Le coeur de l’Angleterre – Jonathan Coe

LC avec Edualc

Après Bienvenue au club (années 80) et Le cercle fermé (années 90), Jonathan Coe nous emmène dans l’Angleterre des années 2010.

J’ai lu les deux précédents même si je ne me rappelais pas de détails cela ne gêne pas la compréhension de ce roman : J’aime beaucoup le ton de cet auteur qui réussit souvent à me faire sourire.

Ici les personnages sont nombreux, il y a Lois et son frère Benjamin, la cinquantaine, elle est bibliothécaire à Londres et lui écrivain (à la campagne). Leur ami Doug est journaliste politique (tendance travailliste). Il va s’intéresser de près aux années qui vont précéder le Brexit. Par ailleurs, le père de Benjamin et Lois incarne l’Angleterre laborieuse, il a 80 ans et a travaillé dans l’industrie automobile jusqu’à sa retraite. La jeune génération active est incarnée par Sophie, 25 ans au début du livre et Ian son futur mari, enfin les adolescents sont représentés par Connie 15 ans, la fille de Doug.

Quatre générations donc pour comprendre comment l’Angleterre, dans une crise identitaire, va basculer de l’Europe au Brexit…Alors Leave or Remain ?

Augmentation du chômage, désindustrialisation, montée du racisme, immigration, tout est bien rendu chronologiquement, en particulier le « dépassement » des « élites »  et leur incapacité à se faire comprendre de la « base ».

Au delà de l’analyse sociale, j’ai beaucoup aimé les personnages : je fais partie de la génération de Lois, Benjamin et Doug, mes enfants sont entre Connie et Sophie.

Le « coeur de l’Angleterre » sera symbolisé par la relation compliquée entre Sophie (Remain) et Ian (Leave) : je trouve la couverture éloquente à ce sujet , tiraillement et hésitation…jusqu’à ce que la corde lâche … Les jeunes générations arriveront elles à prendre un nouveau départ ?

Mon passage préféré :

Ils se retrouvaient comme à leur habitude dans le café proche du métro Temple. Quelques semaines plus tôt, David Cameron s’était rendu à Bruxelles pour négocier un nouvel accord avec l’Union européenne dans l’espoir d’obtenir des concessions qui donneraient à l’Angleterre un statut exceptionnel, c’est-à-dire plus exceptionnel encore que celui qui était déjà le sien – ce qui aurait l’avantage annexe de pacifier les hordes de plus en plus audibles des eurosceptiques. Aussitôt après, ils avaient annoncé la date du référendum promis, ce serait le 23 juin et donc – hasard du calendrier – le deuxième jour du festival de Glastonbury.
« Ça veut dire qu’il va y avoir quelques cent mille jeunes qui ne se dérangeront pas pour voter, non ? dit Doug.
– On pourra voter par correspondance, les jeunes comme les vieux. Dave a tout prévu.
– Y compris de perdre, et que nous devions quitter l’UE ?
– Je vous parle de toute éventualité plausible.
– Qu’est-ce qui se passe s’il perd ? Il démissionne ?
– Dave ? Jamais ! Il n’est pas du genre à jeter l’éponge.
– Et si les résultats sont trop serrés ?
– Pourquoi est-ce que les journalistes aiment tant les questions hypothétiques ? Et qu’est-ce qui se passe si vous perdez ? Et qu’est-ce qui se passe si on quitte l’UE ? Qu’est-ce qui se passe si Donald Trump est élu président ? Vous vivez dans un monde imaginaire, vous autres. Pourquoi ne pas me poser plutôt des questions pratiques, comme : « Quels seront les trois points forts de la stratégie de campagne de Dave ? »
– Soit. Quels seront les trois points forts de la stratégie de campagne de Dave ?
– Je ne suis pas libre de vous faire des révélations sur ce point. »
Frustré, Doug tenta un autre angle d’attaque.
« Maintenant, supposons que le peuple vote pour le Brexit et que nous…
– Excusez-moi, je vous interromps, supposons que le peuple vote pour quoi ?
– Le Brexit.. »
Nigel le regarda, ébahi. « Mais d’où sortez-vous ce mot ?
– Ce n’est pas ce que les gens disent ?
– Je croyais que ça s’appelait le Brixit.
– Quoi ? Le Brixit?
– C’est ce que nous disons.
– Qui, nous ?
Dave et toute l’équipe.
– Tout le monde à part vous dit Brexit. Où êtes-vous allé chercher Brixit ?
– Je ne sais pas. Je croyais que c’était le terme. Il griffonna de nouveau dans son calepin. Brexit, vous êtes sûr ?
– Absolument. C’est un mot valise. British exit
– British exit, mais dans ce cas là, ça donne Brixit.
– Les Grecs disent bien Grexit.
– Les Grecs ? Mais ils n’ont pas quitté l’Union.
– Non, mais ils l’ont envisagé.
– Quoi qu’il en soit, nous sommes pas grecs. Il nous faut un terme à nous.
– Nous l’avons, c’est Brexit.
– Et nous qui avons toujours dit Brixit… Nigel secouait la tête en prenant d’autres notes détaillées. « Ça va faire l’effet d’une bombe à la prochaine réunion du cabinet. J’espère qu’il ne me reviendra pas de l’annoncer.
– Bah, dans la mesure où vous êtes convaincu que ça n’arrivera pas, vous n’avez pas vraiment besoin d’un mot pour le dire…

Dona Flor et ses deux maris

Le début de ce roman est enthousiasmant.
Vadinho est un fieffé coquin, joueur, menteur, souvent ivre et mari infidèle.
Il est marié à Dona Flor, une jeune femme courageuse, travailleuse et très amoureuse du dénommé Vadinho (qui au passage en plus de lui être infidèle lui vole son salaire et n’hésite pas à la battre si elle refuse)
Dès le premier chapitre Vadinho meurt (crise cardiaque en pleine danse de carnaval à Bahia). C’est l’occasion pour l’auteur de faire un retour en arrière d’environ 7 ans, au début de la rencontre entre Flor et Vadinho. La vie de ce petit quartier est passionnante : tout en couleurs, salsa et épices (Dona Flor donne de cours de cuisine). Le chagrin de Dona Flor est très bien analysé. Sa mère est un modèle de mère abusive.
La deuxième partie m’a moins convaincue, Dona Flor rencontre un pharmacien et se remarie : celui ci est l’exact opposé de Vandinho, il est sérieux (trop?), presque austère par rapport au fantasque Vandinho.
Mon avis est un peu mitigé et vient surtout du fait que la quatrième de couverture raconte TOUT. Je m’attendais donc à plus de « réalisme magique » qui n’arrive que dans le dernier quart du livre.

Un extrait

Les mercredis et samedis, invariablement à la même heure, dona Flor distinguait les mouvements discrets et répétés de son mari dans les profondeurs du lit. A demi dressé pour l’étreindre, le drap lui couvrant les bras ouverts et les épaules, le docteur lui semblait un parapluie blanc et immense défendant sa pudeur féminine, la protégeant même en ce suprême instant d’abandon. Un parapluie, vision sans drôlerie, image inhibitive, quel dommage !

Lu dans le cadre du mois latino chez Ingannmic et Goran 🙂