

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Ma participation à l’agenda ironique organisée par Monesille avec pour thème : « Les fous, bouffons et autres amuseurs public, les fous-rires, l’espoir fou, enfin quoi Mars sera le mois des fous ! »

et d’une pierre deux fous, ma participation au jeu de la licorne où il fallait écrire un texte désuet avec au moins 10 de ces 20 mots :

ablutions, brûle-pourpoint, calembredaines, callipyge, chafouin, escarcelle, fustiger, galéjade, gougnafier, gouleyant, mirifique, moult, paltoquet, potron-minet (détourné), pleutre, primesautier, pusillanime, rodomontades, subrepticement,subodorer

 

Délivrances – Toni Morrison

delivrance

Etats- Unis de nos jours (1993-2013).

Délivrances – au pluriel. Le titre est très bien trouvé pour ce roman choral. Dans un récit aux chapitres qui se répondent les uns aux autres, l’auteur nous raconte   la difficile enfance de Lula Ann, qui a eu le malheur de naître « très très noire » dans une famille où la mère et le père pouvaient paraître quasiment « blancs ». La mère cherchera à étouffer Lula Ann à la naissance, le père quittera le foyer familial à ce moment-là, persuadé de l’infidélité de sa femme.

Vingt ans plus tard, Lula Ann a réussi dans sa vie professionnelle ; elle est cadre dans une grande entreprise de cométiques, roule en jaguar, s’habille chez de grands couturiers, a changé de prénom et se fait appeler Bride « fiancée » . C’est un portrait très touchant de cette jeune femme qui est à la fois si sûre d’elle dans sa vie professionnelle et si désarmée dans sa vie privée. J’ai aimé aussi rencontrer et avoir la version de la délivrance des deux autres personnages : Sofia, l’institutrice que Lula Ann a contribué à envoyer en prison, et Booker le petit ami qui la quitte un jour sans crier gare. Bride va mener son enquête pour comprendre les raisons de cette fuite …pour finir par se retrouver : leur délivrance sera commune.

Un roman très dense, où on ressort plein d’espoir.

J’avais six ans et je n’avais encore jamais entendu les mots « négresse » ni « salope », mais la haine et la répugnance qu’ils contenaient se passaient de définition. Exactement comme par la suite, à l’école, quand on me soufflait ou me criait d’autres insultes, aux définitions mystérieuses mais au sens limpide. Noiraude. Topsy(1). Face de charbon. Sambo (2).  Ooga booga. Ils faisaient des bruits de primates et se grattaient les côtes en imitant les singes du zoo. Ils me traitaient comme un phénomène de foire, étrange, salissant comme de l’encre renversée sur du papier blanc. Je ne me plaignais pas à l’institutrice pour cette même raison qu’avait eue Sweetness de me mettre en garde au sujet de M.Leigh : je pouvais être temporairement exclue, voire renvoyée. Donc je laissais les injures et les brimades circuler dans mes veines comme du poison, comme des virus mortels, sans antibiotiques à ma disposition. Ce qui, en fait, était une bonne chose maintenant que j’y pense, parce que j’ai développé une immunité tellement forte que la seule victoire qu’il me fallait remporter, c’était de ne plus être une « petite négresse ».  Je suis devenue une beauté profondément ténébreuse qui n’a pas besoin de Botox pour avoir les lèvres faites pour être embrassées, ni de cure de bronzage pour dissimuler une pâleur de mort. Et je n’ai pas besoin de silicone dans le derrière. J’ai vendu mon élégante noirceur à tous ces fantômes de mon enfance et maintenant ils me la payent. Je dois admettre que forcer ces bourreaux – les vrais et d’autres comme eux – à baver d’envie quand ils me voient, c’est plus qu’une revanche. C’est la gloire.

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(1) Toute jeune esclave noire, dans le roman de Harriet Beecher Stowe, La case de l’oncle Tom (1852)

(2) Héros du livre pour enfants écrit par Helen Brodie Bannerman, Sambo le petit noir (1889)

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Livre recommandé par Emilie dans le cadre du « challenge 12 amis – 12 livres »

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Chez Loupiot et chez son ami Tom, de La Voix du Livre et aussi ici