LC avec Edualc (merci pour ce très bon choix)
Hongrie – 1920-1930
Béla commence à nous raconter son histoire dès son plus jeune âge. Quelle tristesse que cette enfance qui n’en est pas une, dans la campagne de Hongrie. Sa mère le laisse aux « mauvais soins d’une mégère ». Fille mère, elle n’a pas les moyens d’élever son fils et elle travaille comme nourrice en ville. Il n’est pas seul, huit enfants sans père sont avec lui chez Tante Rozika, dans un taudis avec de la paille souillée pour seul matelas.
Mais quelle obstination a ce Béla : pour ne pas mourir de faim, pour apprendre malgré tout à l’école, quitte à y aller en hiver les pieds entourés de journaux faute de chaussures. Au début j’ai eu peur que l’atmosphère soit pesante (un peu à la David Copperfield ) et puis non, pas de misérabilisme dans ce livre…
La première partie nous raconte son enfance de 6 à 14 ans : son perpétuel combat, bien peu d’affection (un peu de son instituteur et de la mère d’un des ses «camarades»).
A 14 ans, pour avoir tenté de voler des souliers, il se trouve dans l’obligation de quitter son village natal et rejoint sa mère à Budapest. Il vit dans un taudis, à 4 heures de marche à pied d’un hôtel où il arrive à se faire embaucher comme apprenti : nourri mais non payé.
Il tombe dans une misère qui n’a rien à envier à la précédente.
Cependant, à force d’acharnement, il arrive à monter dans l’échelle sociale de l’hôtel, il passe d’apprenti groom à apprenti groom de nuit… il se croit un moment ami des puissants, et devient esclave de sa sensualité…
En dehors de la vie dans cet hôtel où il observe, apprend (parfois à ses dépens) il vit également une parenthèse « heureuse » avec sa mère et son père, marin, qui revient après des années d’absence.
Il a un ami, Elemer, qui l’écoute et lui fait lire des manifestes : Karl Marx… il rencontre une jeune fille, américaine qui lui donne envie de partir aux USA : le fameux rêve américain vu depuis la misère hongroise …
Un roman d’apprentissage passionnant…
Un extrait
C’est la dernière fois que je vis mon maître. Six mois plus tard, sa sœur mourut et il devint de plus en plus impossible. En fin de compte, il y eut une enquête, on le reconnut coupable de menées politiques, il fut révoqué avec suppression immédiate de toute pension. Quand je revins au village, bien peu de gens se souvenaient de lui. On contait encore ses escapades, comme l’aventure de la comtesse ; mais ses propres élèves avaient perdu la mémoire de sa science étonnante et de ses dons exceptionnels d’éducateur. Il devint un héros des histoires de bonnes femmes ; mais sa vraie personnalité était tombée dans l’oubli.
Le nouvel instituteur avait eu du succès. Les notables l’appréciaient avec enthousiasme ; les paysans n’en étaient pas fous, mais ils lui tiraient leur chapeau et admettaient que c’était un brave homme. Il s’acquittait de sa tâche de façon exemplaire ; il ne buvait pas, ne jouait pas ; et si, d’aventure, ses yeux s’égaraient, c’était à la grande joie de toutes les mères de filles à marier. « Il serait de bonne prise. », disaient-elles, non sans raison. C’était un jeune homme travailleur, bien élevé, sans prétention, il venait d’une famille connue de tous. Il était parent d’un conseiller municipal de Budapest, homme de droite, et, comme lui, un de ces hongrois cent pour cent d’origine allemande. C’est ce cousin qui l’ avait fait nommer au village ; et, par un accord tacite, il était convenu que le jeune homme ne resterait pas longtemps dans ce hameau perdu, mais serait transféré à Budapest dès que l’ambitieux conseiller municipal serait devenu ministre de L’Education.
Le nouvel instituteur supprima tout de suite les « causeries de l’après-midi » et ne s’inquiéta guère de savoir si les petits pauvres possédaient des souliers pour venir en classe. Pareille sensiblerie lui était inconnue. Sa mentalité et ses opinions étaient la copie exacte de celle du ministre royal de la Religion et de l’Education publique de Hongrie. Fidèle à sa race, il remplissait ses devoirs à l’allemande, avec précision, discipline et exactitude. En accord avec les lois, édits et règlements en vigueur, il enseignait avec conscience les matières prescrites ; et avec la même conscience, il fermait les yeux sur ce qui était en dehors du programme. Il était le genre d’homme que sa notice nécrologique décrirait comme « un pédagogue exemplaire et d’une moralité de bonne aloi ». C’est grâce à ses « pédagogues exemplaires » que se perpétuait l’ordre social en dépit des millions de petits paysans sans souliers.
Les villageois pensèrent, tout d’abord, que mon maître d’école avait accepté sa révocation d’un cœur léger. Il avait reçu l’ordre de quitter son logement le 1er septembre 1930 ; dans la nuit du 31 août, il fit une fête à tout casser. Le lendemain, le nouvel instituteur arriva pour prendre sa succession ; mais c’est en vain qu’il sonna à la porte. Il dut appeler les gendarmes qui firent ouvrir par un serrurier. On trouva mon maître sur son divan, au milieu de flaques de vin, de verres brisés et de bouteilles vides ; un filet de sang coulait de sa poitrine. Le médecin de la région, qui avait bu en sa compagnie jusqu’à cinq heures du matin, ne pouvait plus rien pour lui. Mon maître était un tireur excellent, il avait visé en plein cœur.
Challenge pavé de l’été chez Brize (835 pages)