Amours – Léonor de Récondo.

Les chevaux sont beaux, sellés, brossés, les muscles fringants, les naseaux fumants. Les chiens courent dans tous les sens. Les deux hommes, le fusil à l’épaule, quittent le domaine, suivis de la meute. Ils trottent le long du Cher avant de s’enfoncer dans le bois. La brume qui recouvre tout le paysage leur laisse peu d’espoir d’abattre une bête. Mais ils sont là pour d’autres raisons. Anselme pour chevaucher près de Pierre, pour avoir l’occasion de lui parler, avec l’espoir, malgré l’infirmité de son compagnon, d’être compris. Et Pierre pour l’excitation qu’éprouve son épiderme à être à cheval à l’aube. Une excitation qui le projette en pleine guerre. Ce conflit qu’il hait au plus profond de lui-même, qui lui a fait croiser la mort à chaque instant, qui l’a forcé à toutes les humiliations, les subordinations, et qui, pourtant, l’a aussi lié à d’autres, à ces hommes avec qui il a ressenti des émotions collectives intenses, à jamais gravées dans la mémoire de son corps, comme celle de la peur avant l’assaut, comme celle de la joie à se retrouver vivants ensemble, à rire aux éclats, à danser, à hurler qu’on lui a fait un beau pied de nez, à la mort, qu’elle ne nous a pas eus, pas cette fois-ci en tout cas.

La guerre rapproche terriblement. C’est là qu’on se dit des choses qu’on ne se dirait jamais en temps de paix, de ces secrets qui ne se dévoilent pas –  comme l’a fait le père d’Anselme près d’un feu de camp, lors d’une soûlerie méticuleuse qui vous laisse les boyaux retournés et l’âme déchirée.

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Amours – Léonor de Récondo.