Les services compétents – Iegor Gran

LC avec Edualc 😉

Iegor Gran a neuf mois quand le KGB arrête son père. Le crime de celui ci ? Avoir fait passer ses écrits à l’ouest.

Nous sommes en 1965. Le premier chapitre raconte la perquisition qui a lieu chez ses parents. Sa mère m’a paru très forte et pas du tout intimidée par les 6 policiers qui vont fouiller son appartement pendant des heures (sans rien trouver d’ailleurs, les preuves du crime sont bien cachées derrière la bibliothèque…)

Après ce premier chapitre prenant, l’auteur pratique un retour en arrière, 1959. Il suit pas à pas les enquêteurs : l’enquêteur principal Ivanov ne semble pas très intelligent mais il est persévérant et a beaucoup de moyens (ou de mouchards). Il s’agit là d’un récit où on sait déjà que Siniavski (ou Abram Tertz, le pseudo qu’il s’est choisi – nom d’un brigand populaire d’origine juive) va être arrêté… Tout l’intérêt réside dans l’observation des faits de l’époque : Staline est mort depuis 6 ans et il y a comme un léger (très léger) assouplissement de la répression des opposants au régime. Avec un ton parfois grave mais aussi parfois très moqueur (de nombreuses phrases avec les termes « les services compétents » m’ont fait sourire), ce roman est instructif sans être pesant. Le KGB est parfais tourné en ridicule mais il finira dans ce jeu du chat et de la souris par attraper l’écrivain. Je ne connaissais pas du tout celui-ci ( il viendra s’établir en France avec femme et enfant, l’auteur Iegor Gran, en France en 1971). En tout cas son fils m’a convaincu et donné envie de le relire.


Un extrait (P 154-155 )

On va lire un texte, c’est paru dans la revue Reporter, un texte qui nous vient d’URSS, dit la dame. Vous allez voir, c’est spécial.

Alors une voix d’homme, posée et distante, comme à la radio soviétique officielle, annonce :« Ici Moscou. Nous transmettons l’oukase du Comité central de l’Union des Républiques socialistes soviétiques. En raison de la croissance du niveau de vie, allant au-devant des demandes des travailleurs, il est décrété que le mercredi 10 août 1960 sera la journée des meurtres autorisés. »

Un bout de sultanka s’échappe de la bouche grande ouverte de Monocle. Ça par exemple! La journée des meurtres autorisés – Monocle en a déjà entendu parler, oh que oui ! La journée des meurtres autorisés, c’est son idée, à Monocle ! Il l’avait eue il y a quelques temps déjà… Il se rappelle : à une soirée, on faisait les cons et on jouait à inventer des journées commémoratives improbables. Dans le calendrier soviétique, il y avait bien une journée du garde-frontière (le 28 mai), une journée de l’inventeur et du rationalisateur (le dernier samedi de juin), et une flopée d’autres, plus ou moins incongrues. Alors Monocle a crié : « Et pourquoi pas la journée des meurtres autorisés ? »

« En cette journée, tous les citoyens de l’union soviétique âgés de 16 ans et plus obtiennent le droit de tuer n’importe quel autre citoyen, à l’exclusion des personnes mentionnées au point un des annexes au présent oukase »…«  Annexes. Point premier. Il est interdit de tuer : a) les enfants de moins de 16 ans, b ) les militaires en uniforme et les agents de la milice, c ) les travailleurs des transports dans le cadre de leurs fonctions. Point deux. Un meurtre commis avant ou après la plage temporelle indiquée, tout comme un meurtre commis dans le but de voler ou résultant d’un acte de violence contre une femme, sera considéré comme un crime pénal et sera poursuivi en fonction des lois existantes… »

La suite est à l’avenant. C’est loufoque, noir et profondément dérangeant, d’autant que la langue employée dérive du patois officiel, parsemé d’expressions figées.