Le champ de personne – Daniel Picouly

Daniel Picouly raconte son enfance.
Il est un des derniers enfants d’une famille de douze.
Il a dix ans. Le premier chapitre nous fait découvrir l’univers de ce petit garçon, se réveillant dans sa nombreuse fratrie.
Très pauvre, cette famille « squatte » une maison minuscule en attendant l’hypothétique attribution d’un HLM.
Le père, d’origine antillaise, travaille à Air France, la mère s’occupe des enfants.
Et Daniel le narrateur, dans tout ce beau monde, nous fait enfourcher son cheval magique et nous emmène dans l’univers fantastique d’un garçon de dix ans : l’école et ses zéros en dictée, les parties de foot avec son frère dans le terrain vague éponyme, les premières amours … la guerre d’Algérie qui gronde et emmène les grands frères…
L’action se passe en 1958. La guerre et le passé de résistant du père sont encore très présents.
Que de tendresse pour ses parents et sa famille….les portraits de du père et de la mère sont très sincères et admiratifs.
Il faut suivre parce que la narration passe un peu du coq à l’âne (les liens de cause à effet dans la pensée d’un enfant de dix ans m’ont fait rire)
C’est savoureux ….

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Extraits

Le maître vient de me donner une pichenette sur le lobe de l’oreille pour me réveiller. Son inquiétude grandit. Il se demande si je vais battre mon record de fautes, établi dans « Le distrait » des Caractères de La Bruyère. Il y avait à ll’intérieur ce satané Ménalque, avec son nom d’oiseau parleur, qui gobe les dés du trictrac. Moi, j’ai imaginé une autruche avalant un réveil, et qui court de ferme en ferme pour réveiller les paysans. Alors, les coqs deviennent inutiles, et on les passe à la casserole.

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Je me dresse sur le lit, en sueur. J’ai dû crier, mais personne n’a entendu. Le vélo de la m’am ! Hier soir, je l’ai emprunté pour aller jouer au foot au Champ de Personne. Pas peu fier. Je pouvais tout juste m’asseoir sur la selle. Pour pédaler, je devais me mettre en danseuse, comme Charly Gaul dans le Tourmalet. Les copains étaient babas ! Un vélo parme avec des sacoches de facteur en cuir.
Au Champ de Personne ! J’ai oublié ! Le vélo de ma mère ! J’ai beau le découper, le redécouper et le mettre dans tous les sens, ça ne change rien. J’ai oublié le vélo de ma mère au Champ de Personne !
La maison vient de s’écrouler sur mon crâne. « Quinze morts rue Meissonnier. Une famille nombreuse menacée d’expulsion périt tout entière dans l’effondrement de son logis. » Ce sera le gros titre du Parisien, entre la sixième victoire d’Anquetil au Grand Prix des Nations, et une photo du général de Gaulle en train de serrer des mains dans la foule pour le référendum.

Sous le soleil des Scorta – Laurent Gaudé

Laurent Gaudé nous emmène sous le soleil écrasant des Pouilles, dans le petit village de Montepuccio plus précisément.
Tout commence avec le retour, après quinze ans d’absence pour cause de prison, de Luciano Mascalzone ; les villageois sont rancuniers et lui feront payer ses méfaits…

Le roman a une ambiance indéniable, certains personnages ont une présence très forte (surtout Carmela qui prend la parole et raconte certains épisodes à la première personne : le récit du voyage à New-York est marquant).

Un livre qui ne m’a pourtant pas totalement convaincue. Ce n’est pas du fait du livre en lui même, je pense, mais cela vient plutôt de moi : ce n’est pas là première fois que je reste un peu à côté d’un livre qui balaie plus de 100 ans d’histoire en 250 pages : je n’arrive pas à trouver les personnages attachants quand ils « vieillissent » si vite ou que d’un chapitre à l’autre un « bond » de 20 ans a été fait.

