Si le grain ne meurt – André Gide

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Lecture commune avec Edulac

Récit Autobiographique – André Gide revient sur sa vie depuis sa petite enfance jusqu’à ses fiançailles avec Emmanuèle sa cousine.

De santé fragile, il va peu à l’école. Sa famille appartient à une bourgeoisie aisée et lui permet de suivre une scolarité chaotique auprès de précepteurs. Marqué par la mort de son père alors qu’il a une dizaine d’années, le petit garçon  vit avec sa mère et Anna une dame de compagnie entre Paris, la Normandie et Uzès. 

J’ai mis énormément de temps à lire ce livre : Un peu chaque soir alors que mes anciennes habitudes sont plutôt de dévorer un livre en deux-trois jours. Du coup, je ne sais pas si ce sont ces nouvelles  circonstances de lecture ou le livre en lui même mais ce livre m’a paru très long (à peine 370 pages cependant) 

J’ai d’ailleurs plus aimé la deuxième partie où Gide part en Algérie avec son ami Paul Laurens. Jeune adulte, il découvre ses « penchants » homosexuels et c’est avec beaucoup de pudeur qu’il en rend compte. Il essaie de rentrer dans la « norme » en se persuadant être amoureux de sa cousine et en « partageant » Miriem, la belle prostituée, avec son ami Paul. A Alger, il rencontrera le sulfureux Oscar Wilde en  1893. Ce même Oscar Wilde quelques années  plus tard sera emprisonné pour « Homosexualité ».

Rien de sulfureux dans ce récit de Gide : des impressions, des réflexions sur la famille, la religion, l’écriture et l’amitié, l’amour spirituel pour sa cousine qu’il dissocie de ses désirs pour de jeunes hommes.

En conclusion : Un livre lu sans réelle passion mais sans ennui. Il  ne m’a pas enthousiasmé comme avait su le faire « les nourritures terrestres » lu il est vrai à l’adolescence.

Francesca Melandri – Eva dort

Comme Ulli me manque dans de tels moments.
La nuit où il est mort, Costa était parti depuis quelques jours seulement ; Ulli avait passé les trois premiers jours sur mon canapé, à trembler. J’avais insisté pour qu’il reste encore un peu chez moi, mais il était retourné travailler depuis une semaine. Je m’étais dit qu’être dans Marlene et diriger sa puissance mécanique lui ferait du bien. Cette nuit-là, je n’étais pas avec lui. Ça fait 20 ans que je me demande pourquoi je ne l’ai pas accompagné pour damer les pistes. Est-ce que j’étais avec un homme? Me demanda-t-il de ne pas venir ? J’exclus cette dernière éventualité, je me serais doutée de quelque chose et je ne l’aurais pas laissé seul. Pourquoi n’étais-je pas avec lui ? Je n’en ai aucune idée. Je me souviens seulement que lorsque j’ai reçu ce coup de fil, j’étais dans mon lit, et sans personne.
Ulli ne voulait pas aller vivre à Berlin, à Londres, à Vienne comme tout le monde lui disait. Il ne voulait pas être le fils schwul du héros qui avait donné sa vie pour lui. Il ne voulait pas être le bon fils à sa maman qui se laisse frire le cerveau par des électrochocs pendant qu’on lui montre des images porno – une thérapie certainement inventée par ce médecin de Val Sarantina, probablement pour pouvoir regarder lui-même à loisir des images de coïts homosexuels. Il ne voulait pas se marier avec une femme, arriver à faire des enfants seulement en fermant les yeux et en imaginant que c’était un homme, puis lui faire croire qu’il avait une maîtresse et fréquenter en réalité les toilettes des gares. Il voulait seulement être lui-même là où il était né, et pouvoir aimer celui qu’il aimait.
Il voulait la seule chose impossible.
Il monta avec la dameuse au sommet de la piste la plus pentue, celle des entraînements pour la Coupe du monde, 68 % de déclivité sans interruption. Les chenilles mordirent la neige tandis que le treuil de sécurité le tirait en haut. Quand il arriva au sommet, il détacha le treuil, tourna l’avant de la dameuse vers la vallée, mis les gaz et desserra le frein. Je me la suis toujours imaginée comme ça, Marlene, la dameuse qu’Ulli aimait comme un routier aime son poids lourd, comme un cow-boy aime son cheval : elle glisse avec élégance le long de la piste, elle prend son élan, un tas de neige la fait pencher sur le côté, mais les chenilles de bonne qualité la maintiennent dans l’axe, elle descend en prenant de la vitesse le long de la piste sans égratigner la neige, elle vole et rebondit comme un petit skieur, elle s’écrase contre un arbre au bord de la piste, puis contre un autre encore, et un autre, pour atterrir tout en bas de la piste.
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Francesca Melandri – Eva dort

