Les cent puis de Salaga – Ayesha Harruna Attah

Afrique – XIXème siècle.

Premier chapitre : Aminah, adolescente, prépare et vend de la nourriture aux personnes de passage dans son village, tout en s’occupant de ses petites sœurs, des jumelles.
Dans son village de Botu, circulent des rumeurs : des cavaliers enlèveraient des personnes pour les « vendre » en tant qu’esclaves.

Deuxième chapitre: à Salaga, Wurche est la fille du roi : elle assiste à des courses de chevaux et à des négociations entre son père et des tribus voisines. Elle a, comme Aminah, une quinzaine d’année…

Chaque chapitre commence par le prénom d’une des deux adolescentes, l’auteure va nous raconter le passage  à la vie adulte de ces jeunes filles, qui n’ont en commun que leur âge et leur lieu de naissance : un village pas très éloigné de l’océan en d’Afrique de l’ouest (une contrée qui ne s’appelle pas encore le Ghana).
Qu’elle soit fille de roi ou de cordonnier, leur destin est tracé: épouser l’homme désigné par leur famille ou les alliances futures… jusqu’au jour où, pour Aminah, le monde s’effondre : elle est emmenée par les marchands d’esclaves …avec ses sœurs, sa maison est brûlée ainsi que tout son village…

J’ai aimé l’aspect historique de ce livre : il y a beaucoup de livres qui ont pour toile de fonds la traite des esclaves en Amérique mais finalement peu en Afrique : l’histoire se passe à la fin du XIX Elle siècle, on apprend au fur et à mesure que l’esclavage a été aboli en Europe et aux États Unis mais perdure en Afrique. De plus, les européens essaient de s’attirer les bonnes grâces des africains : anglais, allemands, français c’est à qui l’emportera pour s’allier les peuples africains : guerre fratricides et divisions au rendez vous …

Côté personnages il sont également convaincants , j’aurai aimé en savoir plus sur Moro, fils d’esclaves devenu chasseur d’esclaves à son tour. Il est conscient du «mal » que représente l’esclavage sans savoir comment faire la transition… quant aux deux personnages principaux, Wurche m’a séduite par sa volonté et sa fierté et Aminah par sa douceur et son opiniâtreté…

En conclusion : un moment de lecture dépaysant et instructif.

Livre lu dans le cadre du Challenge chez Madame lit, le thème de septembre  est : un roman de la rentrée littéraire

Swing time – Zadie Smith

Prologue – Londres 2008

On ne sait pas qui est le « je » de ce prologue. Un prologue très énigmatique : on sait qu’il y a eu un scandale : la narratrice a perdu son boulot et se cache des paparazzis. Elle va assister à une conférence qui passe un extrait du film Swing Time avec Fred Astaire. Ce film déclenche un flot de souvenirs depuis ses 10 ans.

1982 – La narratrice (elle n’a pas de prénom, j’ai été tentée plusieurs fois de l’appeler Zadie comme l’auteure) raconte son enfance et sa rencontre au cours de danse avec Tracey, dans un quartier populaire de Londres : deux jeunes filles métisses, une dont la mère est jamaïcaine et le père blanc, l’autre dont la mère est blanche et le père noir.
Le ton est vivant on a l’impression de voir les fillettes bouger et danser.
Les deux filles se passionnent pour Mickael Jackson et une chanteuse australienne Aimee.

On retrouve la narratrice 10 ans plus tard : Elle travaille pour une chaîne TV où elle rencontre en chair et en os la fameuse Aimee. Elle devient son assistante.
Parallèlement les deux filles se disputent et se perdent de vue. Tracey essaie de devenir une danseuse professionnelle …
Dans le même temps Aimee et la narratrice font de nombreux aller-retours entre New York et l’Afrique pour créer une école pour les jeune filles.

Enfin, la narratrice évoque ses relations avec son père, très gentil, et sa mère, une femme forte engagée politiquement, qui finira députée, avec qui les relations sont vite conflictuelles.

Ce livre, très riche, a pour toile de fonds la difficulté de certaines populations pour sortir de la misère…que ce soit à Londres ou en Afrique… corruption des élites, optimisme et désespoir des populations tentées par le mirage de l’immigration en Europe ou de se tourner vers l’islam …
Une réussite ce livre qui me donne envie de lire les précédents de l’auteure.