Un auteur que je relirai pour son style…

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Extraits:

Les olives sont éternelles. Une olive ne dure pas. Elle mûrit et se gâte. Mais les olives se succèdent les unes aux autres, de façon infinie et répétitive. Elles sont toutes différentes, mais leur longue chaîne n’a pas de fin. Elles ont la même forme, la même couleur, elles ont été mûries par le même soleil et on le même goût. Alors oui, les olives sont éternelles. Comme les hommes. Même succession infinie de vie et de mort. La longue chaîne des hommes ne se brise pas. Ce sera bientôt mon tour de disparaître. La vie s’achève. Mais tout continue pour d’autres que nous.

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Lorsque le soleil règne dans le ciel, à faire claquer les pierres, il n’y a rien à faire. Nous l’aimons trop cette terre. Elle n’offre rien, elle est plus pauvre que nous, mais lorsque le soleil la chauffe, aucun d’entre nous ne peut la quitter. Nous sommes nés du soleil, Elia. Sa chaleur nous l’avons en nous. D’aussi loin que nos corps se souviennent, il était là, réchauffant nos peaux de nourrissons. Et nous ne cessons de le manger, de le croquer à pleines dents. Il est là dans les fruits que nous mangeons. Les pêches. Les olives. Les oranges. C’est son parfum. Avec l’huile que nous buvons, il coule dans nos gorges. Il est en nous. Nous sommes les mangeurs de soleil.

Madame lit mets les prix Goncourt à l’honneur ce mois-ci

son avis (beaucoup plus enthousiaste que le mien) sur ce livre ici

 

Les buveurs de lumière – Jenni Fagan

Voilà un roman enthousiasmant tant pour son ambiance, que pour ces personnages.

Novembre 2020 : L’action se passe en Ecosse où un hiver digne des régions les plus reculées de Russie s’installe. L’Ecosse n’est pas la seule touchée, Israël et le Maroc ne tardent pas à être recouverts de neige. Des rumeurs font état de périodes de glaciation et d’iceberg se dirigeant vers les rives européennes.

Au niveau des personnages, nous faisons d’abord connaissance avec Dylan, 38 ans. Il vient de perdre tour à tour sa grand mère et sa mère (mortes de vieillesse et de maladie). Il est obligé quitter Londres et le cinéma qu’il exploitait avec elles (les actes de Dylan partant de Londres pour le nord m’ont beaucoup fait rire)
Après un long voyage en bus, il parvient à Clahan Fells en Ecosse où vivent Constance (as de la récupération et pédagogue invétérée) et sa fille Stella.

La survie dans cet hiver polaire s’organise. La communauté est à la fois soudée mais aussi intolérante vis à vis tous les êtres un tant soit peu différents.
J’ai eu un coup de coeur pour les trois personnages principaux (Stella, 12 ans, est convaincante de franchise et de réflexion), Dylan touchant dans son deuil et son amour tout neuf pour Constance, celle-ci, esprit libre, défend les choix de sa fille.
La part grandissante et menaçante de la nature et de l’hiver qui envahit tout est magnifiquement décrite… on tremble pour cette communauté isolée…
Un huis clos sous la neige à la fois solidaire et oppressant…

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extraits

Le soleil descend en spirale à travers la cime des arbres, révélant des sédiments de poussière argentée et ambrée. Un étang gelé. Des boucles de glace forment une fleur de givre sur une branche tombée. Chaque pétale glacé est parfaitement recourbé et transparent. L’hiver les a sculpté pendant la nuit. Les a placé là.

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– Vous regardez le soleil en face ? s’étonne Stella.
– Vous allez devenir aveugle.
– Non. J’ai appris à le faire avec les buveurs de lumière, ils viennent des îles qui se trouvent plus au nord. On peut absorber la lumière jusque dans ses chromosomes puis, au plus sombre de l’hiver, quand il n’y en a plus du tout, on se met à rayonner, rayonner, rayonner. C’est ce que j’ai fait, dit-elle.
– Vous rayonnez ?
– Comme un putain d’ange.

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Que lire un 21 juillet ?