Le nouveau nom – Elena Ferrante

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Après l’excellent « L’amie prodigieuse », j’ai emprunté le tome 2 à la bibli. Dans le premier tome, le lecteur pouvait suivre Elena et Lila de 5 ans jusqu’à 16 ans : fraîcheur, étonnement des petites filles…la vie pouvait être belle dans le Naples des années 50 même si la misère était présente.

Les deux filles ont grandi : Lila se marie à 16 ans pour partir de chez elle et aussi parce que son mari est riche et saura la combler (croit-elle). La désillusion sera terrible. Elena, elle, poursuit ses études (lycée puis université) et continue à voir son amie. Lila, malheureuse dans son mariage (comment imaginer Lila si forte dans le premier tome se laisser battre par son mari ?). Autres temps autres mœurs : Dans les années 50 à Naples, les femmes battues sont presque la norme (dans ce livre du moins).

Après une épopée des deux filles (un peu longue) lors de vacances dans une maison à la mer, Elena arrivera à se départir de la main mise malsaine de Lila sur sa vie. A partir de ce moment, j’ai plus apprécié ma lecture (j’ai trouvé Lila malsaine, car très malheureuse sûrement, d’où une surenchère de caprices). J’ai préféré le personnage d’Elena qui essaie de se sortir de la misère en travaillant d’arrache-pied.

Malgré un avis plus mitigé que pour le premier tome, je lirai sûrement le troisième quand il sera disponible en français (et aussi  parce que la fin du deuxième tome est très adroite et sait donner envie : Figurez vous que le beau Nino réapparait ! Comment cela je n’ai pas dit qui était Nino : et bien c’est parce que c’est le pendant de Lila, la malsaine….)

J’ai envie de savoir ce qui arrive à Elena. Quant à Lila et Nino,  je les considère comme peu intéressants (peut être le prochain tome me donnera tort)

En conclusion : des personnages bien campés même si je ne les ai pas tous appréciés…

 

 

Un extrait (c’est Elena qui parle)

Tout à coup, je me rendis compte de ce presque. J’y étais parvenue ? Presque. Je m’étais arrachée à Naples et au quartier ? Presque. J’avais des nouveaux amis garçons et filles qui venaient de familles cultivées, souvent bien plus que Mme Galiani et ses enfants ? Presque. D’examen en examen, j’étais devenue une étudiante accueillie avec bienveillance par les professeurs absorbés qui m’interrogeaient ? Presque. Derrière ce presque, j’eus l’impression de comprendre comment se passaient vraiment les choses. J’avais peur. J’avais peur comme au premier jour de mon arrivée à Pise. Je craignais ceux qui savaient être cultivés sans ce presque, avec désinvolture.

 

Le mois italien chez Eimelle

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Paul Fournel – Poils de Cairote

24 septembre 2002

La chaleur étant intolérable pour les hommes et les bêtes, nous sommes partis à la nuit tombée. La lune était pleine et haute et posait sur le désert un doigt bleu. Les chevaux semblaient heureux de s’étirer dans la brise du soir et d’allonger un petit galop dans la dune. Très vite le canter a tourné au Grand Prix et nous nous sommes retrouvés dix de front à nous enfoncer tête baissée dans la nuit.

Plus loin dans le noir, à l’abri d’un plateau, nous avons rejoint la carriole partie longtemps avant nous et le thé et les grillades.

De là, nous avons pu profiter des lumières de la ville et du « lumière » des pyramides (nous étions trop loin pour profiter du « son »), dans le cliquetis des mors et le pet teigneux des dromadaires. Sur le désert noir-bleu Kheops clignotaient rouge et Khephren jaunissaient, verdissait.

