Cette histoire-là – Alessandro Baricco

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Épopée d’un homme ordinaire dans un XXème siècle peu ordinaire.Cette histoire-là est formidablement racontée par Alessandro Baricco.
Ultimo naît en 1898. Son père et sa mère sont fermiers, durs à la tâche dans une région d’Italie plutôt pauvre. Fragile, il manque mourir plusieurs fois avant ses 5 ans. Un jour, son père l’emmène voir une course fabuleuse, une des toutes premières courses automobiles, des bolides leur passent sous le nez dans d’un fracas et à un train inimaginable. Tous deux en sont émerveillés pour leur vie entière. Cela changera la vie du père, qui vend ses 26 vaches pour monter un garage dans un coin perdu où il ne passe aucune voiture : nous sommes en 1903…
Un certain comte D’Ambrosio s’arrêtera avec son automobile de 931 kilos et là aussi la vie sera changée.

Ultimo grandit et bascule dans l’âge adulte à 15 ans.
Dans la deuxième partie, plus opaque, on retrouve le soldat Ultimo Parri sur le front à Caporetto,  lors de la première guerre mondiale.
Le narrateur change et nous apporte une autre vision d’Ultimo avec en toile de fonds le carnage humain que furent ces 4 années.

La troisième partie est celle du journal d’une émigrée russe aux USA . Là aussi, Elisaveta nous décrit un autre Ultimo, 25 ans cette fois, silencieux et secret.
Et cela continue ainsi avec une partie où le narrateur est le frère d’Ultimo en 1947… Puis Elisaveta revient et rencontre le père d’Ultimo…..dans les années 50….
Au final, Alessandro Baricco nous emmène dans une longue balade avec de nombreux mensonges, rebondissements, fausses pistes, virages finement négociés, freinages brusques, sorties de route et belles voitures…..
J’ai beaucoup aimé la complexité du personnage d’Elisaveta, tour à tour amoureuse, méchante, cruelle, tenace, attachante, fragile et ….
Du grand art avec une fin à laquelle je ne m’attendais pas …
Tout au long du livre, une écriture fluide en lignes, courbes, virages et dos d’âne qui donnent envie de crier comme son héros : ULTIMO PARRI…

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Premier extrait : p 48
Le comte D’Ambrosio enclencha la vitesse, en se demandant ce qui, chez ce petit garçon, n’était pas normal. Il se le rappelait la veille, sous cette pluie, penché sur la bicyclette, sous l’enseigne G A R A G E : si absurde que cela puisse paraître, il y avait surtout lui, dans ce petit paysage : tout le reste était un pas derrière. Tout à coup l’idée lui vint qu’il avait déjà vu quelque chose de semblable, et c’était justement dans les tableaux qui racontent la vie des saints. Ou du Christ. Il y avait toujours des tas de gens, et certains pouvaient même faire des choses bizarres, c’était le saint qu’on voyait tout de suite, pas besoin de le chercher, ce que les yeux captaient en premier c’était le saint. Ou le Christ. Si ça se trouve je suis en train de trimbaler l’Enfant Jésus dans la campagne, se dit-il en riant tout bas : et il se tourna vers lui. Ultimo regardait droit devant, les yeux tranquilles, sans se soucier de l’air et de la poussière : sérieux. Il ne tourna même pas la tête, quand il dit à haute voix :
– Plus vite, s’il vous plaît.
Le comte D’Ambrosio recommença à s’occuper de la route et vit le dos-d’âne juste devant lui, absurde et évident, dans la paresse de la campagne. En d’autres circonstances, il aurait relâché l’accélérateur pour accompagner la bosse du terrain avec la force légère d’une inertie contrôlée. Ce fut avec un certain étonnement qu’il se surprit tel un gamin à mettre les gaz. Sur le talus, les 931 kilos du monstre de fer se détachèrent du sol avec une élégance qu’il avait gardé par-devers soi, secrètement, depuis longtemps. Le comte D’Ambrosio entendit le moteur rugir dans le vide, et devina le battement d’ailes des roues qui s’enroulaient dans l’air. Les mains serrées sur le volant, il lança un cri de surprise pendant que le petit garçon à côté de lui, avec une froideur et une joie tout autres, hurlait, curieusement, son propre nom, à gorge déployée.
Nom et prénom, pour être exact.
La voiture, ce fut Libero Parri qui dut venir la récupérer, avec la carriole et les chevaux. Ils la tirèrent jusqu’à l’atelier et il leur fallut ensuite travailler dessus une semaine. Pour voler, elle avait volé et bien. C’est après qu’elle s’était un peu désunie.

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Deuxième extrait (page 275) : le narrateur est le petit frère d’Ultimo
Et je vois le vert émeraude de l’herbe, la courbe douce d’une colline à peine esquissée, une vague rangée d’arbres fruitiers, le lit sec d’un petit cours d’eau, un tas de bois à couper, la clarté sombre d’un sentier, les dépressions inégales du terrain, un maquis de fleurs, le profil acéré d’un roncier, une palissade au loin, la terre remuée d’un champ abandonné, une pyramide branlante de bidons d’essence, des buissons qui ont poussé suivant un ordre mystérieux, une carcasse d’avion au soleil, quelques roseaux au bord du marais, le ventre d’un réservoir ouvert, l’ombre des arbres sur le sol, la souple descente en piqué des petits oiseaux sur l’herbe, la toile d’araignée des branches au milieu des feuilles, le reflet tremblant des flaques d’eau, beaucoup de nids légers, un calot militaire dans l’herbe, le jaune d’épis solitaires, une empreinte de pas toute sèche dans la boue du sentier, le pendule des tiges trop longues dans le vent, le vol de l’insecte incertain, la racine soulevée au pied du chêne, les tanières cachées de bestioles frénétiques, le bord dentelé de feuilles sombres, la mousse sur les pierres, le papillon sur un pétale bleu, les petites pattes recroquevillées du bourdon en vol, les pierres bleuâtres dans le lit à sec du ruisseau, la maladie qui brûle les fougères, le reflet vert sur le dos du poisson dans l’étang, la larme de sève sur l’écorce l’arbre, la rouille d’une faucille oubliée, la toile d’araignée et l’araignée, la bave de l’escargot et la fumée de la terre. Puis je vois les automobiles, flamboyantes. (p275)

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Challenge il viaggio chez Eimelle où le thème de janvier est « Italie contemporaine » (livre paru en Italie en 2005)

challenge italie

9 réflexions au sujet de « Cette histoire-là – Alessandro Baricco »

  1. Le dos d’âne que voilà ! Et puis ce vert émeraude de l’herbe. Deux extraits de choix dis-donc. Valentyne au summum de son art.
    J’applaudis à chaque fois un peu plus tes sélections.
    En tant que souvent non-lectrice, (voir le lien que carnets m’a fait passer ici dans son commentaire),
    http://www.leseditionsdeminuit.eu/f/index.php?sp=liv&livre_id=2514
    découvrir des livres sans pour autant avoir le temps de les lire et pourtant, c’est du confort.
    Merci de nous faire découvrir ces perles d’auteur.

  2. Ping : Top Ten Tuesday : Moyen de transport sur la couverture | La jument verte

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