Doc essayait désespérément de retrouver sa vie ancienne, vœu pitoyable de l’homme qui veut redevenir petit garçon, oubliant les douleurs de l’enfance. Doc tomba à genoux et, de sa main en forme de pelle, creusa un trou dans le sable mouillé. Il observa l’eau de mer qui y pénétrait et des petites falaises qui s’écroulaient aux bords du trou. Un crabe minuscule fila entre ses doigts. Derrière lui, une voix dit :
« Pourquoi creusez-vous ?
– Pour rien, dit Doc, sans se retourner.
– Il n’y a pas de coquillages ici.
– Je sais », dit Doc, et une de ses voix intérieures dit : « Je veux être seul. Je ne veux ni parler, ni expliquer, ni discuter. Il va falloir que j’écoute les vues de cet inconnu sur l’océanographie. Je ne me retourne pas. »
La voix derrière lui ajouta :
– « Il y a du métal dans l’eau. Il y a assez de magnésium dans un kilomètre-cube d’eau de mer pour recouvrir tout le pays.
– Me voilà frais, pensa Doc. On dirait que j’attire les raseurs.
– Je suis un prophète », il avoua.
Doc fit demi-tour toujours agenouillé.
– «D’accord, dit-il, moi aussi. Mais parlez toujours. »
C’était la première fois de sa vie qu’il était discourtois avec quelqu’un qu’il ne connaissait pas.
Ce quelqu’un était un grand personnage barbu avec le regard vif et innocent d’un bébé en bonne santé. Il portait une salopette en haillons, une chemise bleue qui tournait au blanc et il était pieds nus. Le chapeau de paille qu’il avait sur la tête était orné de deux trous, ce qui prouvait que le chapeau avait été la propriété d’un cheval avant d’être la sienne.
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Tendre jeudi – John Steinbeck