La trêve – Primo Levi

Le récit de Primo Levi débute fin janvier 1945 : Auschwitz vient d’être libéré par l’Armée Russe. 800 personnes survivantes les premiers jours puis seulement une centaine les jours suivants. L’armée russe organise le déplacement des rescapés vers un camp en attendant la fin de la guerre. En mai 1945, avec la capitulation de l’Allemagne, Primo Levi et ses compagnons pensent qu’ils ne tarderont plus à être rapatriés en Italie. On suit Primo dans sa redécouverte de la vie tout d’abord en compagnie d’un grec qui le prend sous son aile quelques temps, puis dans un camp (camp avec des barbelés et où il faut en théorie un laisser-passer mais où tout le monde sait où est l’issue avec des barbelés coupés). 

Étrangement les rescapés sont envoyés vers l’est  et ne regagneront l’Italie et la Roumanie qu’en octobre 1945 après de longs mois d’errance, en compagnie de soldats de l’Armée Rouge, victorieuse mais très désorganisée.

Pas s’apitoiement dans ce récit, juste la volonté de raconter ce qui s’est passé après la libération des camps : la difficile réadaptation, la solidarité entre anciens déportés, l’espoir d’un retour proche, les difficultés à se nourrir dans une Europe en ruine, le regard de la population sur leur maigreur et leurs habits de bagnards …

Après avoir survécu au pire, Primo Levi et ses compagnons connaissent une vie certes très difficile mais qu’ils savent rendre pleine d’humour grâce à leur débrouillardise : 

La poule et la nuit passée en plein air nous firent autant de bien que des médicaments. Après un sommeil réparateur, bien que nous eussions dormi à même le sol, nous nous réveillâmes le matin en excellente forme et d’excellente humeur. Nous étions contents parce qu’il y avait du soleil, parce que nous nous sentions libres, à cause de la bonne odeur qui montait de la terre et aussi parce qu’à deux kilomètres il y avait des gens qui ne nous voulaient pas de mal mais qui étaient vifs et rieurs ; ils avaient commencé par nous tirer dessus il est vrai, mais ensuite nous avait bien accueilli et même vendu un poulet. Nous étions contents parce que ce jour là (demain, nous ne savions pas ; mais ce qui peut arriver le lendemain n’a pas toujours d’importance) nous pouvions faire des choses dont nous étions privées depuis très longtemps, comme boire l’eau d’un puits, nous étendre au soleil au milieu de l’herbe haute et vigoureuse, humer l’air de l’été, allumer un feu et cuisinier, aller dans les bois pour chercher des fraises et des champignons, fumer une cigarette en regardant loin au-dessus de nos têtes un ciel purifié par le vent.

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Un livre qui sait rester sobre avec à la fois une langue acérée et pleine d’humour. 

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Incipit – Le dégel

Les premiers jours de janvier 1945, sous la poussée de l’Armée Rouge désormais proche, les Allemands avaient évacué en toute hâte le bassin minier de Silésie. Alors qu’ailleurs, dans des conditions analogues, ils n’avaient pas hésité à détruire par le feu et par les armes les camps et leurs occupants, dans le district d’Auschwitz ils n’agirent pas de même : des ordres supérieurs (émanant d’Hitler en personne, à ce qu’il paraît) imposaient  de « récupérer » coûte que coûte, tout homme apte à travailler. Aussi tous les prisonniers valides furent ils évacués, dans des conditions effroyables, sur Buchenwald et Mauthausen et les malades abandonnés à leur sort. L’intention première des Allemands était, semble-t-il, de ne laisser personne en vie dans les camps de concentration mais une violente attaque aérienne de nuit et la rapidité de l’avancée russe les firent changer d’avis et prendre la fuite, en laissant là leur devoir et leur tâche.

À l’infirmerie du camp de Buna-Monowitz nous étions restés huit cents. Cinq cents environ moururent de maladie, de froid et de faim avant l’arrivée des Russes et deux cents autres, malgré les secours, les jours qui suivirent immédiatement. 

La première patrouille russe arriva en vue du camp vers midi, le 27 janvier 1945. Charles et moi la découvrîmes  avant les autres ; nous transportions à la fosse commune le corps de Somogyi, le premier mort de notre chambrée. Nous renversâmes la civière sur la neige souillée car la fosse commune était pleine et l’on ne donnait pas d’autre sépulture : Charles enleva son bonnet pour saluer les vivants et les morts. C’étaient quatre jeunes soldats à cheval qui avançaient avec précaution, la mitraillette au côté, le long de la route qui bornait le camp. Lorsqu’ils arrivèrent près des barbelés, ils s’arrêtèrent pour regarder, en échangeant quelques mots brefs et timides et en jetant des regards lourds d’un étrange embarras sur les cadavres en désordre, les baraquements disloqués et sur nous, rares survivants.

Ils nous semblaient étonnamment charnels et concrets, suspendus (la route était plus haute que le camp) sur leurs énormes chevaux, entre le gris de la neige et le gris du ciel, immobiles sous les rafales d’un vent humide, annonciateur de dégel.

Challenge – lire sous la contrainte chez Philippe avec la contrainte « accent circonflexe »

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