Le pentateuque ou les cinq livres d’Isaac – Angel Wagenstein

Il y a quelques années j’avais été enthousiasmée par la lecture d’Abraham le poivrot, roman bulgare sur l’enfance et les souvenirs.
J’ai été tentée de lire cette réédition d’un autre roman de l’auteur (paru initialement en 2001) :
Isaac est né au début du XXeme siècle en Autriche-Hongrie. Au mois de mai 1918, il est enrôlé dans l’armée. Heureusement, le temps de faire ses classes, la guerre est finie pour l’Autriche-Hongrie. Celle-ci, dans les camps des vaincus, voit son territoire éclaté en plusieurs pays. Le village d’Isaac se retrouve en Pologne. Vient alors pour Isaac une vingtaine d’années relativement « calmes » malgré l’anti-sémitisme croissant. Il se marie avec Sarah et ils ont trois enfants.

Ce roman est plein d’humour malgré le sujet grave traité : la tourmente de la Shoah emporte tout sur son passage.

L’auteur réussit à prendre tour à tour un ton léger (avec des blagues juives absurdes mais qui m’ont fait sourire) puis grave : dans 5 parties, Isaac nous raconte comment d’autrichien il deviendra Polonais, Soviétique, Allemand sans changer de village.
Ce livre est également féroce contre la bêtise humaine.
Stefan Zweig, cité à la fin du roman me paraît tout à fait une comparaison appropriée. Que faire quand tout s’effondre ? Et bien pas comme Stefan Zweig, continuer ….

Un roman très sensible, parfois loufoque à force de tant d’absurdités, et qui réussit malgré le sujet à faire rire…

un extrait

Il faut signaler que les talmudistes du sanhédrin de Babylone furent jadis sollicités afin d’élucider une certaine énigme : pourquoi Jéhovah attendit-Il le sixième jour pour créer l’homme et la femme ? La réponse des Sages fut on ne peut plus claire : Adam et Eve étaient juifs et fussent-ils apparus le premier jour qu’ils eussent rendu fou le Créateur à force d’avis et de recommandations.

Challenge Bac chez Enna (catégorie Objet)

Les services compétents – Iegor Gran

LC avec Edualc 😉

Iegor Gran a neuf mois quand le KGB arrête son père. Le crime de celui ci ? Avoir fait passer ses écrits à l’ouest.

Nous sommes en 1965. Le premier chapitre raconte la perquisition qui a lieu chez ses parents. Sa mère m’a paru très forte et pas du tout intimidée par les 6 policiers qui vont fouiller son appartement pendant des heures (sans rien trouver d’ailleurs, les preuves du crime sont bien cachées derrière la bibliothèque…)

Après ce premier chapitre prenant, l’auteur pratique un retour en arrière, 1959. Il suit pas à pas les enquêteurs : l’enquêteur principal Ivanov ne semble pas très intelligent mais il est persévérant et a beaucoup de moyens (ou de mouchards). Il s’agit là d’un récit où on sait déjà que Siniavski (ou Abram Tertz, le pseudo qu’il s’est choisi – nom d’un brigand populaire d’origine juive) va être arrêté… Tout l’intérêt réside dans l’observation des faits de l’époque : Staline est mort depuis 6 ans et il y a comme un léger (très léger) assouplissement de la répression des opposants au régime. Avec un ton parfois grave mais aussi parfois très moqueur (de nombreuses phrases avec les termes « les services compétents » m’ont fait sourire), ce roman est instructif sans être pesant. Le KGB est parfais tourné en ridicule mais il finira dans ce jeu du chat et de la souris par attraper l’écrivain. Je ne connaissais pas du tout celui-ci ( il viendra s’établir en France avec femme et enfant, l’auteur Iegor Gran, en France en 1971). En tout cas son fils m’a convaincu et donné envie de le relire.


Un extrait (P 154-155 )

On va lire un texte, c’est paru dans la revue Reporter, un texte qui nous vient d’URSS, dit la dame. Vous allez voir, c’est spécial.

Alors une voix d’homme, posée et distante, comme à la radio soviétique officielle, annonce :« Ici Moscou. Nous transmettons l’oukase du Comité central de l’Union des Républiques socialistes soviétiques. En raison de la croissance du niveau de vie, allant au-devant des demandes des travailleurs, il est décrété que le mercredi 10 août 1960 sera la journée des meurtres autorisés. »

Un bout de sultanka s’échappe de la bouche grande ouverte de Monocle. Ça par exemple! La journée des meurtres autorisés – Monocle en a déjà entendu parler, oh que oui ! La journée des meurtres autorisés, c’est son idée, à Monocle ! Il l’avait eue il y a quelques temps déjà… Il se rappelle : à une soirée, on faisait les cons et on jouait à inventer des journées commémoratives improbables. Dans le calendrier soviétique, il y avait bien une journée du garde-frontière (le 28 mai), une journée de l’inventeur et du rationalisateur (le dernier samedi de juin), et une flopée d’autres, plus ou moins incongrues. Alors Monocle a crié : « Et pourquoi pas la journée des meurtres autorisés ? »

« En cette journée, tous les citoyens de l’union soviétique âgés de 16 ans et plus obtiennent le droit de tuer n’importe quel autre citoyen, à l’exclusion des personnes mentionnées au point un des annexes au présent oukase »…«  Annexes. Point premier. Il est interdit de tuer : a) les enfants de moins de 16 ans, b ) les militaires en uniforme et les agents de la milice, c ) les travailleurs des transports dans le cadre de leurs fonctions. Point deux. Un meurtre commis avant ou après la plage temporelle indiquée, tout comme un meurtre commis dans le but de voler ou résultant d’un acte de violence contre une femme, sera considéré comme un crime pénal et sera poursuivi en fonction des lois existantes… »

La suite est à l’avenant. C’est loufoque, noir et profondément dérangeant, d’autant que la langue employée dérive du patois officiel, parsemé d’expressions figées.