Un extrait

Je ne veux pas dire que ma mère ne m’aimait pas mais elle n’avait pas la fibre domestique: son existence se concentrait dans son esprit. La compétence fondamentale de toute mère – l’organisation du temps – lui échappait. Elle mesurait le temps en nombre de pages. Une demi-heure pour elle signifiait dix pages lues, ou quatorze, en fonction de la taille du livre, et lorsqu’on appréhende le temps de cette façon, il n’y en a plus pour quoi que ce soit d’autre; on n’a pas le temps d’aller au parc ou d’acheter une glace, pas le temps de mettre son enfant au lit, pas le temps d’écouter le récit éploré d’un cauchemar.

Chez Philippe, le thème où la contrainte est « le temps qui passe »

Petit pays – Gaël Faye

Papa avait un visage grave et des cernes sous les yeux. Il est descendu de la voiture et nous a demandé si nous allions bien. J’ai fait oui de la tête mais Ana boudait, elle lui en voulait de nous avoir laissés toute la nuit. Papa a marché rapidement jusqu’au salon, il a allumé la radio. Nous avons entendu le même air de musique classique qui flottait dehors. Il a mis la main sur son front en répétant : « Merde ! Merde ! Merde ! ».

Plus tard, j’ai appris que c’était une tradition de passer de la musique classique à la radio quand il y avait un coup d’état. Le 28 novembre 1966, pour le coup d’état de Michel Micombero, c’était la Sonate pour piano n°21 de Schubert ; le 9 novembre 1976, pour celui de Jean-Baptiste Bagaza, la Symphonie n°7 de Beethoven ; et le 3 septembre 1987, pour celui de Pierre Buyoya, le Boléro en do majeur de Chopin.

Ce jour-là, le 21 octobre 1993, nous avons le droit au Crépuscule des dieux de Wagner. Papa a fermé le portail à l’aide d’une grosse chaîne et de plusieurs cadenas. Il nous a ordonné de ne pas quitter la maison et de nous tenir éloignés des fenêtres. Puis il a installé nos matelas dans le couloir à cause du risque de balles perdues. Nous sommes restés toute la journée allongés par terre. C’était plutôt drôle, on avait l’impression de camper dans notre propre maison.

Comme d’habitude, Papa s’est enfermé dans sa chambre pour passer des appels. Vers quinze heures, je jouais aux cartes avec Ana et Papa était au téléphone dans sa chambre, quand j’ai entendu gratter dans la cuisine.

Je suis allé voir discrètement. Gino, essoufflé, se tenait derrière les barreaux et j’ai chuchoté :

– Je ne peux pas t’ouvrir, mon père a fermé la maison à double tour. Comment es-tu rentré dans la parcelle ?

– Je suis passé par-dessus la clôture. De toute façon je reste pas longtemps. T’es au courant ?

– Oui je sais, il y a eu un coup d’état, on a entendu la musique classique.

– Des militaires ont tué le nouveau président.

– Quoi ? Je te crois pas … Jure-le.

– Je te jure ! Un journaliste canadien a appelé mon père pour le lui dire. C’est un coup des militaires. Ils ont aussi tué le président de l’Assemblée nationale et d’autres grands bwanas du gouvernement… Paraît que des massacres ont commencé partout à l’intérieur du pays. Et puis tu connais la meilleure ?

– Non ? Encore ?

– Attila c’est échappé !

– Attila, le cheval des Von Gotzen ?

– Ouais ! C’est fou, non ? Pendant la nuit, un obus est tombé près des écuries du Cercle hippique, derrière la résidence présidentielle. Un bâtiment a pris feu. Les chevaux ont paniqué ; Attila est devenu fou, il se cabrait et hennissait comme un dingue, il s’est mis à lancer des ruades contre la porte de son box, il a explosé le verrou et puis il a sauté les barrières avant de disparaître dans la ville… T’aurais dû voir Madame Von Gotzen ce matin…Elle est arrivée chez nous en chemise de nuit, des bigoudis dans les cheveux et les yeux gonflés de larmes. Tellement drôle ! Elle voulait que mon père se serve de ses relations pour retrouver son cheval. Et lui, il n’arrêtait pas de répéter : « Il y a eu un coup d’état, Madame Von Gotzen, je ne peux rien faire pour vous, même le président de la République n’a rien pu faire pour lui-même. » Et elle, elle insistait encore et encore : « Il faut retrouver Attila ! Contactez les Nations unies ! La Maison-Blanche ! Le Kremlin ! » L’assassinat du président, elle s’en fichait, elle ne parlait que de son canasson, cette vieille peau raciste. Il me tue, ces colons ! La vie de leurs animaux est plus importante que celle des humains. Bon, je te laisse, Gaby, faut que je file. La suite des événements au prochain épisode. »

