Petites infamies – Carmen Posadas

Voilà un roman qui m’a enchantée. La plongée dans l’ambiance est immédiate puisque l’on assiste à l’enfermement de Nestor Chaffino, cuisinier-traiteur, dans une chambre froide, on ressent fortement toutes ses émotions et sentiments de claustrophobie, de peur, d’angoisse d’être enfermé dans une chambre froide au moins 30 degrés.
De plus, la scène racontée par le protagoniste principal a un ton très « culinaire » et m’a mis l’eau à la bouche (Vous prendrez bien un boudin au brocoli de bon matin ou des truffes en chocolat ? ).
Après ce premier chapitre qui nous met dans le bain(marie), l’auteur procède à plusieurs flash-back et présente tous les personnages que l’on a vu dans le premier épisode : d’abord le cuisinier mais aussi son adjoint, Carlos ; Karel le serveur tchèque, culturiste à ses heures qui m’a bien fait rire, puis Chloe, serveuse également, la seule fille de l’entreprise de Nestor. Chloe est un personnage qui m’a beaucoup plu et dans lequel je me suis reconnue (normal, c’était la seule fille me direz vous, mais pas que : ce personnage a une sensibilité que j’ai trouvé très réussie : peut être l’auteure y a t-elle mis plus d’elle-même que pour les autres personnages ?).

Les quatre  personnes travaillent donc ensemble pour le couple Teldi à qui appartient la maison sur la Costa del Sol. Une grande réception avec une trentaine d’invités…
Le cuisinier est à la fois sympathique (quand il écrit à son ami Antonio resté en Argentine, quand il conseille Carlos sur ses problèmes « existentiels ») et très antipathique (dans ce que les protagonistes racontent de lui). Très ambigü, il a vécu en Espagne là où se trouve l’action principale mais aussi en Argentine pendant la dictature (comme les Teldi).
On se retrouve donc dans une maison où le cuisinier, détesté de quand même pas mal de monde, meurt. Accident ? meurtre ? ça va être tout  le propos de ce livre de remonter le temps pour voir quels sont les mobiles de chacun et qui a éventuellement tué le cuisinier.

L’auteure joue avec les codes : un peu de suspense saupoudré ici, un peu d’ésotérisme par là, une pincée de coïncidences pour le moins étranges,  elle laisse le lecteur croire qu’il a deviné ce qui s’est passé… donne plein de fausses pistes…bref, elle s’amuse et nous aussi …

La fin m’a beaucoup plu, je ne m’y attendais pas du tout et pourtant en reprenant mes notes notamment page 39 tout était déjà écrit ! bravo l’auteure !

Un extrait (p 57):

Il est incontestable que les fourneaux sont de bons alliés pour les confidences. Que devant un chaudron de sirop bouillant dans lequel flottent par exemple, des fleurs d’oranger ou peut-être aussi, des morceaux de potiron et autres délices, on finit par révéler à un ami ou à un maître ses secrets les plus intimes, comme le ferait un jeune barde en présence d’un druide.

Certes, Carlos Garcia – mauvais étudiant en première année de droit et, pour le moment, serveur payé à l’heure –n’était pas un jeune barbe, pas plus que la maison « Le Mûrier & le Gui » n’était la verte terre des celtes mais une petite entreprise distinguée de traiteur, propriété de Nestor Chaffino. « Repas privés ou d’affaires à domicile » affirmait sa carte publicitaire. « Organisation de réceptions, cocktails, et autres manifestations mondaines. Venez nous voir et comparer. » En revanche, c’est vrai, Nestor pouvait avoir parfois quelque chose d’un druide : pas précisément pour son aspect physique, car un cuisinier italo-argentin à la moustache blonde et effilée n’a guère de points  communs avec Panoramix ; mais il avait une manière quasi thaumaturgique de tourner la cuillère dans les chaudrons qui invitait aux confidences.

