Au début des années 60 le ministre était un jeune employé des Postes à Luanda. Il tenait la batterie dans un groupe de rock, les Innommables. Il s’intéressait davantage aux femmes qu’à la politique. Ça c’est la vérité, ou plutôt, la vérité prosaïque. Dans le livre, le ministre révèle que déjà à cette époque il se consacrait à l’activité politique, combattant dans la clandestinité, dans la clandestinité totale, même, le colonialisme portugais. Encouragé par le sang impétueux de ses ancêtres – il se réfère souvent à Salvador Correia de Sá e Benevides – il avait créé à la poste une cellule de soutien aux mouvements de la libération. Le groupe s’était spécialisé dans la distribution de tracts glissés dans la correspondance adressée aux fonctionnaires coloniaux. Trois de ses membres, dont le ministre, avait été dénoncé à la police politique portugaise et emprisonnés le 20 avril 1974. Cinq jours plus tard, la révolution des œillets leur avait sans doute sauvé la vie.
L’histoire est vue par les yeux des trois principaux protagonistes. Commençons par Miên : elle rentre un jour chez elle avec les femmes de son village, après une dure journée de labeur dans les champs. Elle découvre un attroupement devant chez elle : son premier mari, Bôn, déclaré mort à la guerre, vient de réapparaître après 14 ans d’absence. Pour tout le village, peu importe que Miên soit maintenant mariée avec Hoan et aie un petit garçon de cinq ans : elle « appartient » à son premier mari. Le poids des conventions est énorme : Miên a pour devoir de reprendre la vie commune avec son premier mari, celui ci est un héros de guerre, la société lui doit respect et Miên sera donc « condamnée » à vivre dans la masure de cet homme (revenu très diminué par la guerre).
Le deuxième protagoniste est Bôn et même si je comprends sa passion pour Miên, j’ai eu du mal à comprendre sa façon de réagir : il n’a pour moi pas toute ses facultés de jugement (dû aux traumatismes de la guerre). Ses souvenirs de cette période (et notamment de la mort de son sergent sont très émouvants).
Hoan, le deuxième mari, est quelqu’un avec un caractère entier. Il met du temps à accepter la situation (ou plutôt à trouver une solution à une situation qui paraît inextricable), l’histoire se deroule sur deux ans… Avec Miên, c’est un personnage lumineux et courageux, qui prend la vie à bras le corps. Il est à la fois un homme mûr, un père aimant, un mari attentionné et un homme d’affaire efficace.
En parallèle de ces trois trajectoires, j’ai aimé ce périple dans ce pays aux multiples talents culinaires et aux paysages flamboyants.
Un roman qui m’a intéressée même si je n’ai pu m’identifier à aucun des personnages : leur soumission aux règles fixées par leur communauté est trop éloignée de ma vision de la vie et de l’épanouissement personnel.
Un extrait
Les matins d’automne, la vallée se couvre de fleurs vert foncé, minuscules comme des gouttes de rosée. Ce sont sans doute les plus éphémères des fleurs. Elles ne vivent que quelques heures. Vers sept heures ou sept heures et demie, le soleil d’automne sèche les herbes, les boutons commencent à s’ouvrir. Vers huit heures, les fleurs s’épanouissent, elles vivent quelques instants la plénitude de leur extraordinaire beauté. Elles fleurissent en grappes, dansent comme des milliers et des milliers de gouttelettes vertes sur les feuillages épais, d’une blancheur de marbre, illuminés par des reflets d’argent velouté. Vers dix heures ou dix heures et demie, les pétales graciles se fanent, se fripent, s’enroulent. À midi juste, les cinq pétales froissés, ratatinés, se tassent en un point noir. Aucun peintre n’a encore réussi à rendre le vert étrange de cette fleur, aucun poète n’a encore su décrire sa beauté chimérique.