En mars, mois de l’Europe de l’Est

Le mois de l’Eurore de l’est est organisé par Eva, Patrice et Goran. Il se déroule en mars et les 20 pays suivants sont mis à l’honneur :  Albanie / Biélorussie / Bosnie-Herzégovine / Bulgarie / Croatie / Estonie / Hongrie / Lettonie / Lituanie / Moldavie / Monténégro / Pologne / République de Macédoine / République tchèque / Roumanie / Russie / Serbie / Slovaquie / Slovénie / Ukraine

J’ai fouillé dans les archives et voilà quelques livres que je recommande :

Albanie : Le palais des rêves – Ismail Kadaré

Bulgarie : Abraham le poivrot – Angel Wagenstein 

Estonie : Purge – Sofi Oksanen  (auteure finlandaise dont la mère est estonienne et le roman se passe en Estonie)

Hongrie : Le grand cahier – Agota Kristof 

Pologne : Sur les ossements des mots – Olga Tokarcsuk

République tchèque – Le cavalier Suédois – Leo Perutz 

Roumanie : Animal du coeur – Herta Müller

Russie : Les frères Karamazov – Fiodor Dostoievski

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Sur ce, je file à la bibli pour trouver la perle rare

Et vous une suggestion de lecture d’un auteur de ces 20 pays  ? 

Top Ten Tuesday : les 10 romans que vous aimeriez relire

Le Top Ten  Tuesday est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire prédéfini. Ce rendez-vous a initialement été créé par The Broke and the Bookish et repris en français pour une 2e édition sur le blogue Frogzine.

Le TTT de la semaine est : « les 10 romans que vous aimeriez relire »

1 – Aucun souvenir assez solide d’Alain Damasio : Mince ça commence mal, c’est un recueil de nouvelles pas un roman ! pas grave à relire !

2 – Les piliers de la terre de Ken Folett (lu il y a longtemps avant le blog)

3 – L’aveuglement de José Saramago (pas de billet mais 2 citations ici et ici)

4 – L’homme à l’envers de Fred Vargas (mon préféré de l’auteure)

5 – Le voyage d’Anna Blume de Paul Auster

6 – La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaetan Soucy

7 – Au bonheur des dames d’Emile Zola

8 – La passion des femmes de Sébastien Japrisot (lu ado et trouvé il y a peu dans la boîte à livres de mon village)

9 – Le monde selon Garp de John Irving (lu l’année de mes 18 ans)

10 – La jument verte de Marcel Aymé (si, si je ne l’ai lu qu’une fois)

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L’an dernier, j’ai relu la Saga Malaussène …indispensable 🙂

Petit Pays – Gaël Faye

Cet après-midi là, on vadrouillait dans le quartier pour cueillir des mangues. On avait abandonné la technique qui consiste à lancer des pierres pour les décrocher des arbres le jour où Armand avait envoyé un caillou un peu trop loin et avait endommagé la carrosserie de la Mercedes de son père. Son vieux lui avait infligé une correction mémorable. Depuis le fond de l’impasse jusqu’à la route de Rumonge, ses cris avaient résonné en écho au sifflement du ceinturon. Après cet épisode, nous avons fabriqué de longues perches, surmontées de crochets en fil de fer, maintenus par des vieilles chambres à air. Les tiges faisaient plus de six mètres et nous permettaient de décrocher même les mangues les plus inaccessibles. Le long de la route asphaltée, quelques automobilistes nous ont insultés à cause de nos dégaines. Pieds nus, torses nus avec nos perches qui raclaient le sol et nos tee-shirts qui servaient de baluchons pour les mangues récoltées, on avait une drôle d’allure. 

Une dame élégante, probablement une amie des parents d’Armand, est passée devant nous. En reconnaissant Armand avec son ventre à l’air et ses pieds pleins de poussière, elle a levé les yeux au ciel et fait un signe de croix : « Mon Dieu ! Rhabille-toi vite, mon enfant. Tu ressembles à un petit voyou des rues. » Les adultes, parfois, étaient trop drôles.

