Balzac et la petite tailleuse chinoise – Dai Sijie

Le narrateur de ce court roman est un jeune homme de 17 ans.
Chine 1972 . Les jeunes gens, qui sont allés au collège, sont considérés comme des intellectuels et sont envoyés pendant trois ans en « rééducation à la campagne (où la rééducation consiste à trimer dans des rizières du matin au soir)
Pour le narrateur et son ami Luo, la situation est encore pire : les parents des deux amis sont médecins et catégorisés par l’administration de Mao comme de dangereux « ennemis du peuple ». Pour les deux jeunes gens l’espoir de revenir dans leurs familles est quasi nulle.
Malgré un travail épuisant dans la mine de ces montagnes arides, les deux amis ne baissent pas les bras. Luo tombe amoureux de la petit tailleuse chinoise du titre ; c’est une jeune montagnarde qui sait à peine lire. Il entreprend de lui faire découvrir la littérature. (Dont Balzac) : je ne dirais pas comment les garçons se procurent un livre de Balzac dans ce coin isolé mais cet épisode vaut à lui seul le détour.
Dans ce roman qui m’a paru fortement autobiographique, j’ai beaucoup aimé le ton de l’auteur : sans misérabilisme, sans revendication mais avec beaucoup d’humour.
La fin est délicieusement ironique (et juste parfaite).

Un extrait

Souvent, après minuit, on éteignait la lampe à pétrole dans notre maison sur pilotis, et on s’allongeait chacun sur son lit pour fumer dans le noir. Des titres de livres fusaient de nos bouches, il y avait dans ces noms des mondes inconnus, quelque chose de mystérieux et d’exquis dans la résonance des mots, dans l’ordre des caractères, à la manière de l’encens tibétain, dont il suffisait de prononcer le nom,  » Zang Xiang », pour sentir le parfum doux et raffiné (…)
– Et maintenant, où ils sont , ces livres ?
-Partis en fumée. Ils ont été confisqués par les Gardes rouges, qui les ont brûlés en public, sans aucune pitié, juste en bas de son immeuble

Challenge Petit bac  chez Enna – catégorie « personne célèbre »

L’ombre de la baleine – Camilla Grebe

J’ai lu ce roman policier en audio livre. Trois narrateurs se succèdent. tout d’abord Manfred. C’est un policier, Récemment remarié, Il vit avec Asfaneh et leur fille d’environ trois ans. Après quelques secondes d’inattention, il assiste à la chute de sa fille du troisième étage.
Le deuxième narrateur est Samuel, 18 ans, qui se croit adulte. En échec scolaire, il vit seul avec sa mère, célibataire. Petit délinquant avec Liam, il vole dans les magasins, fume de l’herbe et boit. De fil en aiguille, les deux garçons se retrouvent à livrer de la drogue. En découvrant cela, Pernilla, la mère de Samuel, le met dehors.

Pernilla est la troisième narratrice : tout d’abord elle m’a énormément crispée : elle fait partie d’une congrégation religieuse , elle a 36 ans, a eu Samuel quand elle était tout juste majeure et n’a jamais quitté le foyer familial composé exclusivement d’elle, de son père et de Samuel. Ce personnage m’a énervé car elle ne raisonne jamais par elle-même mais exclusivement soit par rapport à la religion soit par rapport à son père.
Hormis ce bémol du tout début du roman, l’histoire après un démarrage un peu lent se met en place et devient réellement intéressante : Samuel commet beaucoup d’erreurs, Pernilla évolue de façon très positive, en s’affirmant de plus en plus, Manfred et Asfaneh se rapprochent en veillant sur leur petite fille à l’hôpital dans le coma pendant de longues semaines.
L’enquête que dirige Manfred concerne la disparition et le meurtre de jeunes hommes que l’on retrouve après de longs mois dans la mer.
Les indices sont très peu nombreux et finiront par nous amener vers une solution de l’énigme que je n’avais pas entrevue.

