Un livre très émouvant en deux parties.
La première se passe en juin 1940 et nous raconte l’exode de parisiens devant l’armée allemande qui s’approche de Paris.
La description est minutieuse et passionnante : les personnes sont livrées à elle mêmes et essaient de se réfugier dans le Sud de la France : j’ai particulièrement aimé suivre le couple Michaud : ils travaillent dans une banque et leur patron leur propose de les emmener en voiture à Orléans où la banque déménage temporairement. Au dernier moment il partira avec sa maîtresse, laissant le couple se débrouiller (les trains circulent difficilement voire pas du tout dans la panique). En quelques jours, c’est la loi du plus fort qui s’instaure. L’auteure a un regard très ironique sur tous ces personnages : j’ai souri devant la métamorphose de Mme Pericand qui découvre que les préceptes de « bonne chrétienne » qu’elle a sont peu de choses quand il s’agit de nourrir ses enfants. On suit aussi d’autres personnages, parmi eux : un adolescent, fils de Mme Pericand, qui essaie de partir défendre son pays en pleine débâcle ; un soldat français blessé, fils des Michaud précédemment cités, qui se réfugie dans une ferme ; un écrivain imbu de sa personne…
La deuxième partie se passe un peu plus tard à la campagne dans un village Bussy.
L’occupation par les allemands est racontée au jour le jour : les habitants de ce petit village doivent s’accommoder des restrictions, des réquisitions et de la souffrance d’être séparés de leur maris, frères, pères prisonniers en Allemagne.
L’ennemi est effrayant mais au bout d’un certain temps de cohabitation une « certaine amitié » réussit à naître entre occupants et occupés. Lucille, mal mariée à un français qui est prisonnier de guerre en Allemagne, combat les sentiments qu’elle commence à ressentir vis-à-vis du commandant Bruno von Falk. Cet officier réside dans la maison qu’elle partage avec sa belle-mère : l’ennemi côtoyé finit par devenir « proche » malgré tout. Dans cette campagne, entre collaboration et début de résistance, les français doivent prendre des décisions difficiles.
Un livre à la fois très émouvant et très caustique….
Un livre d’autant plus impressionnant qu’il a été écrit en 1941-1942 et que l’auteure, russe d’origine juive, a été déportée en 1942 et est morte à Auschwitz. Ce livre regroupe deux volumes d’une suite qu’Irène Némirovsky avait prévu en 5 tomes.
Un extrait :
Une réquisition de chevaux avait été ordonnée par l’armée allemande : une jument valait alors dans les soixante, soixante-dix mille francs ; les Allemands payaient (promettaient de payer) la moitié de la somme. Le moment des grands travaux approchaient et les paysans demandaient amèrement au maire comment ils allaient se débrouiller :
– Avec nos bras, pas ?… Mais on vous dit une bonne chose, si on ne nous laisse pas travailler, c’est les villes qui crèveront de faim.
– Mais, mes bons amis, je n’y peux rien, moi ! murmurait le maire.
Les paysans avaient beau savoir qu’effectivement il n’y pouvait rien, ils s’en prenaient à lui dans le secret de leur cœur. « Il se débrouillera, lui, il s’arrangera, on n’y touchera point à ses chevaux de malheur ! ».
Tout allait mal. Depuis la veille, un vent d’orage soufflait. Les jardins était saturés de pluie ; la grêle avait ravagé les champs. Quand Bruno partit à cheval de la maison Angellier, au matin, pour se rendre à la ville voisine où devait avoir lieu la réquisition, il vit un paysage désolé, battu par l’averse. Les grands tilleuls du mail étaient secoués avec violence et ils gémissaient et craquaient comme des mâts de navire. Bruno, cependant, éprouvait un sentiment d’allégresse en galopant sur la route ; cet air froid, rude et pur lui rappelait celui de la Prusse–Orientale. Ah ! quand reverrait-il ces plaines, ces herbes pâles, ces marais, l’extraordinaire beauté des ciels de printemps… Les printemps tardifs des pays du Nord… ciel d’ ambre, nuages de nacre, joncs, roseaux, rares bouquets de bouleaux… Quand chasserait-il de nouveau le héron et le courlis ? Il croisa sur son chemin des chevaux et leurs conducteurs qui, de tous les villages, de tous les bourgs, de tous les domaines de la région se rendaient à la ville. « De bonnes bêtes, songea-t-il, mais mal soignées. » Les Français – tous les civils d’ailleurs – n’entendent rien aux chevaux. Il s’arrêta un instant pour les laisser passer. Ils zigzaguaient par petits groupes. Bruno examinait les bêtes d’un regard attentif ; il cherchait parmi elles celles qui conviendraient à la guerre. La plupart seraient envoyées en Allemagne pour les travaux des champs mais quelques-unes connaîtraient les charges furieuses dans les sables d’Afrique ou dans les houblonnières du Kent. Dieu seul savait où soufflerait désormais le vent de la guerre. Bruno se rappela les hennissements des chevaux effrayés dans Rouen en flammes.
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Suite française – Irène Némirovsky
Chez Madame Lit , le thème du mois est « roman historique ». Son avis sur Suite française
Le mois de l’est est organisé par Goran , Eva et Patrice