Les sirènes et le requin

plumes2

Cher Woody,

J’ai trouvé ton adresse mail sur Internet et j’espère que tu me répondras. Je suis fan de toi, et sans me vanter, je te ressemble un peu : tu es moi, en mieux, avec plus de cheveux. Te faire une déclaration d’admiration n’est pas mon intention. J’en viens au but de mon mail : te raconter une expérience qui m’a bouleversé.
Je suis encore fébrile de mon aventure et j’écris immédiatement tant que j’en ai le courage et pour ne pas perdre l’émerveillement et aussi l’horreur, que ces évènements ont provoqué en moi : une sorte de vague, de tsunami pour reprendre un terme à la mode. Tout d’abord, je déteste la mode, je la hais, je n’aime que le rétro, le old-fashion, le suranné….

J’étais en train de monter les escaliers menant vers la piscine municipale quand j’ai dû refaire mon lacet gauche. Gauche a son importance. Comme je ne suis plus de la première jeunesse, je me suis assis sur la marche pour le refaire. La vie n’a pas été douce pour mes os et je suis souvent raide du côté gauche. Si le lacet défait avait été le droit, je n’aurais pas eu besoin de m’asseoir et rien ne serait arrivé : c’est un peu le phénomène « Match Point », mon lacet aujourd’hui. « Match point », cher Woody, est mon film préféré, avec Scarlett Johansson dans le rôle de la timbrée. L’image au ralenti d’une balle quelconque, suspendue au dessus d’un filet de tennis, métaphore du hasard décidant de la victoire ou de la défaite, m’a marqué. Mais je m’égare en essayant de t’expliquer pour que tu comprennes la quintessence de mon aventure d’aujourd’hui.

Assis sur ma marche, j’ai vu les trois plus belles paires de guibolles qu’il m’ait été donné de voir. Des jambes légères, douces comme la soie, trois nuances allant du très clair au chocolat. Les pieds qui finissaient ces merveilles étaient chaussés de baskets en toile banales, sans lacet (tu noteras l’ironie de l’existence), des baskets que l’on peut enlever d’un geste négligent, et jeter dans un casier de piscine municipale, une paire rouge, une jaune tournesol et une bleu roi. Je me suis relevé et j’ai suivi ces jambes, qui tu l’auras deviné, allaient aussi à la piscine, jacassant à qui mieux-mieux (enfin ce sont les propriétaires de jambes qui jacassaient). Les cuisses étaient également fuselées, un short à la Tamara Drewe pour la petite, une jupette façon tennis sur celle du milieu et une jupe trapèze sur la dernière. Bref de jeunes filles saines, élévées aux flocons d’avoine et au jus d’orange. J’ai remonté mes lunettes (les mêmes lunettes de toi), comme je fais toujours quand je suis ému, et j’ai patiemment attendu que les trois nymphes fassent poinçonner leurs cartes. Au dessus de leurs fesses de sportives, leurs dos invitaient à la contemplation. Des épaules bronzées sur des caracos multicolores, quelques taches de rousseur, des cheveux attachés en queue de cheval venaient compléter cette vision idyllique ! Bref des beautés, une rousse, une presque brune et une antillaise avec des tresses qui dansaient sur ses épaules.

Tout ému, j’ai quitté ces trois vahinés en essayant de photographier des éléments caractéristiques pour reconnaître le trio après mon passage par le vestiaire des messieurs. Comme tu le sais, ce passage est pour moi difficile car j’ai l’impression que tout le monde me dévisage ou observe mon corps squelettique et mon crâne chauve, à la Yul Brynner. Je croise souvent des regards inquiets, s’interrogeant qu’un homme, en mauvaise santé évidente, se baigne à la piscine. J’ai enfilé mon maillot, que maman m’a offert aux dernières étrennes, j’ai mis mon bonnet de bain verdâtre et je me suis mis en recherche des trois gazelles.