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Petit pays – Gaël Faye

Congo Inc. Le testament de Bismarck – In Koli Jean BOFANE

congo inc

(préface)

Le nouvel état du Congo
Est destiné à être un des plus
importants exécutants de l’œuvre
que nous entendons accomplir ….
Le chancelier Bismarck
En clôture de la conférence de Berlin
Février 1885

Dans le premier chapitre de ce livre, l’auteur nous présente son anti-héros avec beaucoup d’humour : Isookanga, 25 ans, est un pygmée (en vrai c’est un demi-pygmée : sa mère aimant les hommes de plus de 1,75 mètres, Isookanga est trop grand de 10 centimètres pour être un pygmée mais trop petit de 20 centimètres pour être considéré comme un adulte)
Isookanga vit dans la forêt du Congo jusqu’à ses 25 ans (toléré par un oncle qui le « bassine » avec les traditions). Isookanga ne veut qu’une chose aller « faire la mondialisation ».
Et pour cela il n’hésite pas à partir à Kinshasa se faire passer pour son ami. La famille urbaine de celui-ci se rend compte de la supercherie (trahi par sa taille Isookanga !) et le chasse. Il se retrouve au sein des enfants des rues, les shégués.
Fan de jeux vidéo, Isookanga idéalise la société moderne, Google, les multinationales, les hélicoptères….Il trouvera un associé chinois, paumé lui aussi, dans ses projets de devenir riche.
Voilà pour la présentation rapide du début. Après un chapitre très drôle, l’auteur nous emmène vers la dure réalité de ces shégués…avec l’histoire terrible de Shasha, jeune fille de 14 ans, et de ses petits compagnons… Les personnages deviennent nombreux. S’ils sont très bien campés, la plupart sont antipathiques que ce soit l’ancien soldat, le révérend Monk, le casque bleu dont j’ai oublié le nom… Pauvre Afrique (je l’ai déjà dit dans ma précédente chronique…si riche et si pauvre …)
L’auteur nous entraîne donc entre réflexions humoristiques avec Isookanga et terribles réalités de ce pauvre pays, proche du Rwanda et de ces « purifications ethniques », et où 20 000 enfants vivent dans les rues, abandonnés de tous…très dur mais aussi drôle….quand on ne s’y attend pas…puis terrible quand on ne s’y attend pas

Finalement les victimes se retournent contre leurs persécuteurs et se montrent aussi cruels qu’eux…comment leur en vouloir ? mais alors ces atrocités n’auront jamais de fin ?

En conclusion : un livre où on passe en un rien de temps du rire aux larmes et vice versa….

Un extrait :

L’Eglise de la Multiplication divine, légalement reconnue par ses propres statuts, ne désemplissait pas. De par son intitulé et dans un pays frappé de pénuries de toutes sortes, la multiplication de ce qu’on pouvait avoir – mille francs congolais, une femme, un moulin à manioc – représentait un enjeu des plus importants et le révérend Jonas Monkaya était le démiurge qui saurait attirer les bénédictions par des prêches et des invocations fracassantes. Le révérend Monkaya possédait un atout de taille : il avait jadis côtoyé le milieu du spectacle. Il avait été catcheur, sous le surnom du Monk, qu’il devait à un musicien américain nommé Thelonius Monk dont il était le portrait craché. On l’appelait aussi Révérend Monk parce que, à l’époque où il fréquentait les rings, affublé de la mitre et de la crosse cléricale, on l’avait vu bénir d’un signe de croix ses adversaires avant de les trucider. Un beau jour, le Monk s’était présenté dans une église connue et avait exhibé ses grigris et fétiches. Devant des fidèles médusés, il avait confessé publiquement qu’il laissait tomber le catch et la sorcellerie pour se consacrer à Dieu. Il avait aussitôt été incorporé au sein de l’église et bombardé diacre. Après une année passée à étudier le marché et les ficelles du métier, il s’était dit : « Si je parviens à persuader en un rien de temps des nanas comme celles que je me tape, je dois bien pouvoir vendre du paradis artificiel à des clients moins drillés que mes conquêtes ». Après des galas organisés en cachette dans le Katanga, en Zambie et au Zimbabwe, il avait touché une bourse importante. Jonas Monkaya avait alors acheté au fin fond de Ndjili une boîte de nuit désaffectée qu’il avait retapée et ouverte sous la dénomination : Eglise de la Multiplication divine. Mais si l’homme avait un sens certain du marketing, il avait surtout du bagout, il savait comment baratiner Dieu. Plus d’un parmi les fidèles avait profité de son intercession. (Page 144)