De retour dans l’impasse, nous avons été attirés par de grosses mangues qui pendaient  dans le jardin des Van Gotzen. Avec les perches, nous avons réussi à en tirer quelques unes depuis la route, mais les plus appétissantes étaient bien trop loin. Il aurait fallu escalader le muret, mais on avait peur de tomber sur Monsieur Van Gotzen, un vieil allemand un peu fou, collectionneur d’arbalètes, qui avait fait de la prison une première fois pour avoir uriné dans le repas de son jardinier – car ce dernier avait osé demander une augmentation de salaire – et une seconde fois pour avoir enfermé son boy dans le congélateur car il lui reprochait d’avoir carbonisé ses bananes flambées. Sa femme, plus discrète et plus raciste encore, jouait tous les jours au golf sur le terrain de l’hôtel Méridien et était présidente du cercle hippique de Bujumbura, où elle passait l’essentiel de son temps à s’occuper de son cheval, un magnifique pur-sang à la robe noire luisante. Leur maison était la plus belle de l’impasse, la seule à posséder un étage et une piscine mais on préférait l’éviter.

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Petit Pays – Gaël Faye

Le jour où …..j’ai redécouvert la « minute nécessaire de Mr Cyclopède »

Source photo : Wikipedia 

Pour faire mes recherches pour « le conte de la minute » (oui je fais des recherches quasiment scientifiques pour les quelques histoires qui figurent sur ce blog), j’ai redécouvert « La fameuse minute nécessaire de  Mr Cyclopède ».

Pour info et pour ceux qui l’ignoreraient : « La Cyclopède est une machine consistant à faire marcher un cheval sur une chenille de char pour faire avancer l’ensemble. Cette machine présentée au concours de la machine locomotive de Liverpool le 7 octobre 1829 n’a jamais été construite. On ignore si cette machine est réellement la source de l’inspiration de Desproges pour son professeur extravagant. » Source WIKI

J’ai aussi réappris que P Desproges nous avait quitté le 18 avril 1988 (Pétard, 30 ans bientôt…)

Alors j’ai eu l’idée d’un petit hommage ce 18 avril. Qui est partant ?

Le but est d’écrire un petit texte inspiré d’un des 98 titres de cette « minute ».

Vous pouvez trouvez les titres ici  ou sur le site de l’INA

Parmi les titres qui me font de l’oeil :

  1. Chassons le naturel pour savoir s’il revient (24/02/1983)
  2. Sachons reconnaître un centaure d’un percheron  (09/02/1984)
  3. Maitrisons un escargot forcené (14/12/1982)………..

Si aucun titre ne vous motive, vous pouvez inventer votre titre de « minute » en respectant la consigne « Le titre de chacun des épisodes est une phrase à l’impératif présent, à la première personne du pluriel ».

Je récapitule : Publions notre minute de Mr Cyclopède le 18 avril 2018 (je ferais un billet récapitulatif si vous laissez un lien sur ce billet ou si vous m’envoyez votre texte par mail pour ceux qui n’ont pas de blog fixe)

Bon dimanche 🙂

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Le jour où chez CarnetsParesseux

Underground Railroad – Colson Whitehead

XIXème siècle, Sud des Etats Unis – La première fois que Caesar a proposé à Cora de s’enfuir de la plantation où ils sont esclaves tous les deux, celle-ci a dit non, pas suicidaire, et puis un élément a fait changer la donne. Du jour au lendemain, elle ne peut plus rester à la plantation, sa vie déjà précaire et misérable est encore plus en danger parce qu’elle s’est opposée au propriétaire de la plantation, un « fou furieux ». Elle part donc avec Caesar, commence alors une fuite à travers la Caroline-du-Nord, la Caroline-du-Sud…Les deux fugitifs vont être aidés par des abolitionnistes, des « chefs de gare » du fameux réseau « Underground Railroad ».

L’évasion réussit remarquablement bien mais c’est sans compter Ridgeway, un chasseur d’esclaves évadés qui se lance aux trousses des deux amis.

Ensemble, ils (les chasseurs d’esclaves) filaient les fugitifs pendant des jours, se planquaient devant leurs lieux de travail jusqu’à ce que l’occasion se présente de passer à l’action, entraient la nuit par effraction dans leurs taudis de nègres pour les kidnapper. Après des années passées loin de la plantation, ayant pris femme et fondé une famille, ils s’étaient persuadés qu’ils étaient libres. Comme si un propriétaire pouvait oublier son bien. Leurs illusions en faisaient des proies faciles.