Un extrait

Je ne me souviens pas de ce que j’ai fait ce matin-là, peut-être un peu de ménage. Mon genou me faisait terriblement souffrir et je crois que j’ai avalé plusieurs comprimés anti-inflammatoires. J’ai peut-être fumé quelques cigarettes en cachette sous la hotte de la cuisine et Nadja a regardé des dessins animés. D’ailleurs, j’avais dû augmenter le son à cause du vacarme des travaux sur l’avenue Karlavägen.
Ma fille aînée, Alba, a téléphoné depuis Paris pour m’emprunter de l’argent. Placide mais déterminé, je lui ai demandé d’en parler à sa mère : n’avais-je pas déjà rallongé de trois mille couronnes son argent de poche ? Sans oublier qu’Alexandre et Stella, son frère et sa sœur, n’avaient rien eu. Il fallait bien faire preuve d’équité, non ?
L’équité, quel drôle de concept, a posteriori.
Au bout d’un moment, Nadja, lasse de la télévision, s’est mise à chouiner, inconsolable. Je l’ai prise dans mes bras et j’ai arpenté l’appartement, tentant vainement de la calmer. Son petit corps était brûlant de fièvre et je lui ai donné du paracétamol, contre l’avis Afsaneh – une autre de nos pommes de discorde. Selon elle, on ne doit pas administrer de médicaments aux jeunes enfants, sauf s’ils sont à l’article de la mort.

Nadja a fini par s’apaiser – grâce à l’antipyrétique, à la tartine préparée par mes soins ou au bruit des travaux dans la rue qui représentait une distraction bienvenue, je l’ignore. Elle a voulu regarder dehors et je l’ai soulevée sur le rebord intérieur de la fenêtre. Elle est restée un long moment comme ensorcelée, à observer la pelleteuse creuser lentement la chaussée trois étages plus bas, tout en léchant de sa petite langue pointue le beurre de sa tartine et la morve sur sa lèvre supérieure. Nous avons discuté quelques instants de tractopelles, voitures, camions et motos – de tous les moyens de locomotion, en somme. Nadja était fascinée par les engins à moteur, surtout les plus bruyants – Afsaneh et moi l’avions déjà remarqué.
C’est sans doute à ce moment-là qu’Afsaneh a téléphoné depuis le café
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Challenge petit bac chez Enna (catégorie animal) et Challenge polar  chez Sharon , Challenge animaux du Monde Chez Sharon et écoutons un livre chez Sylire

Madame Pylinska et le secret de Chopin – Eric-Emmanuel Schmidt

Eric-Emmanuel Schmidt nous raconte sa rencontre à 9 ans avec la musique et plus particulièrement avec Chopin.
Il demande à ses parents d’apprendre à jouer du piano. A 16 ans, il aimerait tant mieux jouer (comme sa tante, Aimée, virtuose).
Plus tard lors de ses études de philosophie à Paris, il souhaite progresser dans sa pratique et demande à une professeur Mme Pylinska de lui donner des cours.

Mme Pylinska a un caractère bien trempé et finit par accepter et donne de drôles de conseil au jeune Eric-Emmanuel ( se balader au jardin du Luxembourg et cueillir des fleurs sans laisser tomber la rosée …., écouter le silence …)
J’ai beaucoup aimé la première partie moins la seconde (peut être la partie réincarnation…) . Le troisième a su m’intéresser à nouveau avec la relation retrouvée entre Eric-Emmanuel et sa tante Aimée….

Un livre qui mérite d’être écouté. En effet, le texte fait référence à de nombreux morceaux qui sont joués par Nicolas Stavy.

Un extrait :

– «Virtuoses»… Si après des années d’étude chez moi, on vous traitait de «virtuose», je me pendrais !
– Ce n’est pas un gros mot !
– Je vous apprends à devenir un artiste, pas un Narcisse. Dirigez la lumière sur la musique, non sur vous. Oh ! ces virtuoses qui s’intercalent entre le morceau et le public, je les dézinguerais à la carabine.
– Heureusement que les armes sont interdites dans les salles de concerts !
– Comme vous dites, aboya-t-elle. Sinon, je cumulerais plus de morts que Staline !

Challenge Petit bac  chez Enna – catégorie « personne célèbre », 

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Que lire un 17 octobre ?