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Challenge lire sous la contrainte de Philippe . La contrainte est « titre avec le nom d’un personnage connu, vivant ou mort, réel ou fictif.   »

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Challenge « lire le monde » de Sandrine pour le Congo – Son avis ici

Challenge à tout prix chez Asphodèle Grand Prix du Roman Métis 2014 et prix des 5 continents de la francophonie 2015

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Le roi de Kahel – Tierno Monénembo

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Tierno Monénembo annonce d’emblée qu’il s’agit d’un roman et pas d’une biographie même si le personnage principal Aimé Olivier de Sanderval a réellement existé . Embarquement immédiat vers le Fouta-Djalon, un coin paradisiaque d’Afrique de l’ouest gouverné par un almâmi (imam) et une multitude de rois.
1880 :  Aimé Olivier débarque au Fouta Djalon. A 40 ans, il est industriel et son souhait est de faire traverser ce beau pays par un chemin de fer, d’apporter à l’Afrique et  la France coopération et richesses ….Mais pour cela il faut négocier avec les peuls, les anglais, les français…

Petit à petit, Aimé devient Yémé et se fait adopter par le peuple peul jusqu’à devenir « roi » du Kahel, un peu par la ruse et parfois par la force (tout en restant plutôt respectueux des populations locales ….enfin respectueux par rapport aux autres colonisateurs)
Aimé est un personnage attachant qui est très opiniâtre et aussi ouvert à la culture qu’il rencontre. On suit ses pas sur 30 ans, entre aller-retour à Lion et au Fouta Djalon…….l’Afrique, son parfum enivrant, son peuple rusé et fier, ses princesses africaines… et aussi la dysenterie et les serpents….. …..les ruses des uns et des autres pour mettre la main sur ce pays de Cocagne…

Aimé est tour à tour un visionnaire, un illuminé, un père absent et présent ….. un mari aimant et volage …..un trafiquant d’armes aussi…. . Un beau portrait d’un homme et d’un pays …

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Un extrait où Aimé Olivier essaie de convaincre un ministre « d’investir » dans le Fouta-Djalon.

– Tenir l’Afrique par le Sénégal et le Soudan, c’est tenir le sabre par la lame ! Sans le Fouta-Djalon, nous risquons de tout perdre là-bas !
Il s’interrompit quelques instants pour se diriger vers la mappemonde collée au mur :
– Revoyons un peu, si vous le voulez bien, monsieur le ministre, la carte du monde. Qu’avons-nous autour de notre pauvre France ?
Il prit la règle et montra d’un air grave l’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne, rien que des ennemis ! Comment survivre dans ce guêpier ? L’Afrique ! Il n’y avait pas d’autre solution ! « Elle doit être le corps et nous l’esprit ! », insista-t-il. Il avait compris, lui, dès son arrivée à Gorée, qu’elle devait immédiatement cesser d’être une simple réserve d’esclaves et d’oléagineux pour devenir, minutieusement dégrossie sous le scalp d’Athènes et de Rome, une amie, une alliée, une province française. Alors, la France pourrait y lever une grande armée ; grâce à elle, la conquête de l’Italie serait facile ainsi que le passage par le Brenner vers l’Autriche. L’Allemagne n’aurait plus le choix : la paix éternelle et peut-être même l’union face à une Angleterre ennemie de l’Europe. Et comment faire de l’Afrique une province française ? En faisant du Fouta-Djalon sa base, c’était aussi évident que le nez au milieu du visage.