La majeure partie de l’histoire est vu au travers des yeux de Cora, qui petit à petit se reconstruit, prend confiance, apprend à lire…. et on a aussi dans quelques chapitres la vision Caesar et de tous les autres, le petit Chester et la maman de Cora en filigrane :  celle-ci a réussi à s’enfuir quand Cora avait 11 ans, l’abandonnant ainsi à la misère de la plantation. Il résulte de cela une haine de Cora pour sa mère qui l’a abandonnée.

C’est un roman très émouvant sur la vie dans les plantations mais surtout sur le désir de s’enfuir :  si les esclaves en fuite se font rattraper c’est la peine de mort assurée avec au préalable tortures publiques pour décourager les autres esclaves d’en faire autant.

Cora connaissait bien son côté douillet, mais elle découvrait l’autre facette de son amie, cet élan qui l’avait gagnée et poussée à s’enfuir. Même si tout esclave y songe. Le matin, l’après-midi, la nuit. Tout esclave en rêve. Chaque rêve est un rêve d’évasion quand bien même ça ne se voit pas.

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Chez Enna 

 

Rien ne s’oppose à la nuit – Delphine de Vigan

J’étais entrée en troisième dans le collège de la rue Milton, auquel je me rendais par le bus. Loin de Tadrina et de notre complicité enfantine, l’adolescence m’apparaissait comme un véritable chemin de croix : je portais un appareil dentaire que mes cousins appelaient la centrale nucléaire, j’avais des cheveux frisés impossibles à discipliner, des seins minuscules et des cuisses de mouche, je rougissais dès que l’on m’adressait la parole et ne dormais pas de la nuit à l’idée de devoir réciter une poésie ou présenter un exposé devant la classe. Dans cet environnement parisien qui m’intimidait  tant, afin de me donner une contenance, je m’inventai un personnage de jeune fille triste et solitaire, rongée par un drame secret, et refusai toute invitation susceptible de me distraire de mon tourment. Manon, qui était en CM1 dans une école du quartier et dont la plupart des amies étaient juives, prétendit qu’elle l’était aussi, s’inventa des fêtes religieuses et d’intenses prières. Pour expliquer la forme de son visage (large et lisse, à la Faye Dunaway), Manon raconta à qui voulait l’entendre ce jour où, galopant à grande vitesse sur un cheval indocile, elle avait percuté un arbre.

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Rien ne s’oppose à la nuit – Delphine de Vigan

 

Last minute ….. Agenda ironique

Le conte de la minute 

Il était une fois une jeune minute qui avait beaucoup d’ambition. Elle avait passé son enfance à lire : « A la recherche du temps perdu », « 24 heures dans la vie d’une femme »…, elle avait étudié la sculpture, la peinture, surtout Andy Warhol qui promettait à tous son quart d’heure de gloire. Mais quel souci a donc une minute d’accéder à un quart d’heure de gloire alors qu’elle sait pertinemment qu’elle ne va vivre que 60 secondes ?  (moins de temps que vous n’avez mis à lire jusqu’ici, mais le temps des minutes n’est pas le temps des humains)

Notre minute atteignant sa plénitude de minute adulte (fixée à 40 secondes ou aussi appelée quadragésime), elle sentait son horloge biologique la démanger. Il ne lui restait finalement que peu de temps pour passer à la postérité : ces ancêtres avaient connu leur gloire juste après leurs 40 secondes : sa grand-mère avait vécu le 22/11/1963 à Dallas à exactement 12h30’42’’ CST OU 18 h 30 min 42 ‘’ UTC, sa mère avait explosée le 11/09/2001 à 9h03 (heure de New York)…. Il ne faut cependant pas croire que la famille de notre minute soit marquée par la fatalité et les drames, par exemple sa grande sœur était présente lors de la libération de Nelson Mandela le dimanche 11 février 1990 à 15h00 (90 minutes de retard sur l’emploi du temps prévu), une aïeule s’était rendue immortelle lors du mariage de Sissi le 24 avril 1854 à 18h00.

