Tombouctou – Paul Auster

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L’histoire de Willy Christmas et de Mr Bones est raconté par ce même Mr Bones. Celui-ci comme le nom l’indique est un chien. Willy est SDF et erre dans New york puis dans Baltimore à la recherche de son institutrice, qui voyait en lui un grand écrivain.

Willy est malade, il sent sa fin arriver et avant de mourir, il voudrait confier son « oeuvre » poétique à cette institutrice. Mr Bones nous raconte la vie de Willy mais aussi la sienne et celle des personnages qu’il rencontre avant et après la mort de Willy : Willy , bien sûr , mais aussi sa mère, son institutrice, un petit garçon adorable d’origine chinoise, une mère au foyer qui s’ennuie et se sent prisonnière de sa vie, malgré un mari, des enfants gentils et une petite maison en banlieue (le rêve américain en quelque sorte)

Ce livre m’a énormément plu. J’ai aimé le choix de départ qui est de faire parler et de faire réfléchir le chien (même si ce n’est pas plausible qu’un chien parle ainsi). Il s’agit d’une fable sur la vie, la mort, la difficulté de vivre, seul ou accompagné, et aussi la difficulté d’écrire.

Le chien se retrouve seul et essaie de se trouver une famille mais le souvenir de Willy l’entraîne vers une nostalgie dont il n’arrive pas à sortir.

Certains avis sur Babelio ont trouvé ce livre très triste, même si je ne l’ai pas ressenti (le fait que le narrateur soit un chien m’a certainement donné de la distance 😉 )

Un extrait :

Afin de célébrer l’évènement, Willy courut à Manhattan, dès le lendemain matin, et se fit tatouer sur le bras droit une image du père Noël. Ce fut une épreuve pénible, mais il supporta volontiers les aiguilles, triomphant de se savoir désormais porteur d’un signe visible de sa transformation, une marque qu’il garderait sur lui à jamais.

Hélas, quand rentré à Brooklyn, il montra fièrement à sa mère ce nouvel ornement, Mme Gurevitch piqua une colère furieuse, avec crise de larmes et incrédulité rageuse. Ce n’était pas seulement l’idée du tatouage qui la mettait hors d’elle (bien que cela en fît partie, compte tenu que le tatouage était interdit par la loi juive – et compte-tenu du rôle qu’avait joué de son vivant le tatouage des peaux juives), c’était ce que représentait ce tatouage-ci , et dans la mesure où Mrs Gurevitch voyait, dans ce Père Noël en trois couleurs sur le bras de Willy, un témoignage de trahison et d’incurable folie, la violence de sa réaction était sans doute compréhensible. Jusqu’alors, elle avait réussi à se persuader que son fils finirait par guérir tout à fait. Elle attribuait à la drogue la responsabilité de son état, et pensait qu’une fois les résidus néfastes chassés de son organisme et son taux sanguin redevenu normal, ce ne serait qu’une question de temps avant qu’il éteigne la télévision et reprenne ses études. Mais là , c’était fini. Un coup d’oeil au tatouage, et toutes ces attentes vaines, tous ces espoirs trompeurs se brisèrent à ses pieds comme du verre. Le Père Noël venait de l’autre bord. Il appartenait aux presbytériens et aux catholiques romains, aux adorateurs de Jésus et tueurs de juifs, à Hitler et à tous ces gens-là. Les goys avaient pris possession du cerveau de Willy, et une fois qu’ils s’insinuaient en vous, jamais ils ne vous lâchaient. Noël n’était qu’une première étape. Dans quelques mois, ce serait Pâques, et alors ils ramèneraient leurs croix et se remettraient à parler de meurtre, et il ne faudrait pas longtemps pour que les sections spéciales prennent la porte d’assaut. Elle voyait cette image du père Noël, tel un blason sur le bras de son fils, mais en ce qui la concernait, ç’aurait aussi bien pu être un svastika.

Willy se sentait franchement perplexe. Il n’avait eu aucune mauvaise intention, et dans ce bienheureux état de remords et de conversion dans lequel il se trouvait, offenser sa mère était le dernier de ses désirs. Mais il eut beau parler et s’expliquer, elle refusa de l’écouter. Elle le repoussait à grands cris, le traitait de nazi, et comme il s’obstinait à essayer de lui faire comprendre que le père Noël était une réincarnation du Bouddha, un être saint dont le message au monde était tout amour et compassion, elle menaça de le renvoyer l’après -midi même à l’hôpital. Ceci rappela à XWilly une phrase qu’il avait entendu prononcer par un compagnon de misère à Saint Luke’s : « Tant qu’à m’abrutir, je préfère une bonne biture à une lobotomie » – et soudain il sut ce qui l’attendait s’il laissait sa mère agir à sa guise. Alors au lieu de continuer à fouetter un cheval mort, il enfila son pardessus, sortit de l’appartement et partit en droite ligne vers je ne sais où.

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Livre lu dans le cadre du Challenge « Jacques a dit de Métaphore » où le sujet est  de lire un roman avec un nom de ville dans le titre. Dans ce livre, Tombouctou représente pour Mr Bones le paradis où est parti Willy et où il pourra le rejoindre un jour.

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Et il rentre aussi dans le challenge « Lire sous la contrainte » de Philippe où la contrainte de la 10ème session est « un titre de 10 lettres »

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Tombouctou – Paul Auster

Durant toutes les années où nous étions amis, je ne l’ai jamais surpris à inventer des histoires. C’est un de ses problèmes, sans doute – en tant qu’écrivain, je veux dire – pas assez d’imagination- mais en tant qu’ami, il s’en tenait toujours à ces sources ; straight from the horse mouth, comme on dit chez nous, directement de la bouche du cheval ! Une jolie expression, celle là, mais que je sois pendu si je sais ce qu’elle signifie. Le seul cheval parlant que j’ai jamais connu, c’était au cinéma. Donald O’Connor, l’armée, trois ou quatre films imbéciles que j’ai vus quand j’étais môme. Maintenant que j’y pense, remarque c’était peut être une mule. Une mule au cinéma et un cheval à la télé. Comment ça s’appelait déjà ? Mr ED. Seigneur, voilà que ça recommence ! Je peux pas me rappeler de ces saletés. Mr Ed, Mr Moto, Mr Magoo, ils sont tous encore là -dedans, tous jusqu’au dernier. Mr Va-te-faire-foutre. Mais il s’agit de chiens, non ? Pas de chevaux, de chiens.
Tombouctou – Paul Auster

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Sur une idée de Chiffonnette

citation

 

 

 

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