Le vent du désert était presque frais et tellement immense qu’il nous traversait de sa grande odeur sèche de sable.

Les doigts gras de kofta et de poulet, nous avons repris le chemin du retour.

Lorsque les chevaux ont basculé au galop dans la descente, j’ai caressé ma jument, je lui ai dit que j’avais confiance, qu’elle allait évidemment éviter les trous et les saignées, qu’elle saurait se tenir à l’abri des embûches de la nuit. Nous sommes passées en tête et j’ai fermé les yeux.

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Paul Fournel – Poils de Cairote

La nonne et le brigand – Frédérique Deghelt

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Deux histoires en parallèle : La première est celle de Lysange, jeune quarantenaire récemment divorcée, de nos jours : elle partage ses réflexions sur sa vie, sa famille, ses recherches sur l’immigration des allemands au Brésil, sa relation amoureuse avec un grand reporter, sa relation amicale avec un retraité qui lui prête sa maison en Vendée. C’est dans cette maison  que Lysange trouve le journal de sœur Madeleine, écrit il y a une cinquantaine d’années. 

La deuxième histoire est celle de Sœur Madeleine, qui quitte la France dans les années 60 pour apporter des médicaments dans un Brésil démuni de tout.

Pour tout dire la partie de Lysange ne m’a pas convaincue (j’ai du mal à comprendre qu’une femme équilibrée comme elle puisse se laisser manipuler par un homme de type  pervers narcissique). J’étais prête à abandonner ce livre quand l’histoire décolle vers la centième page avec l’épopée de Sœur Madeleine (la nonne du titre) avec Angel (le brigand du même titre). Leur traversée du Brésil m’a totalement convaincue : dépaysement, réflexion sur l’homme dans la nature, sur la foi qui vacille, le désir…. 

Un sentiment en demi teinte donc mais qui vaut le détour pour justement la nonne et son brigand.

Un extrait :

Il fallait que ce soit à Angel que ça arrive.Tomber amoureux d’une nonne. Vous ne comprenez donc rien ? Ne me regardez pas avec ces yeux étonnés. Ce n’est pas la peine d’être en cheville avec le ciel pour être aussi aveugle. Je sais, vous l’avez épousé ce Jésus, mais vous n’allez pas me mettre en concurrence avec un type qui est mort il y a presque deux mille ans et qui n’a même pas consommé sa nuit de noces ?

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Challenge Philippe « lire sous la contrainte » où la contrainte est « un méchant dans le titre »

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A la fin le silence – Laurence Tardieu

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Laurence Tardieu, mère de deux enfants et enceinte du troisième, nous raconte en parallèle ses impressions sur la maison de son enfance qui va bientôt été vendue,  et son ressenti sur les attentats de janvier 2015. 

Parisienne, elle habite à quelque rues des locaux de Charlie hebdo.  Quand elle entend le bruit des ambulances, elle pense à un incendie. En effet inimaginable en janvier 2015 de penser à un tel bain de sang à Paris. 

Elle nous dit sans fard sa peur panique de ces trois jours : Une réaction très forte à ces attentats peut être amplifiée par le fait qu’elle soit enceinte (dans quel monde vont grandir nos enfants ?). L’attentat d’une part puis la prise d’otage dans la supérette juste ensuite : ses enfants sont dans un collège et école non loin de là : le voyage en métro (trois stations) le plus long de sa vie…

Avec l’arrivée de l’enfant, Lautence Tardieu fait une pause dans l’écriture , elle reprend son texte suite aux attentats de novembre 2015 ….

Les chapitres sur les souvenirs de la maison de famille sont plus légers forcément et j’ai vraiment eu l’impression que la maison respirait et avait une âme. Cybele est la maison de ses grands parents, émigrés italiens, qui s’installent à Nice…. Nice qui le 14 juillet 2016 sera endeuillée à son tour par un attentat horrible (le livre imprimé fin 2015 n’en parle pas bien sûr)

Un livre émouvant qui mélange réflexion sur l’enfance, le passé, le futur, futur qui s’assombrit ……Une réflexion sur le deuil aussi (deuil de l’enfance via la maison qui va être vendue), de sa mère disparue il y a une quinzaine d’années, et deuil aussi d’un sentiment de sécurité en France…

Un extrait :

Les semaines, les mois ont passé. Il m’a semblé qu’autour de moi on en parlait moins. On parlait moins de ça. Parce qu’on ne savait pas le nommer ? Parce que ça avait été si démesuré, si monstrueux qu’on ne pouvait pas encore le mettre en mots ? Dans l’espoir vain de tordre le cou à la peur, de croire que l’on pouvait reprendre le cours d’une vie normale ? (…) On tournait autour, il n’y avait pas de mot pour dire ce que ça avait été, tout ce que ça avait été. Tout ce que ça avait changé.

