Que lire un 2 novembre ?

Madame Lurgan rêvait à la soirée glaciale du mardi 2 novembre 1964 quand, âgée de vingt ans et vêtue d’une robe à pois outrageusement courte, elle avait parcouru cent soixante-dix mètres en pleurant et en agitant bras et jambes, sur le toit de la grosse voiture noire qui ramenait les Beatles du cinéma ABC sur Fisherwick Avenue jusqu’au moment où, par pur bonté d’âme, ils avaient fait arrêter ladite voiture et elle-même était tombée sur le macadam, lequel s’était révélé infiniment plus dur qu’on aurait pu le croire.

Eureka Street – Robert McLiam Wilson

Que lire un 17 octobre ?

Nous avons fini vers quatre heures. À la suggestion de Ronnie, nous sommes allés boire deux trois pintes au Bolchévik. Je n’avais pas envie d’y aller, mais refuser aurait paru impoli. Je n’avais pas envie de ressembler à un diplômé de la fac, ni à un être humain, ni à rien de tel.
Le Bolchévik était un vieux bar du centre-ville, à la décoration et à la propreté douteuse. Il avait été ouvert au début des années vingt par le seul communiste d’Irlande. D’abord baptisé l’Octobre 17, il devint le Lénine parce que les clients demandaient sans arrêt ce qui s’était passé le 17 octobre. Le Lénine fut rebaptisé le Trotski, puis le Staline – qui jouit d’une brève popularité durant les dernières années de la Seconde Guerre mondiale –, puis le Khrouchtchev, le Gagarine, le Révolution, nom aussitôt abandonné au début des Troubles, et ensuite le Bolchévik. Le premier propriétaire était mort depuis belle lurette, mais ses descendants respectaient scrupuleusement les traditions de la nomenclature soviétique. Malheureusement les citoyens surnommaient aussi le Bolchévik la Chaude Bique et l’établissement était surtout fréquenté par des protestants réactionnaires de l’espèce la plus intransigeante. Il n’y avait pas de révolutionnaire et Rajinder ne se joignait jamais à nous. Au Bolchévik , Ronnie était toujours immensément heureux. Lui et les autres colons s’y sentaient chez eux, au cœur de leur destin.
J’ai échangé quelques platitudes éculées avec mes camarades de chantier. Ils m’ont encore reproché mon voyage imminent dans le Train de la Paix. Ils sont devenus sérieux. Ils se sont plaints. Ils ont évoqué leur peur de protestants, les conspirations qu’on ourdissait contre eux, Partout, les catholiques gagnaient du terrain, y compris juste en face d’eux s’ils avaient pu le deviner. La Commission du Juste Emploi mettait leurs ennemis sur le marché. Les cathos trouvaient assez d’argent pour acheter des biens dans les bons quartiers protestants où les maisons n’avaient pas de merde sur les murs. Le RUC n’avait même plus le droit de les descendre et lorsqu’un bon protestant foutait dehors l’un de ces infects salopards, et bien , comble du scandale, on le flanquait en prison comme s’il avait commis un crime. Les seins et la formation universitaire en moins, ces gars là me rappelait Aoirghe. Je n’ai rien dit.
.
Eureka Street – Robert McLiam Wilson

Eureka Street – Robert McLiam Wilson

Belfast début des années 90.
Jake, le narrateur, se remet difficilement d’une rupture avec une anglaise qui en a eu assez des bombes. Il est catholique (sans conviction). En attendant (quoi?), il bosse la semaine  : gros bras, il récupère des objets en tout genre chez des personnes endettées.
Chukie a 30 ans, il est protestant mais ami avec Jake et sa bande depuis leur adolescence (il y a un passage hilarant avec sa « rencontre » avec le pape Jean Paul II)
Le week end, et aussi en semaine, les deux potes font la tournée des bars, et ne rentrent que saouls comme des barriques …jusqu’au jour où Chuckie a une illumination…

