Jean-Louis Barrault arrive en retard, les cheveux en bataille et les cheveux brillants, emmitouflé dans une grande écharpe tricotée par Madeleine.
– Le printemps se fait prier, il a des coquetteries d’actrice ! s’exclame-t-il en enlevant manteau et cache-nez. Robert, c’est un jour avec ou sans alcool ? Je m’y perds.
– C’est un jour sans, répond Robert, mais Jean-Pierre devrait pouvoir nous arranger ça.
Il hèle le le serveur et lui commande des ersatz de café en clignant de l’œil derrière ses lunettes. Quand ce dernier revient, il dépose devant eux des tasses d’un breuvage indéfinissable où Jean-Louis hume un parfum de rhum.
Voilà ce qu’il me fallait ! approuve-t-il. Tu répondais à ton courrier du cœur ?
– Ces lettres me passionnent, répond Robert en tapotant la pile de courrier. D’abord parce que ce sont des femmes qui les écrivent. Elles confient à l’inconnu que je suis ce qu’elles ont de plus intime et de plus défendu. A les lire, je me demande de quoi rêve Youki. Elle ne me le dira pas, elle est trop maligne !
– La nuit dernière, Madeleine a rêvé d’un cheval qui galopait librement sur le boulevard Haussmann, sans personne pour le retenir ou le rattraper, dis Jean-Louis.
Jean-Louis et Madeleine se sont mariés en plein exode, dans un village de fortune où le hasard les avait poussés par des chemins aléatoires. C’est le capitaine du régiment de Jean-Louis qui les a unis. Les alliances qu’ils ont dénichées chez le bijoutier du coin avait été commandées pour une autre noce. Elles portent la date du mois de mai 1937, détail qui les enchante. Ils aiment que leur amour ait été consacré au milieu de nulle part, dans un présent suspendu.