Nous avons fini vers quatre heures. À la suggestion de Ronnie, nous sommes allés boire deux trois pintes au Bolchévik. Je n’avais pas envie d’y aller, mais refuser aurait paru impoli. Je n’avais pas envie de ressembler à un diplômé de la fac, ni à un être humain, ni à rien de tel.
Le Bolchévik était un vieux bar du centre-ville, à la décoration et à la propreté douteuse. Il avait été ouvert au début des années vingt par le seul communiste d’Irlande. D’abord baptisé l’Octobre 17, il devint le Lénine parce que les clients demandaient sans arrêt ce qui s’était passé le 17 octobre. Le Lénine fut rebaptisé le Trotski, puis le Staline – qui jouit d’une brève popularité durant les dernières années de la Seconde Guerre mondiale –, puis le Khrouchtchev, le Gagarine, le Révolution, nom aussitôt abandonné au début des Troubles, et ensuite le Bolchévik. Le premier propriétaire était mort depuis belle lurette, mais ses descendants respectaient scrupuleusement les traditions de la nomenclature soviétique. Malheureusement les citoyens surnommaient aussi le Bolchévik la Chaude Bique et l’établissement était surtout fréquenté par des protestants réactionnaires de l’espèce la plus intransigeante. Il n’y avait pas de révolutionnaire et Rajinder ne se joignait jamais à nous. Au Bolchévik , Ronnie était toujours immensément heureux. Lui et les autres colons s’y sentaient chez eux, au cœur de leur destin.
J’ai échangé quelques platitudes éculées avec mes camarades de chantier. Ils m’ont encore reproché mon voyage imminent dans le Train de la Paix. Ils sont devenus sérieux. Ils se sont plaints. Ils ont évoqué leur peur de protestants, les conspirations qu’on ourdissait contre eux, Partout, les catholiques gagnaient du terrain, y compris juste en face d’eux s’ils avaient pu le deviner. La Commission du Juste Emploi mettait leurs ennemis sur le marché. Les cathos trouvaient assez d’argent pour acheter des biens dans les bons quartiers protestants où les maisons n’avaient pas de merde sur les murs. Le RUC n’avait même plus le droit de les descendre et lorsqu’un bon protestant foutait dehors l’un de ces infects salopards, et bien , comble du scandale, on le flanquait en prison comme s’il avait commis un crime. Les seins et la formation universitaire en moins, ces gars là me rappelait Aoirghe. Je n’ai rien dit.
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Eureka Street – Robert McLiam Wilson

Miroir de nos peines – Pierre Lemaitre

Pierre Lemaitre sera sans conteste mon auteur préféré pour 2020 (et plus particulièrement sa trilogie que j’ai pu entièrement audiolire).

Miroir de nos peines est le dernier tome de la trilogie commencée avec Au revoir là-haut et poursuivi avec Couleur de l’incendie.

Avril 1940 – Juin 1940
Ligne Maginot : Les hommes sont mobilisés depuis six mois mais il ne se passe rien sur le front.
A Paris, Louise, 30 ans souffre de ne pas pouvoir avoir d’enfants. Désespérée, elle accepte la « proposition » d’un client du restaurant où elle travaille de le retrouver dans une chambre d’hôtel.
Rouen : l’avocat Désiré Migot essaie de sauver une meurtrière (nommée Valentine) de la guillotine …

Pour moi la grande réussite de ce livre tient à plusieurs choses : d’abord au fait de retrouver Louise, qui était une petite fille de dix ans dans « au revoir là-haut », et qui dans ce tome est une jeune femme de 30 ans, en pleine remise en question. Cela m’a ancré dans une certaine continuité et puis j’avais déjà été conquise par Louise.
L’autre fait qui m’a plu est la relation d’amitié qui va unir Raoul et Gabriel, petit à petit : au départ tout les oppose sur la ligne Maginot (Raoul est borderline, prêt à tous les larcins, Gabriel est honnête et « incorruptible »). Puis après un fait d’armes surprenant, ils semblent se découvrir des points communs et se retrouvent ensemble sur les routes de France en pleine débâcle : l’offensive allemande est rapide et écrasante…
Enfin, le troisième fil narratif met en scène un personnage totalement déjanté et loufoque : Désiré Migot, dont je parlerai peu pour laisser aux futurs lecteurs la joie de le découvrir, celui-ci a un comportement jubilatoire.

