
Après « Bonbons assortis » et « La traversée du continent », je suis repartie en compagnie des doux mots de Michel Tremblay. L’action se déroule en 1912 et 1914.
Ce roman est le tome 2 d’une saga qui en comporte 6.
Dans le premier tome, » la traversée du continent », on suivait Rhéauna, 10 ans, dans sa traversée du Saskatchewan vers Montréal pour rejoindre sa mère qui l’avait laissée 5 ans auparavant chez les grands-parents ; jeune veuve, elle ne pouvait pas subvenir à leurs besoins.
Dans ce deuxième tome, on suit en parallèle deux époques : en 1914 avec le ressenti de Rhéauna, qui reste une petite fille adorable, et en 1912 les sentiments de sa mère quand elle décide de partir des États-Unis pour retourner au Canada natal, enceinte et sans ressources.
Incompréhension entre les deux, la mère faisant tout son possible pour que sa fille soit heureuse mais toujours aussi pauvre elle ne peut faire venir ses deux autres filles restées au Saskatchewan. L’adaptation De Rhéauna à la grande ville après des années à la campagne est très dure.
Michel Tremblay excelle dans sa description des sentiments et de la mère (confrontée au problème d’élever seule Rheauna plus son petit garçon de dix huit mois) et Rhéauna qui, entendant les rumeurs de la guerre en Europe, entreprend une folle équipée dans la ville de Montréal.
J’ai eu une préférence pour la voix donnée à la petite fille mais les chapitres ou l’on suit la mère sont également très captivants.
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En conclusion : j’adore cet auteur, sa façon de dire simplement la complexité des sentiments et de se mettre dans la peau d’un enfant.
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Un extrait :
« Quand nous chanterons le temps des cerises, le doux rossignol, le merle moqueur seront tous en fê-ê-te. » C’est une chanson qui fleure bon le foin frais coupé, la soupe aux légumes et le café qui percole. C’est une chanson qui a aussi une odeur de nostalgie, les souvenirs imprécis qu’on arrive pas à retrouver, un manque inexprimable là, dans la région du coeur, une privation cuisante qu’on soupçonne d’être définitive et qui vous rend inconsolable. Avant elle était privée de mère ; maintenant…
Où sont elles à cette heure ? Où sont ils tous, Béa, Alice, grand-papa, grand-maman ? Le blé d’Inde doit avoir fini de pousser, les foins vont commencer bientôt, les silos vont se remplir de céréales, la petite école de rang va ouvrir ses portes, Mademoiselle Patenaude va accueillir ses élèves sur le perron, droite et fière… Sa mère lui a dit que le soleil se couchait deux ou trois heures plus tard qu’à Montréal, là-bas en Saskatchewan, qu’il était plus tôt qu’ici, qu’ils prenaient leurs repas longtemps après eux, qu’ils dormaient encore quand elle partait pour l’école, qu’ils venaient de finir de souper quand elle se couchait… Est-ce que c’est possible ? Que le soleil ne se couche pas partout à la même heure ? Ou alors est-ce que c’est une invention de sa mère pour l’empêcher de trop penser à eux, d’imaginer qu’elle fait la même chose qu’eux en même temps, qu’elle est plus en symbiose avec eux qu’avec elle ? Rhéauna se rappelle que sœur Marie-de-l-Incarnation lui a dit qu’elle allait leur expliquer les ciseaux horaires l’année prochaine – c’est des ciseaux qui coupent le monde en vingt-quatre parties différentes, pour les vingt-quatre heures de la journée, à ce qu’il paraît ; c’est donc vrai, ce n’est pas une invention de sa mère. C’est loin de la rassurer parce qu’elle va devoir continuer de calculer quelle heure il est là bas chaque fois qu’elle va penser à eux.

Challenge Québec en Novembre chez Karine et Yueyin, et aussi Québec O trésor chez Karine:) et Grominou.