– Le jour de sa mort, il était aussi allé se promener en forêt, continua-t-elle. Le matin, au petit déjeuner, il nous a annoncé qu’il avait l’intention de faire une longue promenade. Il espérait voir quelque chose de nouveau, quelque chose qu’il n’avait jamais vu auparavant. Je lui ai fait des sandwichs et je lui ai donné un thermos avec une boisson. Et avant son départ je lui ai rappelé de prendre sa boussole. Au cas où il se perdrait dans la forêt. Elle est très grande, la forêt de l’autre côté de la route, tu comprends.
– Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?
– Ensuite… ensuite Paul a fait quelque chose de très dangereux. Quelque chose que tu ne dois jamais faire. Tu m’entends ? Il est allé sur la voie ferrée. Et quand le train est arrivé, Il devait être absorbé dans ses pensées, ou peut-être qu’il observait un animal ou quelque chose comme ça. Ce qui fait qu’il n’a pas entendu le train et qu’il a été percuté. Et qu’il a été tué.
– Est-ce qu’il a eu mal ? » demandai-je.
Maman secoua la tête. « Je ne crois pas. Ça s’est passé tellement vite. On n’a pas le temps de se demander si ça fait mal ou non. »
Après à l’instant elle continua à raconter, mais sa voix n’était plus la même.
« C’était le 21 juillet l’année avant ta naissance », dit-elle, et c’était comme si elle se parlait à elle-même. « En fait c’était le jour où ils ont marché sur la lune pour la première fois. Je me souviens que j’étais un peu inquiète vers le début de l’après-midi. Comme mal à l’aise. Stéphane était dans la cuisine, en train de faire la vaisselle. Il écoutait la radio. Il chantait une chanson qu’on entendait assez souvent cet été là. It’s the time of the season when your love runs high… Et tout à coup on a sonné à la porte. C’est moi qui ai ouvert. Devant la porte il y avait deux policiers. Ils ont demandé à entrer.

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Mon frère et son frère – Håkan Lindquist

L’homme-dé – Luke Rhinehart

– Je veux que tu me fasses sortir, dit tranquillement Éric en tenant du bout des doigts comme un objet fragile un sandwich à la salade de thon. Nous nous trouvions à la cafétéria du pavillon W, parmi la foule des malades et de leurs visites. À la circonstance, je portais un vieux complet noir et un pull chaussette noir, il était, lui, en uniforme d’hôpital psychiatrique, raide et gris.
– Pourquoi ça ? demandai-je en me penchant vers lui pour mieux l’entendre à travers le boucan environnant.
– Il faut que je sorte ; je ne fais plus rien d’utile ici.
Il regardait par-dessus mon épaule la foule confuse d’individus derrière mon dos.
– Mais pourquoi moi ? Tu sais que tu ne peux pas me faire confiance.
Je ne peux pas te faire confiance, eux non plus, personne ne peut te faire confiance.
– Merci.

– Mais tu es le seul type à qui l’on ne puisse pas faire confiance de leur côté, qui en sache assez pour nous aider.
– Tu m’en vois flatté.
Je souris, me renversai sur ma chaise et, mal à l’aise, absorbai une gorgée de lait chocolaté au moyen de la paille plongée dans mon gobelet en carton. Je n’entendis pas le début de la phrase suivante.
– …on partira. Je le sais. De toute façon, ça se fera.
– Quoi ? dis-je en me penchant de nouveau vers lui.
Je veux que tu nous aides à foutre le camp.
– Ah, très bien. Et quand ça ?
– Ce soir.
– Haaa…, fis-je, comme un médecin qui vient de réunir un ensemble de symptômes particulièrement significatif.
– Ce soir à 8 heures.
– Pas huit heures et quart ?
–Tu vas commander un car pour emmener un groupe de malades voir Hair à Manhattan.le car arrivera à huit heures moins le quart. Tu viendras avec nous et tu nous feras sortir.
– Pourquoi veux-tu voir Hair ?
Ses yeux noirs eurent un bref éclair à mon adresse puis se reposer sur la mêlée humaine derrière mon dos.
– On ne va pas voir Hair. On se barre, précisa-t-il calmement. Toi, tu vas nous faire faire le mur.
– Mais personne ne peut quitter l’hôpital comme ça, sans un écrit signé du Docteur Mann ou d’un autre directeur de l’hôpital.
– Tu n’as qu’à faire un faux. Si c’est un médecin qui le remet à l’infirmier de service, personne ne se doutera que c’est un faux .
Page 347

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L’homme-dé – Luke Rhinehart

Que lire un 14 juillet ?

