Le jour des corneilles – Jean François Beauchemin


le jour des corneilles

Dès le début, mes esgourdes ont été charmées par la voix du narrateur qui m’a embarquée dans son épopée au Québec (je précise qu’il ne s’agit pas d’un livre audio et que j’ai quand même entendu la voix du narrateur….ce qui est rare). Le fils Courge, c’est son nom – il ne semble pas avoir de prénom, a le phrasé étrange de celui qui n’a pas été en contact avec les hommes dès sa plus tendre enfance. Un enfant presque sauvage, élevé par un père fou de douleur (sa femme est morte en mettant le fils au monde) et fou tout court (des voix lui parlent dans le « casque »).

Le fils s’interroge sur les hommes, sa mère, son père, l’amour, la nature. Il s’adresse à un juge, on comprend petit à petit pourquoi il s’adresse à cet homme. De sa tendre enfance, avec un père qui a des hallucinations et qui le maltraite, à sa découverte de l’amour vis à vis de la douce Manon, le fils nous brosse un portrait magnifique de la nature, des hommes et du langage.

Son vocabulaire est composé de mots à moitié inventés et d’images très justes d’animaux en toute sortes (loutres, cerfs, serpents, insectes….)
Une grande découverte qui m’a enchantée……

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Un extrait

Lorsque le soleil était bien enfoncé à ponant, il m’arrivait quand il s’essayait à traduire le ciel et son ornement d’étoiles, de questionner père sur ma destinée. Car père était lecteur d’astres et, par même occasion, déchiffreur des avenirs inscrits en eux. Et moi, j’étais en cette matière aussi curieux que le loutron : je n’avais de cesse de me cuisiner et de m’interviewer sur le sort me guettant et sur la tournure de ma personne. J’étais ainsi fait, Monsieur le juge : je ne me rassasiais guère du jour coulant, et il m’était besoin de creuser les époques prochaines. Ah! Comme j’aurais goûté de me transporter en avant, en quelque machine ou brouette avaleuse de temps ! Pourquoi ? Il ne m’est pas aisé de le traduire. Peut être cherchais-je en demains ce qu’aujourd’huis ne m’offraient que médiocrement. On eût dit que l’époque présente ne me suffisait jamais, et qu’il me fallait embrasser, afin de parfaire cette époque, le projet et même la conclusion de mon existence. J’incline à croire qu’il me fallait pour mieux vivre, entrevoir la destination des choses, et ainsi imprimer signification à tout ce qui précédait cette conclusion, un peu à la manière de la fourmi qui rapporte en sa fourmilière la goutte de miel assurant la survie de ses sœurs insectes. M’était besoin de savoir que m’attendait quelque part une fourmilière, et que ce que j’y promettais en mon trajet lui était nécessaire. Et peut être étais-je moi-même une sorte d’insecte rapporteur, cherchant en ce monde à se lier à sa société de semblables afin de lui fournir contribution. Quelle contribution ? Je n’avais en vérité que peu de choses à offrir, hormis la besogne de mon coeur, mon ouvrage de sentiment. Je ressentais souventes fois cela, lorsque je grimpais le grand orme et que je guettais en l’horizon l’apparition de la charmant Manon. Je lui aurais alors volontiers fait cadeau de mes jours. Oui, il me fallait voir lointainement, afin de me mieux mesurer aux choses de maintenant.

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En conclusion : un petit livre à dévorer

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Challenge « lire sous la contrainte » chez Philippe où la contrainte est « animaux » ; Challenge Québec en Novembre chez Karine et Yueyin, et aussi Québec O trésor chez  Karine:) et Grominou.

32 réflexions au sujet de « Le jour des corneilles – Jean François Beauchemin »

  1. Un OVNI littéraire à dévorer, les yeux écarquillés de stupéfaction, oscillant entre horreur et fascination. Les mots permettent de survivre et de vivre pour raconter dans un langage hors normes, sans balises, créé de toutes pièces cette histoire sans nulle autre pareille. SECOUANT et remarquable ! C’était ma critique à moi, que je partage avec la tienne, Valentyne, sans modération.

  2. Tu as raison, on l’entend cette voix dans l’extrait que tu as mis ! Avec son accent et sa singularité de vocabulaire ! Un livre qui doit être passionnant, j’avais déjà noté cet auteur ! 😉

  3. Sont-ce des mots inventés ou des mots typiquement québecois ? Les canadiens ont un langage particulièrement fleuri, de jolies métaphores pour parler de choses ordinaires. Et des interprétations des « nôtres » qui sont tout sauf tristes ! 😀 Je n’oserais pas en décliner quelques-uns ici ! Bisous

    • Bonjour Lili 🙂
      Je viens d’aller voir ton billet sur « la petite fille  »
      Il y a effectivement des points communs (sur le fonds et la forme)

      J’ai trouvé celui ci plus « philosophique » mais tout aussi réussi
      Bonne journée

  4. Ping : Québec en novembre 2015! Le billet récap!

  5. Ping : Bilan Lecture 2015 | La jument verte

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