C’est le 18 septembre 1973, jour anniversaire de l’indépendance du Chili, que la Quinta Rueda devait publier une édition spéciale où figurerait, dans les pages centrales et en gros caractères, le poème primé. Une semaine avant cette date brûlante, Mario Jimenez rêva que le « Portrait au crayon de Pablo Neftali Jimenez González » remportait la couronne et que Pablo Neruda en personne lui remettait la fleur naturelle et le chèque. Ce Nirvana fut troublé par des coups furieux frappés à la fenêtre. Il alla à tâtons jusqu’à celle-ci en proférant des malédictions, l’ouvrit et découvrit le postier, enveloppé dans un poncho, qui lui tendit d’un geste brusque sa petite radio d’où sortait une marche militaire allemande connue, Alte Kameraden. Ses yeux tombaient comme deux brebis tristes perdues dans la grisaille de la neige. Sans dire un mot, le visage impassible, il fit tourner la molette de l’appareil : sur toutes les chaînes retentissait la même musique martiale, timbales, trompettes, trombones et cors passés à la moulinette du petit haut-parleur.
Une ardente patiente – Antonio Skarmeta