Bref dans sa famille on était célèbre de mères en filles (les minutes se reproduisent par scissiparité depuis le mariage cité précédemment – NDA ). Papillon, ainsi était surnommée notre minute depuis son plus jeune âge, se rappelait également de ses  98 cousines, sœurs presque jumelles, qui constituaient la flotte de Pierre Desproges, jumelles plus célèbres sous leur nom de « minutes de Mr Cyclopède », championnes de la truculence et de la dérision. Sans compter aussi la tirade de son arrière grande tante Minutie, minute du procès de Louis XVI, qui avait dit « La parole est d’argent et la minute de silence est de tringueld »

Bref, la pression était énorme sur notre amie.

Papillon alla donc devant le Grand Horloger et comme le temps nous est compté, je vous passe la description et vous met juste sa dernière photo connue :

La minute expliqua alors rapidement (le temps lui était conté) son ambition.

Le grand horloger ouvrit son grand bec et lui tint à peu près ce langage :

– Si tu arrives à répondre à ces 3 énigmes, je ferais de toi la minute la plus célèbre du 21ème siècle !

La minute hocha la tête sûre d’être gagnante à ce jeu qui lui paraissait simple.

– Il n’y en a qu’un seul dans une minute, deux dans une heure et il n’y en a aucun dans un jour. Qui suis-je ? ânonna le pélican.

– Facile ! répondit la minute qui avait une répartie digne d’une cocotte (minute ?). Il s’agit du E, de la lettre E pour être précise car une minute se doit d’être précise, acheva-t-elle, essoufflée, (quincagésime la minute).

– Bravo,  dit le pélican. Plus dur maintenant : Je ne marche pas, je ne vole pas, je ne nage pas pourtant personne de peut me retenir plus d’une minute. Qui suis-je ?

– C’est digne de la maternelle, se rengorgea notre minute. Il s’agit de la respiration même si quand même quelques sportifs arrivent à retenir leur respiration plus d’une minute et…

– Ok ok !! la coupa le pélican, un peu vexé de la rapidité de cette minute insolente. Plus dur alors : Quatre personnes doivent traverser un pont en un minimum de temps. Chacune d’entre elles marche à une vitesse maximale donnée. Appelons 1, la personne qui peut traverser le pont en 1 minute, 2 celle qui le traverse en 2 minutes, 5 celle qui le fait en 5 minutes et 10 celle qui le traverse en 10 minutes. Ces quatre personnes n’ont en tout qu’une torche et il est impossible de traverser le pont sans torche. Le pont ne peut supporter que le poids de 2 personnes. Dans quel ordre doivent traverser ces quatre personnes et combien de minutes mettent elles ? (1)

Notre minute blêmit, elle avait toujours été nulle à l’école avec ces histoires de trains qui partent d’un point A et d’un point B et où il fallait trouver le point C en calculant qu’une Micheline roule à 30 km / heure (soit 0.5 km par minute) et qu’un tgv à 300 km/h (idem pour les histoires de plombiers, de robinets et de baignoire…). Elle n’aimait que les maths modernes, la trigonominuterie et tutti quanti….

Alors Papillon fit tête basse et dit humblement, « je crois que je vais finir minute de silence …. »

 

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(1) Bon pour la devinette, elle est facile, je vous laisse 4 heures 😊

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L’agenda ironique est chez Max Louis avec comme thème « le conte » et 4 mots imposés Quadragésime, tringueld, gagnant, truculence

Le conte de la minute trouve sa source d’inspiration ici 

 

Intérieur nuit – Marisha Pessl

 

Voilà un roman policier qui m’a beaucoup plu.  Au départ une idée assez classique : Ashley, une jeune fille de 24 ans est retrouvée morte dans un immeuble désaffecté : un suicide ? un meurtre?

