Que lire un 16 juillet ?

On dit qu’à la sortie de la galerie San Antonio, un aveugle chantait : Madame, là où, comme ma mère dit qu’on le dit partout, l’eau et le vent disent qu’ils ont vu un guérillero.
On dit qu’un inspecteur de police et sa jeune adjointe furent les premiers arrivés au Joyeux Dragon.
On dit qu’à dix heures du matin les cinq jeunes serveuses portaient déjà leurs minijupes rouges et l’ex-sergent reconverti en maquereau balayait des restes de plâtre et regardait, ébahi, le trou creusé dans un angle de la salle, tout près du plafond.
On dit que quelques minutes plus tard arrivèrent d’autres inspecteurs de police avec des pelles et des pioches ; ils transportèrent le comptoir, la machine à café dans la galerie, et obligèrent les filles à sortir non sans s’être préalablement couvertes à cause du froid de juillet.
On dit que l’inspecteur reçut un appel urgent, des ordres venus d’en haut lui demandant de mettre les scellés sur les lieux du méfait et de ne rien toucher avant l’arrivée d’une autorité investie des pleins pouvoirs.
On dit que l’inspecteur traversa la galerie, entra dans la librairie Le Monde Diplomatique et demanda s’ils avaient un annuaire de la presse.
On dit que son adjointe appela sans tarder les journaux, les radios, les télévisions, et aussitôt, une mer de micros, de caméras, de lumières, de magnétophones, une multitude de stylos entrèrent en action à toute hâte.
On dit que quand les « huiles » arrivèrent, l’inspecteur lisait à haute voix le contenu d’un registre comptable. Il répétait des noms connus, mentionnait des chiffres alarmants.
On dit que le matin de ce 16 juillet, il avait cessé de pleuvoir sur Santiago.

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L’ombre de ce que nous avons été – Luis Sepulveda