La dame en blanc – Wilkie Collins

Un roman volumineux (850 pages) qui traite d’une machination (comment donner envie de lire ce livre sans en dire trop ? )

L’action se passe au XIXeme siècle, en Angleterre. Laura, une jeune femme de bonne famille, s’est engagée à épouser Sir Glyde (elle a promis ceci à son père sur son lit de mort…)
L’auteur va alterner les différents points de vue, avec d’abord celui de Mr Hartwright, le professeur de dessin de Laura (secrètement amoureux de son élève), puis la soeur de Laura, prénommée Marian, l’avocat de la famille, la gouvernante de la maison ….
Le point de vue des « méchants » n’est évoquée que par les dires des « gentils » ou par des personnages qui ne sont pas au courant de la machination.
Les rebondissements sont nombreux : on tremble pour les personnages, on croit à leur mort (et puis rebondissements, contrepieds et surprises s’enchaînent)

Il ne fait pas bon d’être une femme (même riche) au XIXème : aucun choix possible en dehors du mariage et quand le marié s’avère n’être intéressé que par l’argent et l’héritage, la désillusion peut même s’avérer mortelle….il s’agira alors de se montrer plus retors que les escrocs qui peuvent à tout moment vous envoyer à l’asile pour « folie »

Un très bon moment de lecture

Un extrait

Pendant que ces idées me traversaient l’esprit, je vis la femme au manteau se rapprocher de la tombe et la contempler, debout, pendant quelque temps. Ensuite elle jeta un regard autour d’elle, et, tirant de dessous son manteau un linge blanc, serviette ou mouchoir, elle s’achemina obliquement vers le ruisseau. Il pénétrait dans le cimetière par une petite baie en arceaux, pratiquée au bas du mur, et en sortait après un cours sinueux de quelques douzaines de mètres, par une issue toute pareille. Elle trempa le linge dans l’eau, et revint du côté de la tombe. Je la vis baiser la croix blanche, puis s’agenouiller devant l’inscription et passer, à plusieurs remises, l’étoffe humide sur le marbre souillé.

Challenge Bac chez Enna (catégorie Couleur)

Le dimanche des mères – Graham Swift

Un court roman mettant en scène une journée capitale dans la vie de Jane Fairfield, bonne de 22 ans dans l’Angleterre de 1924.
J’ai trouvé ce roman très bien construit. Au début il m’a semblé que Jane avait une réflexion très (trop) aboutie pour une jeune femme d’une condition aussi modeste en ce début de 20ème Siècle. Puis on apprend que Jane justement se remémore cette journée de 1924, 60 ans plus tard : elle est devenue écrivain et ainsi le vocabulaire et la réflexion deviennent beaucoup plus crédibles.
Je ne dirai pas en quoi cette journée a changé la vie de cette jeune orpheline, pour ne pas trop en dévoiler. Juste que Jane est la maîtresse d’un jeune homme résidant dans la maison voisine où elle travaille (amours ancillaires qui ne seront vues que du côté de Jane).
Dans une Angleterre qui pleure les nombreux jeunes hommes morts dans les tranchées, l’histoire de Jane m’a convaincue et énormément intéressée.
Ce fameux dimanche sera un déclencheur dans la vie de cette jeune femme, pudique et déterminée….

Un extrait :

Normalement, on ne devait entrer dans les bibliothèques, oui, surtout dans les bibliothèques, qu’après avoir discrètement frappé à la porte, même si, à en juger par celle de Beechwood, il n’y avait personne la plupart du temps. Cependant, même sans personne à l’intérieur, elles pouvaient vous donner l’impression, plutôt désobligeante que vous n’aviez rien à y faire. Une bonne se devait toutefois d’épousseter -et Dieu sait ce que les livres pouvaient accumuler de poussière ! Entrer dans la bibliothèque de Beechwood revenait presque à pénétrer dans les chambres des garçons, au premier étage. L’utilité des bibliothèques, se disait-elle parfois, tenait moins au fait qu’elles contenaient des livres, qu’à celui qu’elles préservaient cette atmosphère sacrée de « prière de ne pas déranger » d’un sanctuaire masculin.

