Les lance-flammes – Rachel Kushner

Hasard de lecture, je lis ce roman juste derrière « John l’enfer » qui se déroulait en 1977 à New-york. Pour celui ci,  c’est la même date et New-York est un lieu important dans ce roman (ainsi que le Nevada et l’Italie).

Au départ on suit deux histoires en parallèle : D’un côté, un italien nommé Valera en 1912, de l’autre USA – Nevada 1977- avec un début sur les chapeaux de roues : Une jeune femme artiste (photographie et cinéma) participe à une course de vitesse dans le désert du Nevada : 238 km/heure, la moto part dans le décor ….suspense… on repart en Italie dans les années 30…

On se doute rapidement que les histoires vont se rejoindre : L’italien de 1917 a pour nom de famille Valera et est passionné de moto (il est dans l’armée dans une section de motocyclistes) et la jeune femme a une moto Valera et un ami qui s’appelle Valera également.

Finalement, l’histoire qui a lieu en 1977 prend assez vite le pas sur l’autre histoire «italienne » qui se déroule par  » bond  » entre les années :  1912,1917,1939, 1950…

On finit par « suivre » seulement Reno (surnom de la jeune femme qui est originaire du Nevada),  elle vient de finir ses études et se rend à New-York dans le but de devenir une artiste reconnue : elle a 21 ans, plein d’illusions et devient rapidement amoureuse de Sandro (Valera), un artiste célèbre d’une quarantaine d’années.

Le milieu de l’art à New-York dans les années 70 m’a à la fois plu et semblé bien vain : être original à tout prix, s’étourdir dans des fêtes,….
Les personnages secondaires m’ont également intéressée (surtout Ronnie Fontaine, l’ami de Sandro : sympathique, ambigu, jeune homme issu d’un milieu pauvre qui se retrouve célèbre du jour au lendemain grâce à son art)

Sandro et Reno partent quelques jours en Italie dans la famille de celui ci : une révélation pour Reno …la confrontation avec la violence dans l’Italie des années 1970 et la prise de conscience de la différence entre les classes sociales.

En conclusion : le portrait passionnant de l’évolution d’une jeune femme (durant deux ans, de 21 à 23 ans) même j’ai trouvé quelques longueurs cependant sur la vie « artistique et nocturne dans le New York de la fin des années 70. »

 

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Un extrait :

On lançait la grenade, elle explosait là où elle avait atterri alors que l’on était déjà loin. On ne la lançait pas en courant désespérément pour se mettre à l’abri, mais en roulant virement, droit devant, main sur l’accélérateur de sa moto Pope dorée – vroum et boum. Boum.
De tout le bataillon d’assaut, les opérateurs de lance-flammes avec leur double réservoir et leur masque à gaz étaient les figurines préférées de Sandro. Les pulls en amiante, les pantalons bouffants et les gants à manchette dont on pouvait les revêtir pour qu’ils ne soient pas carbonisés en mettant le feu à une forêt. Une forêt, un bunker ou un nid de mitrailleuses ennemies, cela dépendait. Les camions d’une voie de ravitaillement ou un tas de corps empilés, cela dépendait.
Les lance-flammes donnaient l’impression d’être d’un autre siècle, à la fois brutaux, antiques et horriblement modernes. L’huile inflammable contenue dans les réservoirs que transportaient les opérateurs était composée de cinq mesures d’huile légère de houille et d’une mesure de pétrole, et les opérateurs disposaient d’un petit bidon de dioxyde de carbone, d’un allumeur automatique et d’allumeurs de rechange dans une giberne accrochée à la ceinture. Le lance-flammes ne servait absolument jamais d’arme défensive. C’était une arme offensive pure, pour se rendre maître des lignes ennemies. L’opérateur s’engouffrait, créature imposante avec ses gros réservoirs sur le dos et à la main, un tuyau géant relié aux réservoirs. C’était un messager de mort. Il ressemblait à la Faucheuse, avec sa capuche en amiante au large col, et pulvérisait du feu liquide à une distance incroyable – cinquante mètres – dans les casemates et les tranchées de l’ennemi qui n’avait aucune chance de s’en sortir.
A en croire son père pourtant, les opérateurs de lance-flammes était une bande de nuls. Leurs lourds et encombrants réservoirs faisaient d’eux des cibles faciles et lentes, et on ne faisait pas de quartier s’ils étaient capturés. On n’aspire pas à ce genre de choses, disait son père, ce qui n’avait pas empêché Sandro de continuer à préférer les opérateurs de lance-flammes, à leur réserver une fascination particulière, avec leurs sinistres costumes d’amiante à capuche et leur long tuyau malfaisant qu’ils pointaient sur les ennemis qui leur faisaient obstacle. Mais Sandro ignorait si son intérêt était une forme de déférence ou de pitié.
Roberto qui criait: « Kaiserschlacht ! » en versant de l’essence sur ses figurines en papier.
Sandro, huit ans, le visage humide de larmes qui répondait : « pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi Kaiserschlacht ?»
Parce que, avait dit Roberto, la moitié d’entre sont morts dans l’offensive et les autres ont dû être exécutés pour pillage. Tu ne sais donc pas ce qui s’est passé ? C’est la retraite de l’Isonzo au Piave, après une attaque aux gaz toxiques par les sections d’assaut allemandes. Si tu veux jouer aux Arditi, il faut le faire correctement, en respectant le déroulement réel des batailles.

 

Le mois américain est Chez Titine. (Le thème du jour est « un roman féministe ou écrit par une femme »)