L’avis de Jostein , d’Antigone

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Nuit(s)

Cher Mr Gallimard,

Je vous écris cette lettre pour vous faire part de mes inquiétudes. Les jeunes ne lisent plus (les vieux non plus mais ils le cachent).

Devant ce constat alarmant, j’ai eu une idée en lisant ce site (une idée écologique en plus car recyclable) Il s’agit de créer de nouveaux livres avec d’anciens.

Pour la réalisation du premier tome de cette nouvelle collection, il s’agit de fusionner « l’étranger » de Camus et « Voyage au bout de la nuit de Céline ». Ce n’est pas dur , il y a 396 citations de « l’étranger » et 791 de « voyage au bout de la nuit » sur Babelio. Un peu de lien entre les extraits et le tour sera joué : un nouveau livre dont le titre « Etre rangé, nuit debout » devrait séduire le jeune public. (livre dont je vous invite à aller voir la couverture ici)

Je vous explique le synopsis en quelques mots : Meursault, du fond de sa prison à Fleury Mérogis, attend sa sentence. Son médecin Bardamu vient lui rendre visite et le conseille (Meursault a refusé d’être représenté par un avocat). Bardamu essaie de convaincre le mouvement « Nuit debout » de manifester pour Meursault, dans l’optique de la « convergence des luttes » (d’où le titre du nouveau livre « « Etre rangé, nuit debout » », vous l’aurez compris. La revendication est celle de Meursault de pouvoir se « ranger » et faire oublier ses crimes. Le roman se déroule en octobre 2016, pour que les jeunes se reconnaissent dans l’époque. Vous conviendrez que je doive réfléchir pour cela à l’adaptation de l’étranger (1942) et du « Voyage… » (1932), je vous tiens au courant…

Je vous retranscrit ci dessous l’incipit tel que je le vois. le passage de « l’étranger » est en bleu et le passage du « voyage » est en rouge, pour l’illustration du « concept ».

Dans l’obscurité de ma prison roulante, j’ai retrouvé un à un, comme du fond de ma fatigue, tous les bruits familiers d’une ville que j’aimais et d’une certaine heure où il m’arrivait de me sentir content. Le cri des vendeurs de journaux dans l’air déjà détendu, les derniers oiseaux dans le square, l’appel des marchands de sandwiches, la plainte des tramways dans les hauts tournants de la ville et cette rumeur du ciel avant que la nuit bascule sur le port, tout cela recomposait pour moi un itinéraire d’aveugle, que je connaissais bien avant d’entrer en prison.

Faire confiance aux hommes c’est déjà se faire tuer un peu. Il existe pour le pauvre en ce monde deux grandes manières de crever, soit par l’indifférence absolue de vos semblables en temps de paix, ou par la passion homicide des mêmes en la guerre venue. S’ils se mettent à penser à vous, c’est à votre torture qu’ils songent aussitôt les autres, et rien qu’à ça. On ne les intéresse que saignants les salauds !

Restant à votre disposition, Cher Mr Gallimard, pour la réalisation de cette nouvelle collection, qui devrait rendre le goût de la lecture aux jeunes et aux moins jeunes.

Cordialement

La jument verte

PS : si l’idée vous plait j’ai une idée de synopis pour le volume 2 : « Rien ne s’oppose à la nuit » de Delphine de Vigan et « la nuit des temps » de Barjavel pour donner « Rien ne s’oppose à la nuit des temps », je vous laisse, je vais lire le premier pour voir comment le fusionner avec le deuxième.

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Ma participation à l’agenda ironique d’octobre organisé par Laurence Délis avec le thème « nuit d’octobre »