On dit qu’il y eut, ce jour, près de deux cent mille personnes autour du monstre –ce qui représente la moitié de la ville, une fois retranchés les nouveau-nés, les vieillards et les malades, cela veut dire que tout le monde y est. Ce doit être une foule prodigieuse, une sorte de totalité. On ne voit jamais ça. La totalité se dérobe toujours. Mais ce matin-là, le 14 juillet, il y a les hommes, les femmes, les ouvriers, les petits commerçants, les artisans, les bourgeois même, les étudiants, les pauvres ; et bien des brigands de Paris doivent y être, attirés par le désordre et l’opportunité incroyable, mais peut-être aussi, comme tout le monde, par autre chose de plus difficile à nommer, de plus impossible à rater, de plus jubilatoire.
Dans la forteresse, l’inquiétude grandit. Le gouverneur grimpe sur les tours. Il entend l’immense foule râler, tout en bas, il la voit qui tribule autour comme un lavis bouillant. On dirait que Paris vient d’être frappée par une immense baguette de sourcier ; de toute part, ça s’écoule, entre les murs jaunis, à travers les jardins et le long des fosses. Il y a des gens partout. Il faut imaginer ça. Il faut imaginer un instant le gouverneur et les soldats de la citadelle jetant un œil par-dessus les créneaux. Il faut se figurer une foule qui est une ville, une ville qui est un peuple. Il faut imaginer leur stupeur. Il faut imaginer le ciel obscur, orageux, le lourd vent d’ouest, les cheveux qui collent au visage, la poussière qui rougit les yeux, mais surtout, la foule de toute part, au bord des fossés, aux fenêtres des maisons, dans les arbres, sur les toits, partout.
Durant sa longue histoire, la Bastille avait été déjà prise trois fois. La première, pendant la journée des barricades, le 13 mai 1588. La deuxième, lors de l’entrée d’Henri IV dans Paris ; elle résista quelques jours et finalement tomba. La troisième, durant la Fronde. Mais le 14 juillet, la Bastille n’est pas assiégée par le duc de Guise et quelques marauds, elle n’est pas tourmentée par les armées du roi de France, ni par celle du prince de Condé. Non. La situation est tout à fait nouvelle, sans exemple dans les annales. Le 14 juillet 1789, la Bastille est assiégée par Paris.

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14 juillet – Eric Vuillard

Que lire un 13 juillet ?

La nuit du 13 juillet 1789 fut longue, très longue, une des plus longue de tous les temps. Personne ne put dormir. Autour du Louvre, de petits groupes erraient, mutiques, dans une sinistre maraude. Les cabarets ne fermaient pas. Sur les quais, des solitaires périgrinèrent toute la nuit, ombres bizarres. Il faisait une chaleur écrasante, on ne pouvait pas trouver le sommeil ; dehors, on cherchait un peu de vent, un peu d’air. Paris entier ne dormait pas.
Ce fut l’un des plus beaux étés de tout le siècle. Un des plus chauds aussi. On rôtissait. Mais l’hiver avait été froid, si froid là, les racines avaient gelé à plus d’un pied sous terre. La faim s’était étendue sur la France, silencieuse d’abord, puis le désespoir était venu, puis la colère. Et maintenant il faisait très chaud. Trop chaud. La nuit les jeunes sortaient fouiller la ville, c’étaient de longues tournées depuis le faubourg. La France était alors un pays jeune, incroyablement jeune. Les révolutionnaires furent de très jeunes gens, des commissaires de vingt ans, des généraux de vingt-cinq ans. On n’a jamais revu ça depuis. Et cette jeunesse impatiente, le 13 juillet, fut incapable de dormir.