En toile de fonds Belfast au début des années 90 : des alertes à la bombe tous les jours, des vraies bombes aussi, des flics qui tabassent des gens sans raisons, des bagarres, des immeubles en ruine et des tags partout …des enfants battus, des mères-courages…

Vu comme cela cela a l’air sordide mais le ton de l’auteur est passionnant : tour à tour cynique, plein autodérision, avec des traits d’humour à une page et à la page d’après on a les larmes aux yeux …

Je mets cinq étoiles à ce livre : pour l’histoire, le style et les personnages : Chuckie m’a parfois fait un peu penser à mon idole de Benjamin Malaussène dans « Au bonheur des ogres » de Daniel Pennac : à la fois réaliste et totalement improbable, on a envie de le gifler et dans le chapitre suivant  de l’embrasser …

Un extrait :

Le lendemain, un vendredi, j’ai bossé toute la journée.
J’avais mis un week-end entier à trouver un nouveau boulot. J’avais téléphoné à quelques personnes. Et certaines m’avaient rappelé. J’ai été flatté, stupéfié. J’ai découvert avec excitation que mon action était encore bien cotée. À peine certains de mes anciens associés eurent- ils appris que je me retrouvais de nouveau sans travail, qu’ils se sont bousculés pour m’en proposer un.
Pendant tout le week-end mon répondeur automatique a bourdonné d’une kyrielle de messages auxquels je ne répondais pas. : Slug, Spud, Muckie, Rat, Dix, Onion, Bap et Gack. Pourquoi ne connaissai-je aucun Algernon ? Se rappelant avec plaisir mon ancienne forme et mes anciens talents, tous m’avaient fait diverses propositions, mais je ne voulais plus participer à ce genre de choses. Même cette récente période consacrée à la récup ne rentrait plus vraiment dans mes cordes. La proposition de Davy Murray été la pire, mais c’était aussi la plus légale. Je l’ai accepté et j’ai fini par bosser en équipe pour Davy exactement comme dans le bon vieux temps. Me voilà redevenu ouvrier du bâtiment. Me voilà de nouveau porteur de briques. Et couvreur. Bref, en route pour la gloire. Je faisais ce boulot par intermittence depuis l’âge de seize ans. Le but de l’opération consiste à rénover les cuisines de l’Europa, le plus gros hôtel de Belfast. Et le plus célèbre –celui qu’ils faisaient toujours sauter. (L’emploi de l’imparfait est hasardeux à Belfast : celui qu’ils font toujours sauter, celui qu’ils feront toujours sauter.) Ouais, celui qui n’a pas de fenêtres, celui aux rideaux en bois. Ce fut autrefois l’hôtel le plus de plastiqué d’Europe, mais aujourd’hui les établissements de Sarajevo raflent tous les records.
Mon nouveau boulot était OK. Comme je travaillais dans la construction, je faisais des choses constructives toute la journée. Ce boulot me plaisait. Il était simple. Il était légal. Je n’utilisais pas mes diplômes au mieux, mais au moins il me musclait.

Enna Challenge Petit Bac (Catégorie Lieu)

Best love, Rosie – Nuala O’Faolain

Nous roulions à une allure d’escargot en direction de Kilbride, coincées derrière un camping-car immatriculé en Grande-Bretagne. Pour changer de sujet, j’ai déclaré : »Foutus Anglais. Huit cents ans d’oppression et maintenant ça.
– Neuf cent, a corrigé Peg. On est dans les années 2000 maintenant. Tu savais que c’en était arrivé au point où un catholique n’avait pas le droit de posséder un cheval ? c’est ce que mon père m’a dit. C’est pour ça qu’il a gardé des chevaux tant qu’il a pu les faire paître dans le coin. Il n’aimait même pas ça, les chevaux, mais il tenait à en avoir parce que les anglais nous ont envahis et privés de nos terres et tyrannisés et traités de pire en pire au fil du temps.
– Je ne savais pas que ça te touchait tant, Peg, ai-je dit, surprise par sa réaction.

.

Best love, Rosie – Nuala O’Faolain

.

Sur une idée de Chiffonnette

citation