Challenge Petit bac  chez Enna – catégorie « famille»

Le cheval impossible – Saki

39 nouvelles (très courtes donc) pour un livre de 300 pages
Un livre choisi juste pour son titre  – au mot « cheval » je suis capable défaire des kilomètres au petit trot.
Avis mitigé au final – le cheval impossible étant la première nouvelle, très réussie – le reste m’a paru un peu tristounet ensuite …
Je disais donc que la première est un petit chef d’œuvre d’humour anglais : les Mullet essaient de vendre leur canasson Nessus depuis trois ans et le jour où ils ont enfin trouvé un pigeon pour acheter cette bête caractérielle et meurtrière…l’infortuné Mr Péricarde, celui ci demande la fille de Mrs  Mullet en mariage ! Or Mrs Mullet a 6 filles à marier et un bon prétendant ne se trouve pas sous les sabots d’un cheval !
Comment lui faire épouser Jessie et garder le futur mari vivant jusqu’au mariage ?
La deuxième nouvelle est également très drôle : une bonne famille anglaise est prise au piège d’un kleptomane….la maîtresse de maison m’a bien fait rire avec son sens de l’improvisation …
Les anglais en prennent pour leur grade avec leur clubs, leurs « empires », leur manoirs inconfortables et les disputes d’une certaine classe sociale à la fois oisive, mais moins riche que les apparences qu’elles veulent bien donner…
Les femmes ne sont pas laissées pour compte non plus : la chute de la nouvelle « Excepté Mrs Pentherby » est tout simplement hilarante, l’auteur réussit à rendre cette femme absolument insupportable jusqu’au revirement final : le lecteur se fait balader en tout impunité…
De même la nouvelle « Hermann l’irascible », qui met en scène le droit de vote des femmes et le rôle des suffragettes en Angleterre, est un bijou d’ambiguïté : l’auteur est il misogyne ou à contraire plaide-t-il pour le droit de vote des femmes ? tout et son contraire est dit dans cette nouvelle qui m’a fait penser à Jonathan Swift et sa « Modeste proposition »  : plaider l’implaidable fait-il avancer la plaidoirie ? Vous n’avez pas suivi …c’est fait exprès …
Au final la moitié des nouvelles m’a vraiment plu et l’autre moitié m’a paru fade et un peu vieillotte. Une bonne moyenne ?
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Un extrait : Nouvelle « poème de Reginald sur la paix »
Réginald contemplait la boîte de biscuits d’un air inconsolable. Elle offrait en effet un triste spectacle, avec ses deux ou trois craquelins abandonnés.
– Si je trouvais, murmura-t-il, une femme avec une passion inassouvie pour les craquelins, je crois que je l’épouserais de suite.
– Et la tragédie de l’aasvogel, c’est quoi ? demanda l’interlocuteur avec compassion.
– Impossible de trouver une rime. Je n’ai songé qu’à cela en m’habillant – ça a été tout à fait épouvantable -, et même pendant le déjeuner, et j’en suis toujours au même point. J’ai l’impression d’être un de ces malheureux automobilistes qui atteignent à la « motoriété » bien malgré eux en tombant en panne au beau milieu d’un carrefour encombré. Je crains bien de devoir me débarrasser de cet aasvogel. Dommage il apportait une couleur locale si jolie.
– Il vous restera l’antilope insouciante.
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Un extrait : Nouvelle «  Réginald au Carlton »
– Le thème de ma conférence, reprit précipitamment la duchesse, est d’étudier si la promiscuité que l’on observe au cours des voyages sur le Continent n’a pas pour effet d’affaiblir la conscience sociale : il y a des gens que l’on connaît et qui sont parfaitement convenables en Angleterre. Transportez-les de l’autre côté de la Manche, ils sont complètement différents.
– Disons qu’il s’agit là de mœurs internationales : c’est comme dans l’édition, on prend aussi ce qu’il y a de mieux ailleurs. Après tout, les excédents de bagage coûtent si cher sur certaines lignes étrangères, on doit faire une sérieuse économie en laissant sa réputation chez soi.
– Mon cher Réginald, un scandale est un scandale à Monaco comme à, disons Exeter.
– Un scandale, ma chère Irène – je peux vous appeler Irène, n’est-ce pas ?
–Nous connaissons-nous depuis assez longtemps pour cela ?
– Depuis plus longtemps que votre parrain quand il vous a choisi ce prénom. Le scandale, c’est tout bonnement une concession que la bonne société fait aux gens ennuyeux. Songer donc à ce que les aventures des autres apportent à des existences banales et irréprochables. Au fait, qui est donc cette femme à notre gauche, celle avec ces dentelles anciennes ? Bah, peu importe. Cela se fait beaucoup aujourd’hui, de dévisager les gens comme si c’était des poulains à la vente de Tattersall.
– Mrs Spelexit ? Une femme charmante. Elle vit séparée de son mari…
– Pour incompatibilité de revenus ?
– Pas du tout. Je dirais plutôt que des mers de glace les séparent. Il explore les banquises, il étudie les mouvements des harengs, il a écrit un livre passionnant sur les mœurs des esquimaux et leur vie de famille. La sienne étant naturellement réduite à sa plus simple expression.
– Bizarre qu’un mari qui ne se déplace qu’avec le Gulf stream ait aussi peu de biens liquides.
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Pas de dates pour ces nouvelles (une seule année est citée : 1903.)
L’auteur est mort sur le front pendant la première guerre mondiale