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Deuxième extrait , sa rencontre avec une princesse africaine (p 48)

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Le lendemain, il reçut la visite de Taïbou. Elle entra avec cette lenteur soigneusement étudiée qui indique chez les Peuls la noblesse et le rang. Elle était plus resplendissante que la dernière fois : plus de tresses et de bijoux, plus d’éclat et de grâce ! Ses épaules étaient recouvertes d’un frêle châle de dentelle qui laissait entrevoir ses seins pulpeux et fermes aux bouts cernés d’aréoles couleur de miel et sur lesquels venait battre un réseau dense de colliers de joncs et de perles. Son visage aux traits réguliers luisait avec des reflets de cuivre dans la lumière du soleil naissant. De profil, elle avait l’air d’une gamine malgré sa taille élancée et ses seins arrondis.
Mais de ses beaux yeux en forme de gousses sortait un regard d’aigle propre à ceux qui sont nés pour gronder et ordonner. Elle n’avait que vingt-quatre ans, vingt-huit tout au plus, dans ce pays isolé où, hormis pour quelques familles fortement arabisées, l’état civil était inconnu. Mais c’était la femme la plus puissante du Fouta. On la disait riche, indépendante et belliqueuse. Elle disposait d’autant d’or et  de terre que son prince de mari. Ses amants se  comptaient par dizaines et ses esclaves par milliers. Imbattable à cheval, elle marchait elle-même à la tête de ses six mille guerriers. Les légendes les plus folles couraient  à son sujet. On disait qu’elle mutilait ses esclaves et faisait troncher le cou aux jeunes gens qui ne lui plaisaient plus. Ceux qui avaient le malheur de se retrouver dans sa ligne de mire couraient, un jour ou l’autre, un véritable dilemme :  le couteau d’Aguibou ou son poison à elle.

En conclusion : Un roman dépaysant où j’ai appris énormément sur l’Afrique et la colonisation.

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Ys, Claire et Kathel ont lu Le terroriste noir et Karine a lu  le roi de Kahel

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Challenge « Lire le monde » (Guinée) avec Sandrine, Challenge Top 50 organisé par Claire catégorie « Livre tiré d’une histoire vraie », Challenge à tous prix chez Asphodèle (prix Renaudot 2008)

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Barroco Tropical – José Eduardo Agualusa

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Angola, de nos jours. Le narrateur, Bartolomeu, est journaliste. Un jour qu’il se promène en compagnie de sa maîtresse (en fait de promenade, celle-ci lui signale qu’elle veut rompre), les deux amants voit une femme leur tomber sous le nez – au sens propre car la femme tombe d’un avion. Il se trouve que Bartolomeu connaît cette femme et il se remémore leur unique rencontre.
Après ce démarrage sur les chapeaux de roues, l’auteur ralentit son rythme et dans un troisième chapitre nous présente pas moins de 15 personnages secondaires dont la ville de Luanda qu’il présente ainsi :

N
Quand je suis né, Luanda utilisait encore en entier son beau nom chrétien sonore : Sao Paulo da Assunçao de Luanda. Vieille matrone mulâtre, elle était orgueilleuse de sa parenté avec des villes comme La Havane, Saint Louis en Casamance ou Sao Sebastiao do Rio de Janeiro. Ce furent d’ailleurs les Brésiliens qui lui portèrent secours quand, en 1641, les Hollandais profitèrent de la distraction ibérique pour occuper la Forteresse de Sao Miguel. J’ai vu ma ville devenir africaine. J’ai vu les fiers immeubles de la ville basse – que la bourgeoisie coloniale avait abandonnés quelques jours avant l’indépendance – être occupés pas les déshérités des bidonvilles. Je les ai vus (ces déshérités) élever des poules dans les garde-mangers, des chevreaux dans les chambres et allumer avec les bibliothèques abandonnées par les colons des feux au milieu des salons. J’ai vu plus tard ces mêmes déshérités quitter les appartements en ruine en échange de fortunes (quelque-uns) ou d’une demi-douzaine de centimes (d’autres), et être remplacés par la toute nouvelle bourgeoise urbaine, ou par des expatriés grassement payés. J’ai vu tomber le beau palais de Dona Ana Joaquina à coups de marteau, pour être remplacé par une réplique en mauvais béton, et j’ai pensé que c’était une métaphore des temps nouveaux – le vieux système colonial et esclavagiste remplacé par une réplique dérisoire dans le jargon néfaste de bidonvilles. Plus tard (trop tard), j’ai compris qu’il n’y avait aucune métaphore, juste une grande bâtisse qui s’effondrait.