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Deuxième auteur de langue espagnole que je lis ce mois-ci (normal c’est le mois espagnol chez Sharon)

Deux auteurs qui m’ont enchantée et qui on est toutes les deux eu le prix Planeta :  Carmen Posadas et Lucia Etxebarria avec « un miracle en équilibre ».

La plage des noyés – Domingo Villar

Léo Caldas est un inspecteur espagnol (Galicie – Vigo). Avec son adjoint Rafael, il enquête sur la noyade d’un marin. Celui ci avait les mains attachées dans le dos. Et il avait reçu récemment des menaces de mort …
Comme souvent la toile de fonds  m’a plus intéressée que l’enquête en elle même et surtout la description de cette région (qui 120 jours par an vit sous la pluie, je n’aurais pas cru moi qui partait virtuellement en Espagne pour me réchauffer :-))
Même si je n’avais pas du tout trouvé le coupable, l’enquête reste très classique.
Les relations entre Léo, son père et son oncle sont bien construites et la différence entre Léo le galicien Taiseux et Rafael l’aragonais sanguin fonctionnent bien.

Un roman intéressant mais un peu lent
Il s’agit de la deuxième enquête parue de Léo Caldas …il m’a cependant manqué un petit quelque chose (un peu d’humour peut être ?) pour retenter l’expérience… vu ma PAL qui grossit chaque semaine…

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Un extrait :

– Dans quelle direction?
– Dans quelle direction quoi?
– Vers où vous êtes-vous sauvé?
– Vers le port, pardi.
– Et vous ne l’avez plus revu?
– Le Xurelo? demanda le marin en se vissant l’index dans la tempe. Vous croyez qu’avec la peur que j’avais j’allais me retourner?
– Je ne sais pas. Dites-le-moi vous-même.
– Je suis en train de vous le dire.
– Vous vous êtes retourné, oui ou non?
– Je viens pas de vous dire que non?

 

Participation au mois Espagnol et Littérature hispanophone chez Sharon.

Un miracle en équilibre – Lucia Etxebarria

J’avais envie d’une lecture un peu légère et la couverture me semblait bien adaptée :  un bébé adorable dans sa petite bouée rose, la bouche grande ouverte, les yeux cachés derrière ses lunettes de soleil. Le contenu est beaucoup plus subtil et beaucoup plus intéressant que ne laisse présager cette photo. D’ailleurs, en lisant la quatrième de couverture à la toute fin de ma lecture, j’ai vu que ce roman avait eu le « prestigieux prix Planeta équivalent espagnol du prix Goncourt » , prix amplement mérité à mon avis tant les réflexions d’Eva m’ont intéressée :  sur le plan des relations mère-enfant mais aussi entre parents-enfants, frères et sœurs…

Voici l’histoire en quelques mots  : Eva, la trentaine,  vient d’avoir un bébé ; Amanda a 11 jours. Au début du livre, Eva profite de quelques jours de repos pour commencer une longue lettre, qu’elle souhaite  remettre à Amanda quand celle-ci sera grande. Eva, dans cette lettre, s’adresse donc à sa fille mais elle s’adresse aussi à la petite fille qu’elle-même a été :  elle va lui raconter – pas forcément dans l’ordre – une multitudes de faits, de réflexions, d’interprétations  : sa jeunesse, son début dans la vie active, son addiction à l’alcool, sa dépendance vis à vis de ce que l’on appelle maintenant un « pervers narcissique », ses relations complexes avec un corps qu’elle n’aime pas…

En parallèle la petite fille grandit (4 mois à la fin du livre) et on suit son évolution au jour le jour.

Eva rend visite à sa mère qui est à l’hôpital, elle a eu une attaque et est dans le coma.
Le ton est à la fois sérieux, triste puis très drôle, très caustique envers elle-même, envers sa famille et aussi très attachant vis-à-vis de cette petite fille.

De plus, la construction est très habile car Eva entreprend de raconter à Amanda comment elle a rencontré son père : le père est à la fois très présent (il s’occupe bien de la petite fille et de la maman) mais comme en retrait , on ne connaîtra son prénom que dans les 50 dernières pages: il y a un certain suspense dans le fait de découvrir au fil du récit le portrait de cet homme très attachant.

