Une ardente patience – Antonio Skarmeta

154 pages de concentré de poésie, d’humour, et aussi de dialogues entre Pablo Neruda, son facteur Mario, Beatriz l’amour du facteur et Rosa, la maman de l’amour du facteur….et quelques larmes aussi…

Pablo Neruda vit à l’Île noire au bout du monde, où il attend sans l’attendre, mais en l’espérant quand même un peu son prix Nobel. Il a 66 ans .
Mario Jimenez est « son » facteur : il n’a que lui sur son circuit de distribution de courrier mais quel volume : une sacoche pleine tous les jours, et du monde entier… il faut dire que Neruda est célèbre …
Mario a dix sept ans, il a accepté de devenir facteur pour plusieurs raisons : son père est pêcheur et le métier est très rude ; poète c’est un métier plus sûr pour séduire les filles…
En potassant bien son Pablo Neruda, il arrive à attirer l’attention de la Belle Beatriz (mais attention belle maman guette). Voici pour le début …

Ce livre suit en toile de fond l’enthousiasme suscité par l’élection d’Allende en 1970 et son assassinat en 1973 (assassinat est ce que dit l’auteur, la version « officielle » trouvée ça et là parle de « suicide »)

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Ce livre est paru en 1985.

Un film avec Philippe Noiret et Massimo Troisi a été adapté en 1994 : dans le roman, l’action se situe dans les années 1970 sur la côte chilienne. Le film transpose l’action en 1953 en Italie : peut être Edualc l’aura-t-il vu…

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2 Extraits :

La mère s’était juré, après la mort de son mari légitime, père de Béatriz, de ne plus jamais pleurer de sa vie – ou du moins d’attendre qu’il y ait dans la famille un autre défunt aussi cher. À cet instant, pourtant une larme livra bataille pour se sourdre de sa paupière.
– C’est ça, ma petite fille : l’anneau. Fais bien gentiment ta petite valise. C’est tout ce que je te demande.
La jeune fille mordit la couverture pour montrer que ses dents n’étaient pas seulement capables de séduire mais aussi de déchirer l’étoffe et la chair, puis elle vociféra :
– C’est ridicule ! Parce qu’un homme m’a dit que mon sourire voltige sur mon visage comme un papillon, il faut que je parte à Santiago !
– Ne fait pas la dinde ! éclata à son tour la mère. Aujourd’hui, ton sourire est un papillon, mais demain tes tétons seront deux colombes qui veulent qu’on les fasse roucouler, tes mamelons deux framboises fondantes, ton cul le gréement d’un vaisseau et la chose qui fume en ce moment entre tes jambes le sombre brasier de jais où se forge le métal en érection de la race ! Bonsoir !

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Dans la nuit du 4 septembre, une nouvelle fit le tour du monde comme un raz-de-marée : Salvador Allende avait remporté les élections et, pour la première fois au Chili, un marxiste était élu démocratiquement président de la République.
En quelques minutes, l’auberge de Madame Rosa fut envahie par des pêcheurs, des touristes printaniers, des collégiens qui avait reçu la permission de minuit et par le poète Pablo Neruda qui avait abandonné son refuge avec une stratégie d’homme d’État accompli pour éviter les appels téléphoniques des agences internationales qui voulaient l’interviewer. La perspective de jours meilleurs rendaient les clients prodigues de leur argent et Rosa n’eut d’autre ressource que de libérer Béatrice de sa captivité pour qu’elle vienne l’aider dans cette fête.
Mario se maintint à imprudente distance . Quand le postier descendit de son approximative Ford 40 pour se mêler aux réjouissances, le facteur lui sauta dessus pour lui confier une mission que l’euphorie politique de son chef accueillit avec bienveillance. Il s’agissait de jouer les entremetteurs et d’attendre une circonstance favorable pour susurrer à Beatriz qu’il l’attendait dans un hangar voisin où l’on rangeait les appareils de pêche.  (p 84)

Que lire un 23 septembre ?

L’ambulance emporta Pablo Neruda vers Santiago. Sur la route il fallut éviter les barrages de la police et les contrôles militaires.
Il mourut le 23 septembre 1973 à la clinique Santa Maria.
Tandis qu’ il agonisait, sa maison de la capitale, sur une pente de la colline San Cristobal, fut mise à sac, les vitres furent brisées et l’eau des robinets ouverts provoqua une inondation.
On le veilla au milieu des décombres.
La nuit de printemps était froide et ceux qui entouraient le cercueil burent des tasses de thé jusqu’au lever du jour. Vers les trois heures du matin, une jeune fille en noir, qui avait déjoué le couvre- feu en passant par la colline, vint se joindre à la veillée.
Le jour suivant, il fit un soleil discret.
De San Cristobal au cimetière, le cortège grossit. En passant à la hauteur des fleuristes de Mapocho, on cria, avec le nom du poète mort, celui d’Allende. L’armée, baïonnettes pointées, entoura le cortège.
Aux abords de la tombe, les assistants chantèrent l’Internationale.

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Une ardente patiente – Antonio Skarmeta

Que lire un 18 septembre ?

C’est le 18 septembre 1973, jour anniversaire de l’indépendance du Chili, que la Quinta Rueda devait publier une édition spéciale où figurerait, dans les pages centrales et en gros caractères, le poème primé. Une semaine avant cette date brûlante, Mario Jimenez rêva que le « Portrait au crayon de Pablo Neftali Jimenez González » remportait la couronne et que Pablo Neruda en personne lui remettait la fleur naturelle et le chèque. Ce Nirvana fut troublé par des coups furieux frappés à la fenêtre. Il alla à tâtons jusqu’à celle-ci en proférant des malédictions, l’ouvrit et découvrit le postier, enveloppé dans un poncho, qui lui tendit d’un geste brusque sa petite radio d’où sortait une marche militaire allemande connue, Alte Kameraden. Ses yeux tombaient comme deux brebis tristes perdues dans la grisaille de la neige. Sans dire un mot, le visage impassible, il fit tourner la molette de l’appareil : sur toutes les chaînes retentissait la même musique martiale, timbales, trompettes, trombones et cors passés à la moulinette du petit haut-parleur.

 

Une ardente patiente – Antonio Skarmeta

Pablo Neruda – La centaine d’amour – 29

jeudi-poesie

Allez chez Asphodèle lire les trouvailles des autres participants 😉

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Tu arrives du Sud avec ses maisons pauvres,

dures régions du froid, du tremblement de terre

qui, même quand leurs dieux roulèrent dans la mort,

ont donné la leçon de la vie dans la glaise.

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Tu es un poulain de glaise noire, un baiser

de boue sombre, amour, coquelicot de glaise,

ramier du crépuscule éployé sur les routes,

tirelire à chagrin de notre pauvre enfance.

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Fille, tu as conservé ton coeur de pauvresse

et tes pieds de pauvresse habitués aux cailloux,

ta bouche qui n’eut pas toujours du pain ou délice.

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Tu es du pauvre Sud, d’où est venue mon âme :

dans ton ciel ta mère lave toujours du linge

avec la mienne. Amie ainsi je t’ai choisie.

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Pablo Neruda – La centaine d’amour – 29