N
Ce livre m’a fait une impression très forte: les personnages sont vivants et bien campés : le narrateur est tour est tour énigmatique, énervant, sensible et attachant. Sa maîtresse, la belle chanteuse, star internationale, est également mystérieuse et on ne comprend ses motivations de rupture qu’à la fin, lorsque celle-ci les expose dans son « élucidaire », terme qu’elle préfère à journal.

Je suis consciente de la lumière qui dort dans certains mots, de la nuit qui se cache dans d’autres. Il y a des métaphores qui explosent comme des grenades, des strophes capables de déclencher des éclairs sous nos yeux. Il m’est déjà arrivé de chanter les mêmes vers des centaines de fois sans les comprendre. Et soudain, sur une scène quelconque, Le Bozar à Bruxelles, Le Finlândi Hall à Helsinki, le Koninklijk Theater Carré à Amsterdam, sur une scène quelconque, cette même chanson prend feu et se révèle : elle s’ouvre comme une porte sur un monde dont je ne soupçonnais pas l’existence. Quand je me sens perdue, je m’assieds et j’écris. Quand je suis irrémédiablement perdue, je chante.
Je chante pour m’en sortir.
Qu’est ce que j’écris ? je consigne ce qui m’arrive, tentant de comprendre ce qui m’est arrivé. Je n’invente rien. Je n’ai pas besoin d’inventer quoi que ce soit. Je ne suis pas écrivain. Je pourrais appeler cela journal aveugle, car il ne comporte pas de dates. Je préfère l’appeler Elucidaire.

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Bartolomeu va ensuite mener l’enquête sur l’accident de la femme tombée de l’avion dans un Angola soumis à la corruption et où narguer le pouvoir en place a pour conséquence de se retrouver à l’hôpital psychiatrique chez le redoutable Tata Ambroise, enchaîné et privé de tout dignité.
De nombreuses histoires se croisent et s’entrecroisent : celle de la fillette-chien qui erre dans les bidonvilles, celle du père de Kianda, un ancien terroriste, celle de deux jumeaux qui a force d’opiniâtreté réalisent leur rêve de devenir stylistes, celle de Barbara Dulce la femme trompée de Bartolomeu, celle de Dalmatien (un chauffeur de taxi) et de Mickey (un autre homme) , je vous laisse découvrir la raison de leur surnom.
Ce livre fait la part belle à la musique (Barroco Tropical du titre est une chanson de Kianda) : musique Africaine mais aussi portugaise et brésilienne

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Une fois n’est pas coutume je vous met la quatrième de couverture qui intrigue sans en dire trop sur l’histoire :

Une femme tombe du ciel et s’écrase sur la route devant Bartolomeu au moment où éclate une tempête tropicale et où sa maîtresse lui annonce qu’elle le quitte. Il décide de percer ce mystère alors que tout change autour de lui, il découvre que la morte, mannequin et ex-miss, avait fréquenté le lit d’hommes politiques et d’entrepreneurs, devenant ainsi gênante pour certains, et il comprend qu’il sera la prochaine victime.

Il croise les chemins d’une chanteuse à succès, d’un trafiquant d’armes ambassadeur auprès du Vatican, d’un guérisseur ambitieux, d’un ex-démineur aveugle, d’un dandy nain, d’une prêtresse du candomblé adepte du mariage, d’un jeune peintre autiste, d’un ange noir ou de son ombre. Il explore la ville de Luanda en 2020, métaphore de la société angolaise où les traditions ancestrales cohabitent difficilement avec une modernité mal assimilée. Il s’enfonce dans la Termitière, gratte-ciel inachevé mais déjà en ruine où les riches vivent dans les étages tandis que les pauvres et les truands occupent les sous-sols. Il nous montre une ville en convulsion où l’insolite est toujours présent et intimement mêlé au prosaïque et au quotidien, où la réalité tend à être beaucoup plus invraisemblable que la fiction.
Dans une prose magnifique cet amoureux des mots définit son pays comme une culture de l’excès, que ce soit dans la façon de s’amuser ou dans la façon de manifester ses sentiments ou sa souffrance.