L’appel du coucou – Robert Galbraith

J’avoue avoir lu ce roman par curiosité essentiellement du fait de la célébrité de l’auteure. JK Rowlings, après le succès phénomènal de son Harry Potter, a choisi d’écrire sous pseudo, un pseudo masculin de surcroît : Robert Galbraith.

Pour tout dire, je n’ai pas retrouvé l’imagination de l’auteure.
Ce roman n’en reste pas moins un bon roman qui m’a tenu quelques soirées en haleine.
Le détective privé s’appelle Cormoran Stricke et a été engagé par John Bristow pour enquêter sur le « suicide » de sa sœur, Lula. Celle ci était top model dans une agence de mannequin (l’héritage est estimé à 10 millions de livres. ..)
J’aime bien en général quand un roman policier n’est pas centré sur l’enquête mais qu’il prend le temps de parler de la vie des enquêteurs et là le roman remplit bien le contrat : l’auteure arrive à faire de Cormoran Strike et de son assistante un portrait réaliste et intéressant. Le privé a la carrure d’un rugbyman, il se débat dans ses difficultés conjugales et doit gérer sa prothèse de jambe. Anciennement dans la police militaire, Cormoran eu une jambe arrachée en Afghanistan et s’est reconverti en privé. Il vient de rompre avec sa fiancée (ils étaient ensemble depuis une quinzaine d’années)
J’ai aussi beaucoup aimé la débrouillardise de son assistante intérimaire Robin. Elle est pleine d’initiatives ; à la fois lucide et bienveillante sur les difficultés passagères de Cormoran (il dort sur un lit de camp dans son bureau et il est criblé de dettes).

Pour être honnête, la partie qui décrit le milieu de la mode ne m’a pas tout à fait convaincue : pas mal de clichés sur ce milieu : le styliste excentrique, le producteur véreux qui veut embaucher Lula pour un film (et surtout l’attirer dans son lit), la femme du producteur qui ne pense qu’à l’argent…

Pour finir, j’ai trouvé la fin crédible et convaincante (pas du tout bâclée comme dans certains romans policiers). Je n’ai pas du tout trouvé le coupable avant la fin.

En bref, pas un coup de cœur mais un roman convaincant (j’ai réservé la suite à la Bibliothèque)

Un extrait

Il tira son paquet de cigarettes de sa poche et en glissa une entre ses lèvres.
« Vous ne pouvez pas fumer ici », lui rappela-t-elle doucement.
Le barman, qui semblait avoir attendu cet instant, accourut vers la table en toute hâte, avec une expression tendue.
« C’est interdit de fumer à l’intérieur ! », lança-t-il d’une voix forte.
Strike leva vers lui ses yeux troubles, l’air surpris.
« Ne vous inquiétez pas, nous partons, dit Robin au jeune homme, en prenant son sac. Venez, Cormoran. »
Il se leva, massif, laid, titubant, dépliant son grand corps dans l’espace étroit entre la table et le mur et jetant au barman un regard mauvais. Robin ne s’étonna pas de voir celui-ci faire un pas en arrière.
« Pas la peine de crier, lui dit Strike. Pouvez rester poli, non ?
– C’est bon, Cormoran, allons-y, dit Robin en s’écartant pour le laisser passer.
– Une seconde, dit le détective, levant sa grosse main. Une seconde, Robin.
– Oh, seigneur ! murmura Robin pour elle-même, les yeux au ciel.
– T’as déjà fait de la boxe ? demanda Strike au barman, qui sembla aussitôt terrifié.
–  Cormoran ! Allons-nous en.
– Parce que moi, j’ai été boxeur. Dans l’armée, mec. »
Du bar, un petit malin lança :
«Peut-être pas dans cet état.
– Allons nous en, Cormoran », répéta Robin.
Elle le prit par le bras, et, à sa surprise et à son soulagement, Il la suivit avec une totale docilité. Elle se rappela l’énorme cheval Clydesdale que son oncle fermier conduisait autrefois par la bride.