Scott un journaliste enquête.  Jusque-là rien de bien original, ce qui m’a beaucoup plu c’est la profondeur des personnages : Scott, d’abord, un père un peu paumé qui a divorcé de sa femme et qui a entamé une longue descente aux enfers pour s’être attaqué à un homme Cordova, réalisateur très célèbre de films d’horreur. Il est ensuite tombé dans un piège, il est totalement discrédité maintenant dans son métier de journaliste. Ashley la jeune fille morte est la fille du fameux Cordova, et Scott a rencontré cette jeune fille peu de temps avant sa mort : hasard ?

Ce roman mêle le réel avec le fantastique : un moment on se croit en plein rite vaudou ou même dans un film d’horreur (paranoïa garantie).

Les trois personnages principaux qui enquêtent sur la mort d’Ashley ne savent plus où donner de la tête entre rationalité et « preuves » de magie noire.

Scott rencontre sur les lieux du crime Hopper, un jeune homme qui lui raconte des souvenirs de « colo » avec Ashley, enfin cool, plutôt « centre de redressement » pour jeunes à la dérive, on se demande bien ce qu’elle a pu faire pour aller dans ce camp pour jeunes délinquants.  On apprendra plus tard plusieurs versions de ce qui s’est passé, Une même scène est racontée par plusieurs personnages différents et on peut ainsi recouper et faire la part entre l’imagination de chaque personnage et l’interprétation qu’ils ont eu des mêmes faits.

Tout cela pour dire que les personnages sont très ambigus, tous, et c’est là que réside l’intérêt. En plus de bâtir un portrait d’un certain Cordova que l’on ne verra pas ou alors peut-être qu’on le verra mais est-ce vraiment lui ?

En résumé une enquête palpitante qui m’a beaucoup plu où on voit clairement évoluer les personnages surtout Scott, Hopper  un ancien ami d’Ashley et ma préférée Nora, la jeune fille qui aide Scott dans son enquête.

Un extrait

L’intrigue du film était simple – il en allait presque toujours ainsi chez Cordova, qui avait recours aux procédés de l’odyssée ou de la traque. Elle était adaptée d’un obscur roman néerlandais, Ademen Met Koningen, écrit par August Hauer. Les membres de la famille Stevens, aussi fortunée que corrompue – un sublime clan de Caligulas décadents dans un pays européen non identifié -, se font méthodiquement massacrer, l’un après l’autre, sans que la police n’y comprenne rien. Alors que l’inspecteur chargé de l’enquête finit par arrêter un clochard, l’ancien jardinier de la famille, l’ultime rebondissement du film nous révèle que l’assassin est en réalité le plus jeune enfant de la famille, la muette et vigilante Gaetana, huit ans – jouée, bien entendu par Ashley. Le temps que le policier reconstitue le sinistre puzzle, il est trop tard. La petite fille a disparu. La dernière scène la montre en train de marcher le long d’une route, où elle monte dans les break d’une famille en vadrouille. Comme dans tout film de Cordova qui se respecte, l’ambiguïté demeure : cette famille est-elle vouée à  connaître le même sort funeste que la sienne, ou la petite fille se fait-elle simplement passer pour une orpheline afin d’ être élevée par une famille plus heureuse ? 

– « Comment est-ce que tu as réussi à voir Respirer avec les rois ? »

Nora avait terminé l’inscription aux Blackboards et appuyé sur Je suis prêt. Nous attendions de voir si la page se chargerait. 

– Moe Gulazar, me répondit-elle. 

– Qui est Moe Gulazar ? 

– Mon meilleur ami. »

Elle souffla pour chasser une mèche de son visage. « Un vieux dresseur de chevaux qui vivait au fond du couloir. Il adorait tout ce que faisait Cordova. Comme il avait aussi des contacts sur le marché noir, un jour il a échangé tous ses trophées équestres contre les films interdits. Il organisait tout le temps des projections clandestine, à minuit, dans la salle des loisirs. » Elle me regarda. « Moe avait trois talents. 

– Il savait chanter, danser et jouer ? « 

Elle secoua la tête. « Il parlait l’arménien, il montait des étalons, et il se travestissait en femme. 

– En effet, ça demande un sacré talent. 

– Quand il se déguisait, même toi, tu aurais cru que c’était une femme. 

– Parle pour toi. 

– Il disait toujours que, quand lui disparaîtrait, ce serait la fin d’une espèce rare. « Il n’y en aura plus jamais des comme moi, ni en captivité ni en liberté. C’était sa devise.