Les choses se sont compliquées. Pas tant du fait de la taille de la piscine, il n’y a que trois bassins, un grand, un moyen et une pataugeoire, mais plutôt du fait que je ne vais JAMAIS me baigner AVEC mes lunettes, qui me font la tête de E.T . Sans lunettes, j’ai du mal à reconnaître ma mère à deux mètres (mon psy m’a dit que mon rapport à la maternité était flou, tu le crois ? ). En même temps, ce n’est pas ma mère que je cherchais mais trois émanations divines, un peau claire, une peau bronzée et une entre-deux, une rousse, une antillaise et une presque brune….. Ma crainte était de ne pas de les reconnaître avec les éléments que ma mémoire photographique avaient engrangés : la jupe trapèze, les caracos, les baskets de couleur, tout cela gisait maintenant dans un casier de piscine. Les sirènes avaient revêtu leur maillot de bain. A la réflexion, mon meilleur espoir pour les retrouver résidait dans la rousseur de l’une et dans les tresses africaines de l’autre, la troisième n’ayant pas de signes distinctifs. Si jamais ces filles rejoignaient des copains et n’étaient plus des triplettes, alors c’en était fini de moi. Jamais je ne les retrouverai dans le flou qui était le mien en l’absence de binocles. D’autant plus que je n’avais pas l’après-midi pour les retrouver, « les sirènes », j’embauchai à mon boulot de projectionniste au cinéma du quartier dans deux heures. Deux petites heures pour trouver et admirer le Graal, toucher le firmament des étoiles. 120 minutes… je t’épargne les secondes….

Afin de ne pas attirer l’attention en errant autour du bassin, j’ai commencé à faire mes longueurs habituelles : dos, crawl, brasse, papillon…. Le moyen bassin était envahi de gosses braillards et la pataugeoire était plus blindée que le métro aux heures de pointe : canicule sur Paris, le monde s’était précipité à la piscine pour essayer d’échapper à la torpeur ambiante !! Après quatre séries, simulant la fatigue, je me suis allongé sur un transat tout près des plongeoirs (je crois avoir fait peur à une mamie qui m’a laissé sa place, mon squelette et à ma tête d’extra-terrestre lui ont fait pitié, et j’ai fait semblant de dormir en ronflant légèrement)

Le mieux , me suis-je dis, est de ne pas bouger, car je risquais de les louper. En restant immobile, je fis le rapide calcul que, statistiquement, elles devaient me passer au moins une fois devant le nez, bien que je voyais flou au delà du dit -nez .

Dans le brouillard dû aux éclaboussures et à mon absence de lunettes, je me suis pris une inhalation de chlore et aussitôt après j’ai repéré la jolie métisse, à sa crinière tressée. J’ai crié victoire intérieurement, l’attente n’avait pas été longue. Je souriais aux anges, comme Hannibal le Cannibale quand il suit son déjeuner….tu vois la scène…
Une espèce de boule de feu rouge était près de mon ange antillais et criait « LOLA, viens on va au plongeoir du haut, tu sais, le tremplin ! »

Je me réjouis de les avoir retrouvées et d’apprendre qu’une des trois Grâces s’appelait Lola, un des mes prénoms préférés, Lola, Dolly, Dolorès, Lolita…. L’emballage de la métisse était formidable : un maillot blanc et noir,fabuleux, difficile de voir s’il s’agissait de carreaux vichy ou d’un maillot zébré. Le corps juvénile en extension, les reins cambrés, le plongeoir (un tremplin nommé désir ?), un saut de carpe aérien et l’immersion inéluctable dans l’eau, splendide et silencieuse, un splash émouvant, une tête gracieuse émergeant trois mètres plus loin. L’apparition fut suivie d’un autre plongeon, de la rousse, puis celui légèrement en retard de la presque brune en maillot de bain jaune tournesol. « Active Rachel!  » a lancé la métisse. « Rachel » ne me plaisait pas, niveau sonorité et je l’ai donc rebaptisée illico presto « Raquel », comme Raquel Welsh dans « La bande à César », un film que j’aime beaucoup. Le maillot deux pièces était de la bonne couleur, jaune tournesol, la presque brune, dans le flou où j’étais, se révèlait comme dans une papillotte sortant de sa chrysalide (enfin je veux dire un papillon sortant de sa chrysalide, je suis encore très ému, tu le comprendras).