Au niveau historique, les faits relatés m’ont également intéressée : le fonctionnement des services de l’information ( la censure) font comprendre la sidération des soldats et de la population française suite au « raz de marée allemand » : « Deux fusils contre 1000 blindés »  dira Gabriel effondré avant de tenter l’impossible …

J’ai eu un peu peur quand l’auteur a démarré un quatrième début d’histoire (celle de Fernand le garde-mobile), peur de voir l’histoire se perdre dans des détails, mais pas d’inquiétude à avoir, Pierre Lemaitre l’intègre (d’une main de maître si j’ose ce mauvais jeu de mot) à l’intrigue déjà bien avancée.

Dès le début on se doute que les 3-4 histoires vont se rejoindre, il y a en permanence un suspense et un art de la mise en scène qui m’a laissé ébahie et ravie …

J’ai aussi aimé écouter l’auteur qui dit à la fin qu’il travaille sur une saga familiale de 1945 à nos jours….

Un extrait

Jour après Jour le Reich progressait, l’héroïsme des soldats français et alliés chargés de résister trouvait sa limite dans la position stratégique des deux camps. Tôt ou tard, on serait face aux Allemands et dos à la mer. Ce serait un massacre ou une déroute, peut-être les deux, plus rien alors ne s’opposerait à l’invasion du reste du pays, Hitler pourrait être à Paris en quelques jours. Désiré en aurait fini avec la guerre. En attendant, il travaillait.

– Bonsoir à tous. Monsieur R., de Grenoble, me demande ce que nous savons « sur l’état réel des dirigeants du Reich ».
– Musique.
– Si l’on en croit Radio-Stuttgart, Hitler est aux anges. Nos services d’espionnage et de contre-espionnage nous livrent, eux, des informations autrement plus gênantes pour le Reich. D’abord, Hitler est très malade. Il est syphilitique, ce qui n’a rien d’étonnant. Même s’il a tout fait pour le cacher, Hitler est homosexuel, il a d’ailleurs attiré auprès de lui quantité de jeunes hommes pour assouvir ses fantasmes, personne n’a jamais eu de nouvelles d’eux. Il ne dispose que d’un seul testicule et souffre d’une impuissance irréversible qui l’a rendu fou. Il mord les tapis, arrache les rideaux, reste prostré pendant des heures. Du côté de son état-major, la situation n’est pas meilleure. Ribbentrop, disgracié, s’est enfui avec le trésor des nazis. Goebbels sera bientôt jugé pour trahison. Faute de chefs lucides et sains d’esprit, l’armée allemande est condamnée à faire la seule chose qui ne demande pas de réflexion : foncer droit devant elle. Nos chefs d’armée l’ont parfaitement compris, qui la laissent s’épuiser dans cette course folle et la stopperont dès qu’elle n’offrira plus de résistance, ce qui ne saurait tarder.

Challenge Petit bac  chez Enna – catégorie « objet », coup de coeur chez Antigone

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Couleurs de l’incendie – Pierre Lemaître

Tome 2 de cette trilogie envoûtante

Dans le tome 1, les personnages principaux étaient tous des hommes (Albert, Edouard, Mr Péricourt, Aulnay-Pradelle). Les femmes étaient en retrait et représentées par Madeleine, fille de Mr Péricourt et soeur d’Edouard, et par une petite fille Louise, adorable mais muette.
Ici les personnages principaux sont féminins et ces portraits de femme dans la tourmente de des années vingt puis trente m’a beaucoup plu.
La première partie se déroule de 1927 à 1929. J’ai vu venir un des rebondissements de la première partie (il y avait pleins d’indices qui montrait que le loyal Joubert n’était pas si loyal que cela) mais je n’avais rien vu venir des deux autres rebondissements …
La deuxième partie démarre en 1933 avec la vengeance de Madeleine…sur fonds de scandales politiques, de fraude fiscale et de montée des nationalismes et du fascisme…
Là aussi, comme dans le premier tome, Pierre Lemaitre excelle à maintenir le suspense : il en dit juste assez pour qu’on soit attentif et pas trop non plus pour nous surprendre à plusieurs reprises…
Les personnages secondaires prennent de la consistance : Paul, la cantatrice Solange Gallinato (mention spéciale pour son intelligence), Vlady qui m’a fait rire, et aussi Mr Dupré, qui avait un rôle de bêta dans le premier tome, et qui devient un des rouages de la machine infernale …