– Où est ce bon vieux Moe aujourd’hui ? 

– Au paradis. »

Elle dit cela avec une telle certitude mélancolique – ça aurait aussi bien pu être Bora Bora. 

« Il est mort d’un cancer de la gorge quand j’avais quinze ans. Il n’arrêtait pas de fumer des cigarillos depuis qu’il avait douze ans. Il avait grandi autour d’un champ de courses. Il m’a légué toute sa garde-robe. Du coup, il est toujours avec moi. »

Elle se contorsionna et  dégagea son bras de l’énorme cardigan en laine gris pour me montrer une étiquette rouge cousue sur le col et couverte de belles lettres noires : « PROPRIETE DE MOE GULAZAR ». 

Ainsi donc derrière sa flamboyante garde-robe se cachait un vieux travesti arménien. Dans un premier temps, je me dis qu’elle affabulait : elle avait sans doute trouvé chez Goodwill un carton rempli de vêtements portant toute la même étiquette mystérieuse, puis inventé  un scénario délirant pour expliquer comment elle les avait récupérés. Mais lorsqu’elle replongea son bras dans la manche, je vis qu’elle avait le visage tout rouge. 

« Il me manque tous les jours, dit-elle. Je trouve ça horrible que les gens qui nous comprennent vraiment soit ce dont on ne peut pas profiter longtemps. Alors que ceux qui ne nous comprennent pas du tout restent là. Tu as déjà remarqué ? 

– Oui. « 

C’était peut-être vrai, du coup. De toute façon s’il fallait choisir entre croire en l’existence d’un dresseur de chevaux arménien travesti et ne pas y croire, autant y croire.

 

Le mois du polar est chez Sharon

Ce que je sais de Vera Candida – Véronique Ovaldé

À partir de ses cinq ans et jusqu’à son départ de l’île, Vera Candida vécut avec sa grand-mère Rose. Celle-ci l’avait récupérée la fois où elle s’était rendu compte que, non contente de ne pas avoir alimenté sa fille pendant trois jours, Violette ne l’avait pas non plus transportée chez le docteur de Vatapuna alors que l’enfant avait une fièvre de jument. 

Ce jour là, Rose Bustamente était entrée chez Violette pour lui apporter quelques papayes et du linge lavé repassé. Elle avait demandé à voir la petite et Violette qui se peignait les ongles en louchant lui avait fait un signe évasif du menton vers la chambre qu’elle partageait avec sa fille, Je ne sais pas ce qu’elle a, elle dort tout le temps. Rose avait soulevé le rideau qui séparait les deux pièces et vu le tout petit corps de la fillette sur la paillasse. Il lui avait semblé mou et démantibulé. Elle avait aussitôt pensé que l’enfant était morte.

Tu l’as laissée mourir, gueula-t-elle en se précipitant pour s’agenouiller devant le corps de la fillette. Là elle put voir, pendant que Violette se levait et les regardait en reniflant depuis l’embrasure et en sautillant sur ses deux jolis pieds, que la petite était toujours en vie mais bien mal en point. Son visage avait pris une couleur rouge qu’on ne voit que chez les fleurs, elle avait perdu connaissance et sous son oreille droite un abcès gros comme un poing de bébé pulsait son venin à travers la peau fine. Rose sentit la colère la submerger, elle se débarrassa de ses papayes et du linge propre et plié qu’elle n’avait pas lâchés, elle attrapa l’enfant dans ses bras (c’était comme de soulever un oiseau, la chair n’avait pas l’air d’être attachée aux os), elle se releva et passa devant la mère figée, prononçant entre ses dents pour contenir sa rage, mais assez distinctement pour que Violette pût l’entendre depuis le drôle d’endroit où visiblement elle vivait retranchée :

Et surtout, Violette Bustamante, ne reviens jamais me réclamer ta fille.

Violette les regarda sortir et ne bougea pas d’un pouce, inerte comme un tombeau.