C’est à ce moment là je crois que je suis passé dans la troisième dimension. D’un coup, j’ai eu l’impression de voir nettement alors que j’étais toujours sans lunettes. As tu déjà eu ce genre d’expérience, cher Woody ? Les fées plongaient dans l’eau, remontaient sur le parapet opposé, quelles chutes de rein, des mollets FABULEUX , des seins tressautants, dégoulinants ! Te rappelles-tu Ursula Andress dans « James Bond contre docteur No »?

Je sais bien que c’est ABSOLUMENT impossible que j’ai vu autre chose que de vagues taches de couleurs de trois corps avec des maillots multicolores. J’ai 2/10 à l’oeil droit et 1/10 à l’oeil gauche. Je suis génétiquement handicapé du côté gauche. Il est scientifiquement impossible de voir ce que j’ai vu : un bal de sirènes dans l’eau bleu lagon. Les filles s’interpellaient par leurs prénoms dans la surenchère de leurs ébats : Rachel-Raquel, Lola- Lolita et enfin la dernière Romane (tu auras compris que je rebaptisai celle là Romy, avec un moment d’intense tendresse pour ma Romy éternelle se faisant masser par Alain, au bord là aussi d’une piscine).

Je ne tenais plus, je sentais des gouttes de transpiration me dégouliner sur le front. Une chose m’a alors semblé bizarre, leurs corps étaient nets à mes yeux, ce qui ne m’était pas arrivé depuis des siècles mais je n’arrivais pas à observer leurs visages, voir si ceux-ci étaient raccord avec leur carnation de déesses ou de si charmants épaules, ventres et jambes étaient surmontés d’insipides visages.

N’y tenant plus, je dérogeai à ma sacro-sainte règle de ne jamais mettre mes lunettes à la piscine. Je partis à tâtons au vestiaire les chercher. De retour, je me réinstallai, inquiet de les avoir perdues de vue cinq minutes, mais les sirènes étaient toujours là et s’amusaient maintenant à sauter en se tenant la main et en faisant la figure la plus acrobatique possible. Je crois que le maître nageur était également sous le charme car il n’a pas sifflé comme il le fait d’habitude quand des enfants de 8 ans font la même chose.

Avec mes lunettes, la magie de tout à l’heure semblait atténuée, le maillot de la métisse était finalement à pois, celui de Raquel était plus orange que jaune tournesol.

Bizarrement, les visages étaient toujours hors de ma portée même si les corps avaient pris une consistance réelle. Soudain, je me suis mis à trembler comme une feuille, Romy, la brune s’approchait de moi en brasse chaloupée. Avait-elle remarqué mon examen et mon admiration ? J’imaginai prendre la fuite mais il était trop tard. Elle appuya ses coudes, sortit le buste de l’eau et m’adressa la parole : « Vous êtes bien près de bord , monsieur, on ne vous éclabousse pas trop ? »
L’essentiel n’est pas dans ces mots, cher Woody , mais dans le gros plan qui m’a achevé : Ma petite sirène venait de se transformer en Requin (Celui de James Bond pas celui des « dents de la mer » )

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Réponds- moi cher Woody ! t’es t il déjà arrivé une expérience semblable ? Depuis cet après midi je cherche en vain l’apaisement !

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Ton Samuel qui t’admire.

Les mots collectés par Asphodèle : j’ai mis les mots de la liste 2 (sauf Balthazar) et 10 mots de la 1.

LISTE N° 1 :  19 + 3 = 22 mots.

Insomnie, torpeur, flocon, inéluctable, agapes, fuite, cheminée, démesure, verdâtre, orange, mantille, victoire, illumination, attente, invitation, emballer,  courage, chauffage, réussite, enfant, parole, quartier, quintessence, quelconque.

