
Berlin 1925
Le cadre de ce court roman est celui d’une pension où résident des émigrés russes chassés par la révolution. Toute l’intrigue se joue en quatre petits jours…
On y retrouve Ganine, jeune homme de 25 ans au chômage, et Alfiorov, la quarantaine, qui attend impatiemment que sa femme arrive de Russie : Il ne l’a pas vu depuis 4 ans et elle vient enfin d’obtenir les papiers pour sortir de Russie. Cette femme est la Machenka du titre.
Ganine, après une période de suractivité, tombe dans la dépression.
Il reste avec une maîtresse Ludmila qu’il n’aime plus, par apathie jusqu’au jour où …il voit une photo de Machenka …et où il se souvient…de son premier amour à 16 ans…
L’écriture m’a beaucoup plu : les images de la pension sont percutantes (on entend le train de la gare voisine faire trembler les murs), les images sont surprenantes et poétiques, Ganine est très ambigu (amoureux ? criminel ? voleur ? fou ? )
Il s’agit du premier roman de Nabokov et il semble que celui ci ait une part autobiographique importante. En tout cas j’ai trouvé le ton très juste : l’évocation tout en nostalgie et ressentiment de l’exil, la nostalgie de son premier amour.
Tout au long du livre, la place des trains est importante : la pension est tout contre une gare, l’énigmatique Machenka doit arriver au train de 8h05 le samedi suivant, Ganine se souvient d’une rencontre en train quand il habitait encore en Russie et à la fin, il quitte Berlin pour la France en train… ce leitmotiv du train m’a énormément fait penser à « La modification » de Michel Butor….
La fin de ce livre est parfaite…
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Un extrait
Ganine dit, en regardant ses pieds :
« Quand j’étais dans les classes supérieures, mes camarades croyaient que j’avais une maîtresse ! Et quelle maîtresse ! Une femme du monde. Cela me valait leur respect je ne protestais pas, car j’avais moi-même fait circuler ce bruit.
– Je vois, dit Podtiaguine en hochant la tête. Vous ne manquez pas d’ingéniosité, Liovouchka. Cela me plaît.
– À vrai dire, j’étais d’une chasteté absurde et je ne m’en portais pas plus mal. J’en étais fier, comme d’un secret important, mais tout le monde croyait que j’avais beaucoup d’expérience.
Certes je n’étais pas le moins du monde timide, ou pudibond. J’étais tout simplement heureux de vivre comme je vivais et j’attendais. Mes camarades, ceux qui employaient un langage ordurier et haletaient au seul mot de « femme », étaient tous boutonneux et malpropres, avec des mains moites. Je les méprisais pour leurs boutons. Et ils mentaient d’une façon révoltante à propos de leurs aventures galantes.
– Je dois avouer, dit Podtiaguine de sa voix terne, que j’ai commencé par une femme de chambre. Elle était si gentille, si douce, elle s’appelait Glacha. C’est comme cela que…
– Non. Moi, j’ai attendu, dit Ganine très doucement. Du début de la puberté jusqu’à seize ans, disons trois ans. Quand j’avais treize ans, un jour, en jouant à cache-cache, je me suis caché avec un autre garçon de mon âge au fond d’un placard. Dans l’obscurité, il m’a parlé de femmes merveilleusement belles qui se laissaient déshabiller pour de l’argent. Je n’entendis pas très bien le nom qu’il leur donnait et je crus que c’était : «prinstituées»– mélange de princesse et d’institutions de jeunes demoiselles. Je me fis d’elles une image mystérieuse et enchanteresse. Bientôt cela va sans dire, je compris que j’étais dans l’erreur, car je ne vis rien d’enchanteur dans les femmes qui arpentaient la Perspective Nevski en se dandinant et qui nous appelaient, nous, les élèves des écoles secondaires, des « crayons ». Et puis, après trois années d’orgueilleuse chasteté, mon attente prit fin. C’était en été, dans notre maison de campagne.
Challenge « lire sous la contrainte » chez Philippe où la contrainte est « Devinez qui j’ai rencontré ? »