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14 Juillet – Eric Vuillard

La chambre aux échos – Richard Powers

LC avec Edualc

Dans le premier chapitre, nous sommes témoins de l’accident de camion de Mark, 28 ans. Puis nous retrouvons à l’hôpital sa sœur, de quatre ans son aînée, qui vient le veiller. Ils étaient très proches l’un de l’autre puisqu’elle lâche son boulot pour venir à son chevet pendant des semaines et des semaines. Un jour, il finit par sortir du coma. Ses amis, après une absence de trois semaines, viennent le voir à l’hôpital et réussissent à obtenir une réaction de sa part.
Karine nous raconte leur enfance ; le père qui essaie d’assassiner la mère lorsqu’ils ont respectivement 8 et 12 ans, ses tentatives de partir loin du Nebraska.
Mark, le frère, se rétablit physiquement mais devient paranoïaque : il ne reconnait pas sa soeur et prend celle ci pour un sosie envoyé par de mystérieux individus, voire le FBI.
Une lente descente aux enfers pour ces deux jeunes gens. Que son frère bien aimé la prenne pour une imposteur mine Karine…
En parallèle, l’histoire est également vu du point de vue de Weber, un médecin spécialiste de cette maladie, forme rarissime de schizophrénie …
Un livre exigeant où le vocabulaire médical est parfois très présent.
J’ai eu une préférence pour le personnage de Karine, de son ami Daniel, qui souhaite sauvegarder cette partie encore sauvage du Nebraska et ses oiseaux migrateurs, et aussi celui de la mystérieuse aide-soignante, Barbara …

 

Deux extraits :

Les oiseaux sont immenses, bien plus grands qu’il ne l’avait imaginé. Leurs ailes battent l’air lentement, à pleines brassées, les longues rémiges s’arquent très haut au-dessus du corps puis replongent loin dessous, comme un châle sans cesse remonté sur des épaules oublieuses. Les cous se tendent et les pattes traînent; au milieu, le léger renflement du corps semble un jouet d’enfant suspendu à des ficelles. Un oiseau se pose à six mètres de l’affût. Il agite ses ailes dont l’envergure dépasse la taille de Weber. Derrière l’animal des centaines d’autres atterrissent. Et leur escale sur ce terrain privé n’est qu’une amusette, comparé au spectacle grandiose qui se donne dans de plus vastes sanctuaires. Les cris s’accumulent et se font écho. Un chœur unique et factieux, désaccordé, s’étire sur des kilomètres dans toutes les directions jusqu’au pléistocène.

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La solitude inexplicable de cette femme le troublait. Un événement s’était produit, qui l’avait enfermé dans une posture ; une étrange perte de confiance l’avait poussée à mener une existence modeste bien au-dessous de ses compétences. Elle avait perdu une part d’elle-même, ou s’en était amputée, rejetant la compétition, refusant de participer à une entreprise collective chaque jour plus effrénée. Une atteinte du cortex préfrontal pouvait-elle avoir transformé Barbara en ermite ? Aucune lésion n’était nécessaire. Il les reconnaissait, elle et son renoncement. Quelque chose les liait l’un à l’autre.

Challenge pavévasion chez Brize (704 pages en poche)

 

Que lire un 7 juillet ?

