Seul dans le noir – Paul Auster

Un homme, insomniaque, dans une maison, réfléchit.

A l’étage, se trouvent, chacune dans leur chambre, sa fille – presque la cinquantaine et qui n’arrive pas à surmonter son divorce et sa petite-fille de 25 ans, dont on apprend que le petit ami vient de mourir.

Lui est écrivain et écrit actuellement une étrange histoire où un magicien est propulsé dans un univers parallèle pour tuer le responsable d’une guerre aux USA.

Au départ on suit simultanément les deux histoires, l’insomniaque se remémore sa vie avec Sonia, chanteuse lyrique, leur séparation, leurs retrouvailles dix ans plus tard. Owen Brick, le jeune homme, plongé dans un univers alternatif en 2007, comprend peu à peu l’uchronie dans laquelle il a été précipité, il est chargé d’une mission horrible qu’il ne peut cautionner.

J’ai lu beaucoup de livres de Paul Auster et celui ci m’a passionné : il y est fait référence au pouvoir des histoires, aux chemins que peut prendre la vie, à la présence de personnes aimées pour qui on a envie de vivre.

Il y a beaucoup de digressions (le cinéma, la guerre en Irak, la famille…), je n’ai pas toujours compris où l’auteur a voulu emmener ses lecteurs mais j’en sors charmée, comme envoûtée par certaines images que l’auteur a su effleurer ou convoquer…

Extraits

Je l’ai mis dans un trou. Ça me semblait un bon début, une façon prometteuse de mettre les choses en train. Mettre un homme endormi dans un trou et voir ce qui se passe quand il se réveille et tente d’en sortir. Je parle d’un grand trou dans le sol, profond de près de trois mètres, creusé de manière à former un cercle parfait, avec des parois lisses en argile dense et solidement tassée, si dures que leur surface a la consistance de la terre cuite, voire du verre. C’est dire que, lorsqu’il aura ouvert les yeux, l’homme dans le trou sera incapable de s’en extirper. A moins qu’il ne dispose d’un équipement d’alpiniste – un marteau et des pitons d’acier, par exemple, ou une corde qui lui permettrait de s’arrimer à un arbre proche – mais cet homme n’est pas équipé et, une fois qu’il aura repris conscience, il comprendra bientôt la gravité de sa situation.

* *

Je ne comprends toujours pas pourquoi nous avons ressenti, tous les trois, la nécessité de regarder cette vidéo-comme si c’était une obligation sacrée. Nous savions tous les trois qu’elle continuerait à nous hanter pour le restant de nos jours, et pourtant nous avions je ne sais comment l’impression que nous devions être là avec Titus, que pour l’amour de lui nous devions garder les yeux face à l’horreur, l’aspirer en nous et l’y garder – en nous, cette mort solitaire et misérable, en nous, la cruauté qui lui fut infligée en ces derniers instants, en nous et en nul autre, afin de ne pas l’abandonner à la nuit impitoyable qui l’avait avalé.

Livre lu dans le cadre d’une lecture commune pour Goran, lecture organisée par la bouche à Oreilles (le livre choisi était Moon Palace mais je l’avais déjà lu)

L’octopus et moi – Erin Hortle

LC avec Edualc

Le premier chapitre est raconté par une pieuvre. Celle ci narre sa vie en Tasmanie, en particulier son rapport à ses sens, elle voit-goûte-touche la mer et son environnement. Après une rencontre avec une voiture, elle survit et retourne à la mer.

La suite est racontée par Lucy, la trentaine. Lucy a eu un cancer du sein et subit une double mastectomie. Elle est en rémission et a accepté une reconstruction de la poitrine. Originaire de Sidney, elle vit en couple avec Jem, pêcheur local d’Ormeaux.

Sans en dire plus sur l’histoire, j’ai beaucoup aimé.

Tout d’ailleurs : l’histoire (intéressante sans être mièvre), les personnages (Lucy, Jem, Harry, Flo la Tassie ainsi qu’une tatoueuse qui aura une importance capitale dans la reconstruction (physique et morale) de Lucy. Les anecdotes sonnent vraies (je pense à plusieurs séances de tricot et à la psy de Lucy). La nature est encore sauvage (la pieuvre est une narratrice mais il y a aussi un jeune phoque qui « prend la parole » plusieurs fois)

Alors j’ai quitté à regret la Tasmanie, les embruns, les puffins, Lucy et les autres….

Beaucoup d’émotions, des sourires, des frissons… bref un régal…

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Extraits :

Et c’est ainsi que ce soir-là j’ai enfilé un pull en laine et, à défaut de bottes en caoutchouc, ma combinaison de surf repliée à la taille. J’ai noué les bras de néoprène autour de moi comme un tablier, ai lancé à Jem «A plus!» et je suis sortie tranquillement, le laissant affalé devant la télé. Je me suis arrêtée à la porte pour enfiler mes Crocs et je me suis mise en marche à pas lourds sur le bord de la route qui part au nord en direction de Eaglehawk Bay, alors que le disque presque plein de la lune gibbeuse frôlait l’horizon du sud-est et s’élevait dans le ciel. Je suis arrivée pile au bon moment: lorsque j’ai rejoint Flo et Poppy au bord de l’eau, le crépuscule tournait au bleu marine et les étoiles étaient en train de s’allumer. En me voyant elles ont souri tout grand, leurs yeux et leurs dents reflétant la lumière nacrée. A la bonne heure! a dit Flo, et je lui ai répondu d’un sourire.

**


Je me propulse je m’enroule je tourbillonne et la surface approche et je touche-vois la clarté des étoiles qui frôle ma peau. Mes tentacules dessinent des traces sur le sable et je regarde les minuscules poissons les puces de mer s’éparpiller dans l’eau qui balance et soupire autour de moi. Mes tentacules s’enroulent tourbillonnent se rassemblent se bouclent sur le sable et le limon tandis que je me propulse je tourbillonne je …
Un oursin !
Je touche-goûte le venin de ses épines qui me piquent et j’ai mal je me propulse plus loin loin loin. Un tourbillon de bulles lave ma peau et je m’enroule me déroule je m’enroule me déroule et tout en tourbillonnant je me souviens de la chair onctueuse sucrée corsée dans mon bec.
Je me souviens que tapie dans un herbier d’algues onduleuses j’ai guetté une langouste dressée au-dessus d’un oursin qui l’a retourné de ses pinces. Une fois retourné ses épines étaient plus petites plus souples et j’ai vu que sa bouche était faible et pénétrable j’ai regardé la langouste tirer la chair par le trou et une brume de filaments est sortie en volutes dans l’eau et m’a frôlée je l’ai touchée-goûtée j’en voulais. J’ai ondulé lentement hors des herbes jusqu’aux rochers au-dessus de la langouste j’ai ouvert tout grand mon manteau et je l’ai laissé retomber sur elle je l’ai tirée en moi je l’ai engloutie et elle se secouait se contractait se débattait dans mes bras et je l’ai tenue et tenue encore j’ai senti le goût de sa panique de sa confusion de sa défaite jusqu’à ce qu’elle s’immobilise. J’ai d’abord pensé serrer la langouste broyer son armure dans mon bec mais dans ses pinces le goût-couleur-odeur de l’oursin était si sucré si corsé. J’ai abandonné la langouste qui s’est précipitée sous l’avancée rocheuse je me suis introduite dans la bouche de l’oursin du bout de mon tentacule recourbé j’ai sorti une lame de chair et je l’ai pressée contre mon bec c’était onctueux un délice.