
Tchad – 1956
Après avoir survécu à deux ans de camp de concentration en Allemagne durant la seconde guerre mondiale), Morel s’est mis en tête de sauver les éléphants en Afrique. Dans les années 50, tous les ans, 30 000 éléphants sont tués (par les blancs dans de gigantesques chasses pour l’ivoire, par les hommes qui capturent des éléphants pour les envoyer dans des zoos en Europe, par les fermiers sous prétexte que les éléphants détruisent les cultures, par les africains qui mangent cette viande)
Tour à tour différents narrateurs vont expliquer comment ils voient Morel.
Minna, une jeune Berlinoise traumatisée par la guerre, lui vient en aide et le suit dans son épopée. Le Tchad a ce moment fait partie de l’A.E.F (Afrique équatoriale française). Le gouverneur Schlöscher pense que Morel est peut-être manipulé par des indépendantistes africains et ne croit pas au début à sa sincérité.
Peer Qvist un scientifique danois accompagne Morel dans son aventure : c’est lui qui parle du terme « les racines du ciel » du titre du roman (p 222)
L’islam appelle cela « les racines du ciel », pour les indiens du Mexique, c’est « l’arbre de vie », qui les pousse les uns et les autres à tomber à genoux et à lever les yeux en se frappant la poitrine dans leur tourment. Un besoin de protection auquel les obstinés comme Morel cherchent à échapper par des pétitions, des comités de lutte et des syndicats de défense – ils essaient de s’arranger entre eux, de répondre eux même à leur besoin de justice, de liberté, d’amour – ces racines du ciel si profondément enfoncées dans leur poitrine….
Dans la troisième partie du roman, Fields, un journaliste américain, dont la famille a été gazée à Auschwitch, apporte son regard plus « neutre » de photographe. Les journalistes défendent Morel et son idéal ; le public se passionne en Europe et aux Etats Unis pour cet excentrique.
(Les personnages sont nombreux et je ne les cite pas tous, seulement ceux qui m’ont le plus marqué….)
Waïtari est un indépendantiste africain qui a fait toutes ses études en France et a même été député en France : Il manipule Morel pour récupérer une partie de son aura auprès des médias.
Devant l’échec de sa pétition, Morel se radicalise et passe à la vitesse supérieure, la lutte « armée » pour mobiliser l’opinion publique en vue d’une conférence sur la protection de la nature qui doit avoir lieu au Congo. ….
Morel est-il sincère, est- il amok (fou) comme on l’entend dire ? A chacun de se faire son opinion. Sur fond de guerre froide et de débuts de guerres d’indépendance en Afrique, le combat de Morel dépasse de beaucoup la simple « écologie » et explique les réactions de tous les intervenants.
Morel ne manque pas d’humour et de charme. IL se présente ainsi à Minna, la jeune berlinoise qui travaille dans un bar.
Eh bien, nous sommes presque des compatriotes. Je suis un peu allemand moi-même par naturalisation, si on peut dire. J’ai été déporté pendant la guerre, et je suis resté deux ans dans différents camps. J’ai même failli y rester pour de bon. Je me suis attaché au pays.
Morel explique son geste de défendre les éléphants ainsi (toujours à Minna)
Je dois vous dire aussi que j’ai contracté, en captivité, une dette envers les éléphants, dont j’essaie seulement de m’acquitter. C’est un camarade qui avait eu cette idée, après quelques jours de cachot –un mètre dix sur un mètre cinquante – alors qu’il sentait que les murs allaient l’étouffer, il s’était mis à penser aux troupeaux d’éléphants en liberté- et chaque matin, les allemands le trouvaient en pleine forme, en train de rigoler : il était devenu increvable. Quand il est sorti de cellule, il nous a passé le filon, et chaque fois qu’on en pouvait plus, dans notre cage, on se mettait à penser à ces géants fonçant irrésistiblement à travers les grands espaces de l’Afrique.
Un dernier extrait sur la place de la langue française en Afrique (p 377)
Fields le journaliste vient d’entendre Waïtari essayer de le convaincre de parler de l’indépendance de l’Afrique dans son journal
Fields vivait à Paris depuis plusieurs années, mais il n’avait jamais entendu personne improviser en français avec une telle aisance. Il se demanda dans quelle langue Waïtari s’était adressé aux tribus d’A.E.F au cours de ses tournées de propagande. (Par la suite, il chercha à se renseigner là-dessus. Waïtari ne connaissait parfaitement que le dialecte Oulé. Les quelques vingt-sept autres dialectes du territoire lui étaient totalement inconnus. Il avait été de ceux qui avait mené avec le plus d’acharnement, depuis 1945, la campagne pour l’enseignement du français dans les tribus, et pour l’élimination progressive des dialectes autochtones. La raison en était facile à deviner. Les sorciers et les chefs de tribus conservaient leur pouvoir à l’abri de cette barrière du langage. Pour Waïtari, l’emploi du français était l’arme principale d’émancipation, d’unification e de propagande, la seule façon de lutter contre les traditions. Le dialecte Oulé ne comporte pas le mot « nation », pas le mot « patrie », pas le mot « politique », pas les mots « ouvrier, travailleur, prolétariat » et l’expression « droits des peuples à disposer d’eux même » y devient « victoire des Oulés sur leurs ennemis ». L’apparent paradoxe qui avait fait de Waïtari le champion intransigeant de l’emploi de la langue française avait donc une explication facile). Pendant que Waïtari parlait, la fusillade continuait sur le lac, – démonstration pratique de ce qu’il racontait.
En conclusion : un roman très riche dont le sujet principal la défense des éléphants permet à Romain Gary de parler aussi et principalement des hommes, de leurs aspirations à la liberté, à la dignité et aussi à une vie « meilleure »
Vous pouvez aller lire l’article d’Eeguab sur le film tourné d’après ce livre
Du côté des challenges
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