Que lire un 10 juillet avant le coucher du soleil ?

Extrait du journal du garde-frontière Yrjö Luukkonen, Hoikkavaara, 1981

Vend.10 juil. 1981

À mon arrivée à la hutte à 18h20, j’ai accroché du papier tue-mouche au plafond. Des corbeaux étaient occupés à becqueter la charogne. Des coucous chantaient tout près ; j’ai pris quelques photos. Les corbeaux ont fini de manger vers 21 heures et, depuis, c’est le calme absolu. À 22h50, le soleil est déjà assez bas pour que les cimes des arbres du bord de l’étang rougeoient dans la lumière. À 23heures, je vois arriver un troll. Un grand mâle. Il s’approche lentement de la charogne, en s’arrêtant par moment pour écouter. Il se tient dans l’ombre des arbres et je ne parviens pas à le cadrer correctement. Puis il va droit à la carcasse en quelques bonds incroyablement rapides, arrache de la viande des côtes et la fourre aussitôt dans sa bouche. Il y a si peu de lumière que je n’essaie même pas de le photographier. Le troll s’occupe de détacher un gros morceau de la charogne, en cédant habilement des griffes de ses pattes de devant. Je décide de prendre quand même quelques clichés. Au premier bruit d’obturateur, l’animal se fige, et au deuxième il se redresse en sursaut. Il disparaît dans la forêt avec la pièce de viande, si vite que je n’obtiens que quelques photos floues. Je reste éveillé jusqu’à 4 heures du matin, mais le troll ne revient pas.

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Jamais avant le coucher du soleil – Johanna Sinisalo