Le premier chapitre est raconté par une pieuvre. Celle ci narre sa vie en Tasmanie, en particulier son rapport à ses sens, elle voit-goûte-touche la mer et son environnement. Après une rencontre avec une voiture, elle survit et retourne à la mer.
La suite est racontée par Lucy, la trentaine. Lucy a eu un cancer du sein et subit une double mastectomie. Elle est en rémission et a accepté une reconstruction de la poitrine. Originaire de Sidney, elle vit en couple avec Jem, pêcheur local d’Ormeaux.
Sans en dire plus sur l’histoire, j’ai beaucoup aimé.
Tout d’ailleurs : l’histoire (intéressante sans être mièvre), les personnages (Lucy, Jem, Harry, Flo la Tassie ainsi qu’une tatoueuse qui aura une importance capitale dans la reconstruction (physique et morale) de Lucy. Les anecdotes sonnent vraies (je pense à plusieurs séances de tricot et à la psy de Lucy). La nature est encore sauvage (la pieuvre est une narratrice mais il y a aussi un jeune phoque qui « prend la parole » plusieurs fois)
Alors j’ai quitté à regret la Tasmanie, les embruns, les puffins, Lucy et les autres….
Beaucoup d’émotions, des sourires, des frissons… bref un régal…
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Extraits :
Et c’est ainsi que ce soir-là j’ai enfilé un pull en laine et, à défaut de bottes en caoutchouc, ma combinaison de surf repliée à la taille. J’ai noué les bras de néoprène autour de moi comme un tablier, ai lancé à Jem «A plus!» et je suis sortie tranquillement, le laissant affalé devant la télé. Je me suis arrêtée à la porte pour enfiler mes Crocs et je me suis mise en marche à pas lourds sur le bord de la route qui part au nord en direction de Eaglehawk Bay, alors que le disque presque plein de la lune gibbeuse frôlait l’horizon du sud-est et s’élevait dans le ciel. Je suis arrivée pile au bon moment: lorsque j’ai rejoint Flo et Poppy au bord de l’eau, le crépuscule tournait au bleu marine et les étoiles étaient en train de s’allumer. En me voyant elles ont souri tout grand, leurs yeux et leurs dents reflétant la lumière nacrée. A la bonne heure! a dit Flo, et je lui ai répondu d’un sourire.
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Je me propulse je m’enroule je tourbillonne et la surface approche et je touche-vois la clarté des étoiles qui frôle ma peau. Mes tentacules dessinent des traces sur le sable et je regarde les minuscules poissons les puces de mer s’éparpiller dans l’eau qui balance et soupire autour de moi. Mes tentacules s’enroulent tourbillonnent se rassemblent se bouclent sur le sable et le limon tandis que je me propulse je tourbillonne je … Un oursin ! Je touche-goûte le venin de ses épines qui me piquent et j’ai mal je me propulse plus loin loin loin. Un tourbillon de bulles lave ma peau et je m’enroule me déroule je m’enroule me déroule et tout en tourbillonnant je me souviens de la chair onctueuse sucrée corsée dans mon bec. Je me souviens que tapie dans un herbier d’algues onduleuses j’ai guetté une langouste dressée au-dessus d’un oursin qui l’a retourné de ses pinces. Une fois retourné ses épines étaient plus petites plus souples et j’ai vu que sa bouche était faible et pénétrable j’ai regardé la langouste tirer la chair par le trou et une brume de filaments est sortie en volutes dans l’eau et m’a frôlée je l’ai touchée-goûtée j’en voulais. J’ai ondulé lentement hors des herbes jusqu’aux rochers au-dessus de la langouste j’ai ouvert tout grand mon manteau et je l’ai laissé retomber sur elle je l’ai tirée en moi je l’ai engloutie et elle se secouait se contractait se débattait dans mes bras et je l’ai tenue et tenue encore j’ai senti le goût de sa panique de sa confusion de sa défaite jusqu’à ce qu’elle s’immobilise. J’ai d’abord pensé serrer la langouste broyer son armure dans mon bec mais dans ses pinces le goût-couleur-odeur de l’oursin était si sucré si corsé. J’ai abandonné la langouste qui s’est précipitée sous l’avancée rocheuse je me suis introduite dans la bouche de l’oursin du bout de mon tentacule recourbé j’ai sorti une lame de chair et je l’ai pressée contre mon bec c’était onctueux un délice. |