La dame en blanc – Wilkie Collins

Un roman volumineux (850 pages) qui traite d’une machination (comment donner envie de lire ce livre sans en dire trop ? )

L’action se passe au XIXeme siècle, en Angleterre. Laura, une jeune femme de bonne famille, s’est engagée à épouser Sir Glyde (elle a promis ceci à son père sur son lit de mort…)
L’auteur va alterner les différents points de vue, avec d’abord celui de Mr Hartwright, le professeur de dessin de Laura (secrètement amoureux de son élève), puis la soeur de Laura, prénommée Marian, l’avocat de la famille, la gouvernante de la maison ….
Le point de vue des « méchants » n’est évoquée que par les dires des « gentils » ou par des personnages qui ne sont pas au courant de la machination.
Les rebondissements sont nombreux : on tremble pour les personnages, on croit à leur mort (et puis rebondissements, contrepieds et surprises s’enchaînent)

Il ne fait pas bon d’être une femme (même riche) au XIXème : aucun choix possible en dehors du mariage et quand le marié s’avère n’être intéressé que par l’argent et l’héritage, la désillusion peut même s’avérer mortelle….il s’agira alors de se montrer plus retors que les escrocs qui peuvent à tout moment vous envoyer à l’asile pour « folie »

Un très bon moment de lecture

Un extrait

Pendant que ces idées me traversaient l’esprit, je vis la femme au manteau se rapprocher de la tombe et la contempler, debout, pendant quelque temps. Ensuite elle jeta un regard autour d’elle, et, tirant de dessous son manteau un linge blanc, serviette ou mouchoir, elle s’achemina obliquement vers le ruisseau. Il pénétrait dans le cimetière par une petite baie en arceaux, pratiquée au bas du mur, et en sortait après un cours sinueux de quelques douzaines de mètres, par une issue toute pareille. Elle trempa le linge dans l’eau, et revint du côté de la tombe. Je la vis baiser la croix blanche, puis s’agenouiller devant l’inscription et passer, à plusieurs remises, l’étoffe humide sur le marbre souillé.

Challenge Bac chez Enna (catégorie Couleur)

La fabrique des salauds – Chris Kraus

1er chapitre : Un homme, Koja, la soixante est dans un hôpital : il sait qu’il n’en ressortira pas : il a une balle dans la tête, inopérable et qui peut le tuer à tout moment.
Son voisin de chambre est également très malade, un hippie d’une trentaine d’années.
Le vieil homme commence à raconter sa vie depuis sa naissance en 1909 en Lettonie.
Il est d’origine allemande, sa mère est d’une famille noble, son père est peintre de renom. Il a un frère plus âgé que lui de 4 ans. Lorsqu’il a dix ans, ses parents adoptent une petite orpheline, Ev.
Dans ce pavé de 1100 pages, qui nous fait traverser le XXème siècle, je ne me suis pas ennuyée une seconde. Koja est passionnant dans le fait de raconter l’histoire de sa famille. Il se met en scène, lui, son frère et sa sœur adoptive (dont les deux frères sont totalement amoureux)
Lors de la montée du nazisme, les frères font des choix qui vont changer leur vie : Hubert l’aîné devient SS, suivi par Koja. Ev, elle devient médecin.
Ce livre, époustouflant et très documenté, nous raconte l’époque de 1910 à 1970.
Koja a une vie très remplie où il sera espion (agent double ? Triple ?).
Les personnages et faits réels sont nombreux : notamment la fuite , (ou l’enlèvement de Otto John, qui a fait partie du groupe qui a essayé de tuer Hitler), à l’est, est un épisode passionnant.

Un pavé impressionnant et que j’ai eu du mal à poser le soir d’autant que je suis allée fréquemment me documenter sur les différents faits relatés en particulier celui sur l’amnistie des criminels de guerre, en 1968)

Un extrait

Je sortis docilement mon carnet de croquis de la poche de mon uniforme, pris un crayon et commençai par les yeux. Il faut toujours commencer par là : beaucoup de gens qui ne savent pas dessiner croient à tort qu’on peut commencer par les traits du visage ou par le nez, alors que c’est le début de la fin. Je dessinai des yeux de hyène, car Himmler avait un rire de hyène, un rire perçant qui s’arrêtait net. Il avait de minuscules dents, mais ces dernières allaient devoir attendre. Sous les yeux, je plaçai un groin, un beau groin de cochon, et sous le groin, une moustache, et sous la moustache, une gueule ouverte et toute tordue, comme un museau de vache, dont je fis sortir un peu de foin. Pas de menton pour Himmler, car il n’en avait pas, les oreilles devinrent celles d’un ouistiti, et pour finir, au moment de choisir la silhouette, après avoir hésité entre la carpe et l’hippopotame, je me décidai pour le bon vieux porc domestique, avec ses grosses bajoues. 

Challenge les feuilles allemandes chez Eva et Patrice et chez Livr’escapade

Chez Antigone