LISTE N°2 : 19 mots + 3 = 22 mots.

Fatigue, ronfler, étoile, cannibale, balthazar, réflexion, emballage, crainte, papillote, caraco, se réjouir, émerveillement, désir, étrennes, apaisement, inhalation, examen, maternité, mot, quartier, quintessence, quelconque.

33 réflexions au sujet de « Les sirènes et le requin »

  1. Très original. Cher binoclard aquacinéphile, moi qui suis aussi un peu tout ça, je citerai la Truffe (de circonstance en ces temps de foie gras) « Les jambes de femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie. » Extrait bien sûr de L’homme qui aimait les femmes (je suis un peu tout ça aussi…):)
    Ecoute-moi: Bises findannesques et à très bientôt, chère Val. 😀

  2. Un peu ennuyeux de ne pas porter ses lunettes à la piscine mais ça laisse une place à l’imagination. D’un coup tu as jeté en pâture les Raquel, Lolita ou Romy et d’avoir ces visions là au bord de la piscine n’est pas sans incidence.
    Joli texte qu’on a envie de poursuivre jusqu’au bout.
    Et quelle culture cinématographique des sisties, seventies.

  3. Tu as de la chance, je ne l’ai pas lu l’été dernier, tu as dû le publier quand j’étais en pause (ou ailleurs 😆 ) mais c’est une réussite ! On ne s’ennuie pas une seconde, les portraits sont bien croqués et cet homme qui devrait faire pitié reste attendrissant ! La petite note fantastique qui t’est chère est là aussi, c’est parfait ! 😀 Bises Val et Joyeux Noël (pas aux Antilles hélas mais vu le réchauffement climatique on va remplacer les sapins par des palmiers si ça continue et on ira chercher la neige aux Pôles…) Ha : je n’ai pas vu les mots imposés, ils se fondent à merveille ! 😉

      • C’est comme les Noëls que j’ai passés en Calédonie, en paréo, on prenait le bateau, direction un îlot désert, langoustes, champagne et on dansait toute la nuit ! Pas besoin de tout le tralala commercial… Cela dit maintenant j’aimerais passer un VRAI Noël blanc avec neige dans un chalet… feu de cheminée, pas de téléphone (un ordi quand même) et plein de liiiivres, liiiire toute la journée (appeler un traiteur pour la cuisine) les goûts changent ! 😉 Je vais jouer au Loto demain ! 😀

  4. Excellente histoire que j’ai lue d’une traite en haletant comme une jument !
    Truffée de références ciné que j’adore en plus ! Ah…Romy et Delon au bord de la Piscine…j’ai chaud soudain! 😉
    Bonnes fêtes !

  5. Que j’ai ri, merci Samuel d’avoir oublié tes lunettes, c’était beau, avant, c’était bien, un peu de brouillard ne nuit pas, et puis la petite phrase qui tue, « « Vous êtes bien près de bord , monsieur, on ne vous éclabousse pas trop ? » c’est le Monsieur, qui fait comprendre que là, on n’est plus tout jeune,

  6. Superbe histoire pleine de péripéties, de très jolies tournures de phrases et de belles trouvailles comme Hannibal et les jambes qui jacassent par propriétaires interposées

  7. Jubilatoire ! 😀 Mais pourquoi n’as-tu pas pensé à mettre des lentilles et à te munir de lunettes de plongée ? J’ai beaucoup aimé les références à ces films cultes qui nous ont tant fait fantasmer ..
    Attention, pas pour les mêmes raisons : Yul Brenner, Sean Connery et Marlon Brando me faisaient bien plus d’effets que ces Raquel, Ursula et autres sirènes hollywoodiennes ! Elles m’énervaient même et je ne sais pas pourquoi !!! 😀
    Bravo.

  8. Cher Samuel,
    J’espere que depuis cet épisode, tu es remis. As tu reçu une reponse de Woody. Il a bien du , comme moi, s’amuser en lisant ton aventure avec ces trois nymphettes.
    Merci pour ce bon moment de chaleur à la piscine.

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