Un livre que je recommande fortement puisque l’histoire est intéressante d’un côté et que le contexte est également captivant. Des réflexions sur la démocratie, l’esclavage , la place de la langue et des dialectes comme dans ce dernier extrait :

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Dalmatien l’a regardé , atterré :
– Vous êtes en train de dire que l’esclavage a été une bonne chose?
– Réduire quelqu’un en esclavage est une chose abominable. La traite négrière a enrichi certaines familles africaines, sans parler des européens, évidemment mais elle a ruiné le continent. Ce que je suis en train de dire c’est que quelquefois les mauvaises actions produisent de bons résultats. En tout cas il me semble plus facile de défendre l’esclavage que la sorcellerie ou le tribalisme.

– Je ne suis pas d’accord. Ce que vous appelez tribalisme, général, je l’appellerais nationalisme ethnique. Le fait qu’un Bacongo soit orgueilleux de son lignage et veuille ce qu’il y a de mieux pour son peuple n’a rien de négatif au contraire. Pourquoi les Flamands, les Catalans et les Basques pourraient pratiquer le tribalisme et pas les Bacongos ?
Benigno dos Anjos Negreiros ne s’attendait pas à cette résistance de la part du chauffeur de taxi. Il a hésité un instant. Puis il a souri, content. Mon beau-père n’apprécie peut être pas la démocratie, mais il apprécie un bon débat :
– Je suis un patriote. J’ai lutté dans les forêts de ce pays contre les troupes portugaises. A l’époque notre slogan était « un seul peuple, une seule nation ».
–  Je préfère l’unité dans la diversité. Un grand nombre de nations, une seule patrie, a rétorqué Dalmatien. La plupart des pays du monde sont composés de plusieurs nations. Le combat contre la diversité est le propre d’une pensée totalitaire. Vous vouliez l’indépendance, c’est vrai mais à condition que l’Angola conserve le modèle colonial.
–  Le modèle colonial ?
– Dalmatien a raison, suis-je intervenu, amusé. Les nationalistes urbains, éduqués dans la métropole et très souvent fils ou petits-fils de Portugais, ne connaissaient que le modèle colonial, et après avoir pris le pouvoir ils ont essayé de l’imposer. Un seul peuple, une seule nation. Ce qui veut dire, d’après vos camarades, que pour construire un pays il faut détruire les identités ethniques. De la pure idéologie coloniale. Voyez ce qui s’est passé avec la langue portugaise. Avant l’indépendance, moins de cinq pour cent des Angolais parlaient le portugais comme langue maternelle. Aujourd’hui , nos jeunes ne parlent plus que le portugais.

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Livre lu dans le cadre du Challenge le tour du monde pour l’Angola

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L’Angola est une ancienne colonie portugaise indépendante depuis 1975 et qui est sortie d’une guerre civile sanglante en 2002.

Les racines du ciel – Romain Gary

RACINES CIEL

Tchad – 1956
Après avoir survécu à deux ans de camp de concentration en Allemagne durant la seconde guerre mondiale), Morel s’est mis en tête de sauver les éléphants en Afrique. Dans les années 50, tous les ans, 30 000 éléphants sont tués (par les blancs dans de gigantesques chasses pour l’ivoire, par les hommes qui capturent des éléphants pour les envoyer dans des zoos en Europe, par les fermiers sous prétexte que les éléphants détruisent les cultures, par les africains qui mangent cette viande)
Tour à tour différents narrateurs vont expliquer comment ils voient Morel.
Minna, une jeune Berlinoise traumatisée par la guerre, lui vient en aide et le suit dans son épopée. Le Tchad a ce moment fait partie de l’A.E.F (Afrique équatoriale française). Le gouverneur Schlöscher pense que Morel est peut-être manipulé par des indépendantistes africains et ne croit pas au début à sa sincérité.

Peer Qvist un scientifique danois accompagne Morel dans son aventure : c’est lui qui parle du terme «  les racines du ciel » du titre du roman (p 222)

L’islam appelle cela « les racines du ciel », pour les indiens du Mexique, c’est « l’arbre de vie », qui les pousse les uns et les autres à tomber à genoux et à lever les yeux en se frappant la poitrine dans leur tourment. Un besoin de protection auquel les obstinés comme Morel cherchent à échapper par des pétitions, des comités de lutte et des syndicats de défense – ils essaient de s’arranger entre eux, de répondre eux même à leur besoin de justice, de liberté, d’amour – ces racines du ciel si profondément enfoncées dans leur poitrine….