En bref un excellent moment

 

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David Golder – Irène Némirovsky

Édité en 1929, David Golder est  un témoignage marquant de cette époque.
Écrit par Irène Némirovsky (que l’on ne peut taxer d’antisémitisme, elle-même est juive et elle mourra déportée à Auschwitz), David Golder est l’archétype à cette époque de ce que la population considère comme le « juif » (comprenez un homme obsédé par l’argent et prêt à tout pour en obtenir).
C’est un banquier : très riche, toujours préoccupé par ses affaires, il n’hésite pas à acculer son associé de trente ans  à la faillite. Celui-ci se suicide. Commence alors pour David Golder, rongé par le remords, une longue descente aux enfers. Partant de Paris pour aller rejoindre sa femme et sa fille à Biarritz, il est victime d’une crise d’angoisse dans le train. A Biarritz, nous découvrons que cet homme finalement n’est pas si monstrueux et si cupide mais que son entourage est bien pire que lui : entre sa femme Gloria et sa fille, David Golder n’est qu’un tiroir-caisse, et elles ne lui adressent la parole que pour lui demander de l’argent. La jeune fille d’à peine 18 ans est particulièrement « antipathique » et sans morale…
C’est un portrait sans concession d’une certaine caste d’hommes d’affaires qui se retrouvent du jour au lendemain ruinés par la crise de 29, mais c’est également une charge féroce contre les femmes, sangsues des hommes (Irène Némirovsky était-elle misogyne ?).

En conclusion : des portraits au vitriol, marquants, finalement le David Golder du titre est celui qui m’a paru le plus lucide et humain…

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Des extraits

Il dit brusquement :
– Pourquoi a-t-il fait ça ?
– Je ne sais pas, dit Mme Marcus.
Il pensait tout haut.
– L’argent ? seulement l’argent ? seulement ? ce n’est pas possible. Est-ce qu’il n’a rien dit avant de mourir ?
– Non. Quand on l’a ramené ici, il était déjà sans connaissance. La balle s’était logée dans le poumon.
– Je sais, je sais, interrompit Golder avec un frisson.
– Plus tard, il a voulu parler, mais l’écume et le sang lui emplissaient la bouche comme une bouillie. Seulement, un peu avant la fin… il était presque calme, je lui disais : « Pourquoi, comment as-tu pu me faire une chose pareille ? il a dit quelques paroles. J’ai mal entendu… Seulement, un mot qu’il répétait : « Fatigué… j’étais… fatigué… » Et puis il est mort.
– Fatigué, pensa Golder, qui sentit tout à coup sa vieillesse comme une dure lassitude. Oui.

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Soifer, un vieux Juif allemand qu’il avait connu autrefois en Silésie, puis perdu de vue et retrouvé quelques mois auparavant, venait jouer avec lui aux cartes. […]Il possédait dans un coffre fort à Londres des diamants, des perles admirables, des émeraudes si belles qu’autrefois Gloria elle-même n’en possédait pas de pareilles. Avec cela il était d’une avarice qui confinait à la folie. Il habitait un meublé sordide, dans une rue sombre de Passy. Jamais il n’était monté dans un taxi, même lorsqu’un ami s’offrait à le payer : « Je ne désire pas, disait-il, prendre des habitudes de luxe que je ne puis me permettre ». Il attendait l’autobus sous la pluie, l’hiver, des heures entières ; il les laissait passer les uns après les autres, quand la deuxième classe était au complet. Toute sa vie il avait marché sur la pointe des pieds pour faire durer ses chaussures davantage. Depuis quelques années, comme il avait perdu toutes ses dents, il ne mangeait plus que des bouillies, des légumes écrasés afin d’éviter la dépense d’un râtelier.

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LC avec Ingannmic