– Comme je vous l’avais dit, Tomohiko Amada a quitté Vienne au début de 1939 pour rentrer au Japon. Il s’agissait officiellement d’une expulsion mais en réalité, l’artiste avait été « sauvé» des griffes de la Gestapo. Le ministère japonais des Affaires étrangères et son homologue nazi avaient eu une concertation secrète au terme de laquelle il avait été décidé qu’il serait simplement expulsé vers l’étranger, sans qu’on lui impute de crime. La tentative d’assassinat avait eu lieu en 1938 et on voit bien aujourd’hui que cette même année s’étaient déroulés une série d’événements majeurs. l’Anschluss et la Nuit de cristal. Plein de choses en mars, la Nuit de cristal en novembre. Après ces deux épisodes, les objectifs bellicistes d’Adolf Hitler étaient clairs pour tout le monde. Et l’Autriche elle-même a été incorporée dans ce mécanisme brutal. Au point de s’enfoncer dans une impasse. Des mouvements de résistance clandestins ont vu le jour, composés essentiellement d’étudiants, qui cherchaient à tout prix à entraver cette machine infernale. Et cette année-là, Tomohiko Amada a été arrêté pour son implication dans une tentative d’assassinat. Avez-vous maintenant saisi les circonstances qui entourent son arrestation ?
– Je crois que je comprends dans les grandes lignes, dis-je.
– Vous aimez histoire ?
– Peut-être pas de façon très approfondie, mais j’aime lire des livres ayant trait à l’histoire.
– Si l’on regarde l’histoire du Japon, il y a eu aussi, à peu près à la même époque, un certain nombre d’événements importants. Des événements fatals, qui interdisaient tout retour en arrière, qui conduisaient inéluctablement le pays à la catastrophe. Vous voyez lesquels ? »
Je tentai de réexaminer les connaissances historiques enfouies depuis très longtemps dans ma tête. Que s’était-il donc passé en 1938, autrement dit en l’an 13 de l’ère Shôwa ? En Europe, la guerre civile espagnole s’intensifiait. C’était sûrement à cette date là que la légion allemande Condor avait fait subir à Guernica un bombardement aveugle. Et au Japon… ?
« Est-ce cette année là qu’eut lieu l’incident du pont Marco-polo ? demandai-je.
– C’était l’année précédente, répondit Menshiki. L’incident du pont Marco-Polo se déroula le 7 juillet 1937, ce fut le prétexte au véritable déclenchement de la guerre entre le Japon et la Chine.
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Le meurtre du commandeur – livre 2 – Haruki Murakami

Que lire un 2 juillet ?

Aujourd’hui, 2 juillet, John l’Enfer ne s’intéresse pas aux molosses des Alleghanys. En temps normal, il se serait sans doute passionné pour cette affaire qui a de nombreux points communs avec l’exode du peuple Cheyenne abandonnant la région du haut Missouri pour s’enfoncer vers l’ouest. Mais depuis ce matin, trop d’événements se sont succédé ; et qui se contredisaient les uns des autres.
Il y a d’abord eu la visite des frères Robbins. John n’a pas rencontré ses avocats au parloir, mais dans une cellule spéciale équipée de tout le confort moderne : air conditionné, distributeur d’eau et de sodas, interphone relié avec le QG des surveillants. Bob et Jack paraissaient en grande forme. Ils étaient rasés de frais, portaient cravate et boutons de manchettes. Un homme grand et maigre les accompagnait ; John l’Enfer reconnut en lui un des notaires les mieux cotés de Long Island. En se relayant les avocats lurent à John les textes qui légalisait l’hypothèque de sa maison. Le notaire mit ses lunettes lorsque l’Indien apposa son paraphe au bas des documents. Jack prit les mains de John dans les siennes :
– Aussi facile que ça, mon vieux. Vous voilà à la tête de douze mille dollars.
Quand le candidat d’un jeu télévisé gagne douze mille dollars, on lui demande ce qu’il va en faire. La plupart des gens essaient alors d’avoir l’air intelligent ; ils parlent de réfections de toitures, de dons partiels aux organisations charitables. John l’Enfer n’eut pas besoin de réfléchir : Bob lui présenta aussitôt d’autres papiers qui transférait purement et simplement les douze mille dollars entre les mains des autorités judiciaires. Le Cheyenne ne les signa pas tout de suite :
– j’aimerais qu’on nous apporte du café. On le boirait tous ensemble, et après je donnerais l’argent.
Le notaire dit qu’il était logique qu’un homme voulût jouir le plus longtemps possible de la sensation de posséder douze mille dollars ; il ajouta que quatre cafés n’entameraient pratiquement pas la fortune provisoire de John l’Enfer.
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John L’Enfer – Didier Decoin