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Le mois du polar est chez Sharon

Le chagrin des vivants – Anna Hope

Un livre repéré chez Mind (qui en a fait son coup de cœur 2017)

Ce roman raconte quelque jours de novembre 1920.
La guerre est finie depuis deux ans tout juste et une commémoration se prépare : un soldat britannique est « déterré » des campagnes françaises pour être rapatrié en Grande Bretagne : le soldat inconnu.

Les cicatrices de la guerre sont encore à vif et nous sont racontées selon le point de vue de 3 femmes.
Hetty, 19 ans, travaille comme danseuse et côtoie tous les jours ces rescapés de la grande Guerre, son frère est revenu très diminué ….Ada, 55 ans, a perdu son fils unique Michael et semble peu à peu perdre pied (son mari ne supporte plus son chagrin). Enfin Evelyn, la trentaine, a perdu son fiancé, elle travaille au ministère qui attribue des pensions aux anciens combattants. Son frère, rescapé, noie son chagrin de survivant dans l’alcool….en arpentant les salles de bal car il n’a pas besoin de travailler pour vivre. Car c’est aussi cela ce livre des jeunes gens qui ont vécu l’horreur et qui de retour à la vie civile ne trouvent pas de travail.

Trois femmes, trois générations : comment survivre après cette horreur…? Les plus jeunes s’en sortent, les autres survivent à peine… l’histoire m’a plu et la quête d’Evelyne sur le « passé » de son frère est touchante  … le chagrin du titre est très bien trouvé car il est effectivement très pesant … presque oppressant par moment….

Un peu d’espoir tout de même avec deux idylles naissantes…sur les décombres de la guerre…

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Un extrait

« Elles sont toutes différentes, et pourtant toutes pareilles. Toutes redoutent de les laisser partir. Et si on se sent coupable, c’est encore plus dur de relâcher les morts. On les garde près de nous, on les surveille jalousement. Ils étaient à nous. On veut qu’ils le restent. » Il y a un silence. « Mais ils ne sont pas à nous, poursuit-elle. Et dans un sens, ils ne l’ont jamais été. Ils n’appartiennent qu’à eux-mêmes, et seulement à eux. Tout comme nous nous appartenons. Et c’est terrible par certains côtés, et par d’autres… ça pourrait nous libérer. » Ada se tait, absorbant ces paroles, puis : « Où croyez-vous qu’ils sont ? demande-t-elle. — Qui ça ? — Tous ces garçons morts. Où sont-ils ? Ils ne sont pas au paradis, n’est-ce pas ? C’est impossible. Les vieux, les malades, les bébés, et ensuite – tous ces jeunes hommes. Un instant ils sont jeunes, ils sont vivants, et celui d’après ils sont morts. En l’espace de quelques heures ils sont tous morts. Où sont-ils allés ? — Avez-vous jamais été croyante ? — Je pensais l’être à une époque. » Le visage de la femme change, il semble plus vieux tout à coup, ses contours sont moins nets. « Je ne sais pas où ils sont, répond-elle. Je peux écouter, avec les objets que les gens m’apportent, je peux essayer d’entendre. Et parfois, certains semblent… calmes, je le sens. Et je peux transmettre cette impression. Et ça aide, je crois. D’autres sont plus difficiles. » Ada se lèche les lèvres. Elles sont gercées, sèches. « Et Michael, alors ? Et mon fils ? » La femme fronce les sourcils, revient à la table et y pose les mains. Elle reste là un instant. Puis elle secoue la tête, comme pour l’éclaircir. « Je crois, répond-elle, que vous devez apprendre à le laisser partir. »

Chez Madame Lit , le thème du mois est « roman d’amour » . S’il est bien question d’amour dans ce livre, il ne faut pas non plus s’attendre à une romance…