Rose emmena la petite chez le docteur Laskar, celui-ci perça l’abcès, garda la fillette quelques jours et lui administra des doses de médicaments qu’il réservait en général aux forestiers du coin qui pesaient un quintal et demi. Il finit par la rendre à sa grand-mère, encore faiblarde mais bien en vie. Il informa Rose Bustamente que la petite portait sur son buste et ses cuisses des traces de griffures, des cicatrices et des bleus qu’elle n’avait pu se faire seule en jouant dans la courette de chez sa mère. Rose hocha la tête, devina la façon dont Violette devait parfois envoyer valdinguer la petite et se dit que la décision qu’elle prenait était assurément la plus juste.

Ce fut ainsi que Vera Candida s’installa chez sa grand-mère dans la cabane devant l’océan, ce qui fait la meilleure chose qui lui arrive jusqu’à son départ de Vatapuna.

Ce que je sais de Vera Candida – Véronique Ovaldé

L’absence de l’ogre – Dominique Sylvain

J’ai découvert en ouvrant le livre que c’était le troisième ou quatrième de la série avec ces héroïnes récurrentes Ingrid Diesel et Lola Jost. La première est masseuse et aussi strip-teaseuse, c’est une américaine qui vit à Paris. Le livre commence en racontant une anecdote concernant sa rencontre à 15 ans avec Brad, le fameux ogre du titre (très gentil l’ogre, il ne mange pas d’enfant, son surnom lui vient de son gabarit impressionnant) 

Comme souvent avec les romans policiers ne pas avoir lu les tomes précédents ne gêne pas du tout la compréhension.  

Lola Jost, elle, est une ancienne commissaire. Il faudra certainement que je lise les opus précédents pour savoir pourquoi elle n’est plus commissaire. En tout cas, les deux filles enquêtent sur la fameuse absence de l’ogre, qui est selon Ingrid injustement accusé de meurtre !

Je dois dire que le duo des deux filles fonctionne très bien, les dialogues sont percutants et savoureux entre Ingrid l’américaine et Lola qui corrige pas mal de ses petites fautes d’orthographe et de syntaxe. 

Il y a aussi une multitude de personnages : le commissaire Sacha qui au départ est très antipathique (ou alors c’est peut-être sa femme) et qui au fil du temps devient très très sympathique, des jardiniers solidaires (amis de l’ogre), des flics américains, une bonne soeur, des rockeuses, un herboriste, un promoteur louche…. 

Je n’avais pas découvert qui était « le méchant » jusqu’au dernier chapitre donc selon moi ce livre est  un très bon polar avec des personnages bien campés !

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Un extrait 

Après une éternité, les coups de pelle cessèrent. Des pas lourds raclèrent le gravier. Ingrid sentit une main rugueuse se poser sur sa joue, une respiration saccadée. Carmen en nage. Carmen en gardien de l’enfer et du paradis. 

-Yankee, c’est l’heure. 

Elle essaya de ruer. La Vampirella la souleva d’un seul mouvement et la balança sur son épaule. Elle la déposa dans la fosse, l’arrima avec des piquets de métal passés entre ses liens. Puis elle prit la lampe, éclaira  le visage d’Ingrid couchée sur le dos et qui se débattait. Un piquet céda, les autres tinrent bon. Une pelletée de mottes atterrit dans la fosse. L’américaine tourna la tête. Son imagination prit possession de ses sens comme un cheval fou. La terre la recouvrait, pénétrait son nez, ses poumons, ses yeux. Elle gagnait en puissance. Devenait flot dru. Gagnait en démesure, devenait compacte, étau, comprimait sa poitrine, rompait sa cage thoracique, qui craquelait comme corolle de tulipes. Le manque d’oxygène mettrait le feu à ses poumons, à son cerveau. À tout ce qu’elle avait aimé, ses sentiments les plus délicats, ses désirs les plus intenses. Les pelletées  s’enchaînaient, inexorables. Elle essaya d’articuler le nom de l’homme aimé, mais il fut pilonné par les coups répétés de la terre qui réclamait son dû, qui l’absorberait bientôt, comme elle en avait absorbé des milliards avant elle… Sans faire d’histoires… en oblitérant lentement celle des hommes…

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Sharon a lu aussi ce livre et le trouve légèrement moins bien que les précédents ou les suivants.