Je me suis énormément reconnue à travers les mots de Lucia-Eva :  je lis ce livre à l’heure où ma grande fille de 17 ans (et demi)  va bientôt partir de la maison pour ses études supérieures et c’est comme un kaléidoscope de sensations que j’ai pu revivre.

En bref, un excellent moment.

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J’ai pleuré alors que jamais je n’avais pleuré à l’hôpital, pas plus que je n’avais pleuré en apprenant la mort de José Merlo, car ce jour là, au lieu de verser une larme j’étais allée de bar en bar et m’étais soûlée sans désemparer pendant trois jours. J’ai pleuré l’amour que j’avais eu pour elle et qui s’était si souvent changé en haine devant l’impossibilité de la voir heureuse, satisfaite, en bonne santé, de la voir autrement que comme un appendice de mon père, comme quelqu’un à qui je ne voulais surtout pas ressembler et que je finissais par imiter à ma façon en recherchant stupidement des hommes qui toujours me criaient dessus pour me dominer, des répliques de mon père que j’étais incapable de reconnaître mais que personne n’avait choisies à ma place.
Ce sont les mères qui donnent la vie et la symbolisent aux yeux de leurs enfants, et ceux qui, comme moi, ne sont pas entendus avec leur mère interprètent la vie comme un cadeau empoisonné, et ont du mal à avancer parce qu’ils ont en eux un féroce et permanent instinct de mort. C’est cette pulsion de mort que j’appelle mon Autre Moi. Et cette Autre Moi issu de mon amour pour ma mère était là, impuissant devant le sac vert, contemplant la raison d’exister qui l’ animait et qui était désormais réduite à cela, à une enveloppe.

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Participation au mois Espagnol et Littérature hispanophone chez Sharon.

La dame N° 13 – José Carlos Somoza

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Ce roman commence comme un thriller. Un jeune homme, en deuil de sa fiancée, fait des cauchemars atroces. Il consulte un médecin pour lutter contre ceux- ci. Plus tard, il apprend que ses cauchemars relatent un fait réel : la torture et l’assassinat d’une jeune femme. Il se rend sur les lieux du crime où il rencontre une jeune femme, qui elle aussi, a rêvé de ce crime sordide. Et c’est là que tout bascule…. dans l’irréel… Somoza ne livre pas un thriller classique mais un triller fantastique, où l’arme du crime est la magie…la magie de la poésie ….
Les deux héros vont alors enquêter et se rapprocher de plus en plus de la dirigeante de cette secte des 13 dames….frissons garantis

Le suspens est bien mené, des personnages principaux et secondaires parfois ambigüs…………. J’ai aimé aussi les réflexions sur la mémoire, la maternité, l’immortalité ….et la volonté du pouvoir….
Passionnant et parfois effrayant…J’ai été très surprise de la découverte de l’identité de la dame N°13.

En conclusion : un roman qui me marquera longtemps….et qui m’a envie de poursuivre avec l’auteur (espagnol d’origine cubaine, auteur de romans … et aussi psychiatre)

un extrait
Elle tourna soigneusement les pages, penchée en avant, la lumière de la lampe plongeant sur le texte. Elle ne s’arrêtait pas à la beauté des mots, la netteté des strophes, l’importance des poèmes ou de leur possible signification. Ce n’était pas ce qu’elle tentait de capter. Elle voulait qu’un vers la BLESSÂT. Elle voulait découvrir dans un mot des reflets de couteau, le fil de la lame de rasoir, la dureté du diamant. Elle voulait trouver un poignard de syllabes pour le plonger dans la poitrine de Saga. Elle était à la recherche d’une balle en argent, d’une ligne qu’elle pourrait charger dans la chambre de sa bouche afin de la tirer sur Saga entre les deux yeux.

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Mois espagnol chez Sharon