Dans la troisième partie du roman, Fields, un journaliste américain, dont la famille a été gazée à Auschwitch, apporte son regard plus « neutre » de photographe. Les journalistes défendent Morel et son idéal ; le public se passionne en Europe et aux Etats Unis pour cet excentrique.

(Les personnages sont nombreux et je ne les cite pas tous, seulement ceux qui m’ont le plus marqué….)

Waïtari est un indépendantiste africain qui a fait toutes ses études en France et a même été député en France : Il manipule Morel pour récupérer une partie de son aura auprès des médias.

Devant l’échec de sa pétition, Morel se radicalise et passe à la vitesse supérieure, la lutte « armée » pour mobiliser l’opinion publique en vue d’une conférence sur la protection de la nature qui doit avoir lieu au Congo. ….

Morel est-il sincère, est- il amok (fou) comme on l’entend dire ? A chacun de se faire son opinion. Sur fond de guerre froide et de débuts de guerres d’indépendance en Afrique, le combat de Morel dépasse de beaucoup la simple « écologie » et explique les réactions de tous les intervenants.

Morel ne manque pas d’humour et de charme. IL se présente ainsi à Minna, la jeune berlinoise qui travaille dans un bar.

Eh bien, nous sommes presque des compatriotes. Je suis un peu allemand moi-même par naturalisation, si on peut dire. J’ai été déporté pendant la guerre, et je suis resté deux ans dans différents camps. J’ai même failli y rester pour de bon. Je me suis attaché au pays.

Morel explique son geste de défendre les éléphants ainsi (toujours à Minna)

Je dois vous dire aussi que j’ai contracté, en captivité, une dette envers les éléphants, dont j’essaie seulement de m’acquitter. C’est un camarade qui avait eu cette idée, après quelques jours de cachot –un mètre dix sur un mètre cinquante – alors qu’il sentait que les murs allaient l’étouffer, il s’était mis à penser aux troupeaux d’éléphants en liberté- et chaque matin, les allemands le trouvaient en pleine forme, en train de rigoler : il était devenu increvable. Quand il est sorti de cellule, il nous a passé le filon, et chaque fois qu’on en pouvait plus, dans notre cage, on se mettait à penser à ces géants fonçant irrésistiblement à travers les grands espaces de l’Afrique.

Un dernier extrait sur la place de la langue française en Afrique (p 377)

Fields le journaliste vient d’entendre Waïtari essayer de le convaincre de parler de l’indépendance de l’Afrique dans son journal

Fields vivait à Paris depuis plusieurs années, mais il n’avait jamais entendu personne improviser en français avec une telle aisance. Il se demanda dans quelle langue Waïtari s’était adressé aux tribus d’A.E.F au cours de ses tournées de propagande. (Par la suite, il chercha à se renseigner là-dessus. Waïtari ne connaissait parfaitement que le dialecte Oulé. Les quelques vingt-sept autres dialectes du territoire lui étaient totalement inconnus. Il avait été de ceux qui avait mené avec le plus d’acharnement, depuis 1945, la campagne pour l’enseignement du français dans les tribus, et pour l’élimination progressive des dialectes autochtones. La raison en était facile à deviner. Les sorciers et les chefs de tribus conservaient leur pouvoir à l’abri de cette barrière du langage. Pour Waïtari, l’emploi du français était l’arme principale d’émancipation, d’unification e de propagande, la seule façon de lutter contre les traditions. Le dialecte Oulé ne comporte pas le mot « nation », pas le mot « patrie », pas le mot « politique », pas les mots « ouvrier, travailleur, prolétariat » et l’expression « droits des peuples à disposer d’eux même » y devient « victoire des Oulés sur leurs ennemis ». L’apparent paradoxe qui avait fait de Waïtari le champion intransigeant de l’emploi de la langue française avait donc une explication facile). Pendant que Waïtari parlait, la fusillade continuait sur le lac, – démonstration pratique de ce qu’il racontait.

En conclusion : un roman très riche dont le sujet principal la défense des éléphants permet à Romain Gary de parler aussi et principalement des hommes, de leurs aspirations à la liberté, à la dignité et aussi à une vie « meilleure »

Vous pouvez aller lire l’article d’Eeguab sur le film tourné d’après ce livre

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