Vacherie de vacherie ! (je reprends l’expression favorite de Bérénice, la narratrice de ce livre)
Quel livre !
Bérénice est une petite fille au début du livre (huit ans à peu près) et à la fin du livre elle a une vingtaine d’années.
Elle vit au Canada sur l’île des sœurs avec son père, sa mère et son frère qui a deux ans de plus qu’elle. Les parents se détestent et se déchirent : Ils décident de se séparer et gardent chacun un des enfants. Le père Einberg est juif et élève sa fille dans la religion juive. La mère est catholique et veut élever le fils, Christian, dans sa religion à elle. Au début, j’ai cru que Bérénice était une sorte de petite sœur de Zazie (celle du métro) ; grande gueule, avec un franc-parler bien à elle et plutôt assez chipie.
En fait il n’en est rien : Bérénice est une petite fille qui souffre énormément des disputes continuelles de ses parents. Pour survivre à ce climat impossible et anxiogène, elle a une affection démesurée pour son frère Christian. Pauvre petite fille ! au début on est en totale empathie avec elle, écartelée entre son père et sa mère. Elle ne reçoit aucune tendresse, aucune attention si bien qu’un jour elle essaie de se laisser mourir. Elle survivra à cette maladie (forte fièvre) et la ressemblance avec Zazie s’arrête là. Bérénice, un peu après cette maladie, devient franchement antipathique : elle tue les chats de sa mère qu’elle dit détester, une page plus loin elle dit l’aimer. Elle en fait voir de toutes les couleurs à son entourage (entourage détestable de son père et sa mère, pas un pour rattraper l’autre, certes ils ont souffert pendant la guerre mais comme peut on torturer, psychologiquement, ainsi ses propres enfants). De rage, son père l’expédie chez son oncle, juif orthodoxe à New York pendant cinq ans. Son amie Constance la suit mais l’apaisement sera de courte durée.
Pendant cinq années, elle ne verra pas du tout son frère et lui écrira des lettres enflammées : l’aime-t-elle vraiment ce frère ou écrit elle ces lettres uniquement pour faire enrager son père qui lit tout son courrier ?
La petite fille espiègle et malheureuse du début du livre devient une adulte détestable et malheureuse qui se rend, contrainte et forcée par son père en Israël pour faire son service militaire. La petite fille a disparu, reste une jeune adulte perturbée qui accomplira l’indicible.
Au delà de l’histoire très prenante, l’écriture de Réjean Ducharme est somptueuse et très poétique (Roman paru en 1966 en France, Wiki me dit qu’il a été en lice pour le prix Goncourt)
* *
J’appelle Christian à ma rescousse. Entre-temps, j’ai pris un quotidien de Montréal (La Pressée) et j’ai parcouru les quelques colonnes des annonces classées spécialisées dans les chambres à louer.
– Christian, mon chéri, si notre amitié n’est pas qu’un mot, aide-moi à débarrasser ma v ie de ce fou furieux qu’est notre cher père !
– Non ! répond-il, imperceptiblement mais rigidement.
– Si tu es mon frère, véritablement, viens partager avec moi la misère dans laquelle je veux me réfugier pour échapper à l’impitoyable angoisse de ce fou furieux !
– Non ! répond-il, imperceptiblement mais rigidement.
– Nous louerons un meublé crasseux et truffé de cafards, dans un sous-sol, dans le quartier de Montréal où les pires taudis sont !
– Non ! répond-il, imperceptiblement mais rigidement.
– Je t’entretiendrai, comme dans les films français la péripatéticienne parisienne entretient son Jules. Tu verras ; je trouverai vite un emploi. J’ai la langue bien pendue, je suis débrouillarde et courageuse. Je sais danser. Je sais jouer du cor anglais, du clairon et du trombone. Je suis capable de donner des leçons de karaté. Pour augmenter mes revenus, j’apprendrai la dactylographie et la sténographie. Les pornographes s’arrachent les dactylographes qui sont sténographes ! Je parle toutes sortes de langues. J’ai un diplôme de mécanique ; entre cinq heures et sept heures, je réparerai des pneus crevés, huilerai des joints Cardan, remplacerai des bougies, changerai des balais, servirai de l’essence. Je travaillerai jour et nuit ; j’amènerai tant d’eau au moulin que tu pourras t’acheter une voiture sport européenne. Nous mettrons de l’argent de côté et, chaque année, nous ferons les touristes : nous irons à Cunaxa. A Cunaxa, nous courrons parmi les ruines de la défaite de Cyrus, nu-pieds et nu-jambes comme quand nous étions tous petits. Je nous vois à Cunaxa comme si j’y étais. Je nous vois nous baisser pour ramasser le fer qu’a perdu le cheval de Tissapherne quand il se mit à poursuivre les Dix Mille …
– Non ! répond-il, imperceptiblement mais rigidement.
Coucou du matin
Valentyne, je ne te suivrai pas dans cette lecture, sans doute ai-je tort 🙄
Cette petite « peste » me dérange 😉
Bonne fin de semaine et gros bisous
C’est un livre qui ne peut clairement pas plaire à tout le monde ….
Je comprends parfaitement tes réticences
Bisessss Soène
Voilà monsieur Google avait raison !
Je ne connais pas du tout ce livre et ce que tu dis de l’histoire ne me donne pas envie de le connaitre !
Bonne journée placée sous le signe du soleil.
Vive Mister Google 🙂
Belle journée ici aussi
Bisesss Philippe
Ça fait un moment que je veux lire Réjean Ducharme et ce que vous dites de ce roman pique ma curiosité. Je vais essayer de le trouver lors de mes prochaines excursions en librairie. Merci pour cette chronique 🙂
Une belle découverte pour ma part
Je vais me renseigner sur ses autres écrits
Bonne journée Textualités:-)
comment es-tu tombée sur ce livre-culte de la culture québécoise ? Réjean Ducharme qui vient de mourir (je crois) n’a publié que ce livre, un écrivain maudit, un peu comme son comparse Hubert Aquin qui en a publié plusieurs mais s’est suicidé vers 1977. Sur ces deux phares de la littérature québécoise, tu peux lire « ça va aller », le très éclairant pamphlet de Catherine Mavrikakis (une vraie grande auteure !)
Bonne journée
Hello Daniele
Je participe depuis plusieurs années au Mois Québécois où il y une foule de billets sur des livres qui me tentent…cela se passe chez Karine et Yueyin (liens dans le billet ci dessus)
Pour Catherine Mavrikakis j’ai beaucoup aimé Le ciel de Bay City https://lajumentverte.wordpress.com/2014/11/25/le-ciel-de-bay-city-catherine-mavrikakis/
Je n’ai pas relu cette auteur qui est absente de ma nouvelle bibliothèque municipale …
Bonne journée
Merci pour ce lien. Je croyais être une grande lectrice…mais je n’en reviens pas de voir tout ce qu’elles lisent ! J’ai aimé aussi le ciel de Bay city et tous les livres de Catherine Mavrikakis. En ce moment , je suis dans la constellation du lynx de Louis Hamelin sur les évènements d’octobre 1970 à Montréal. Un régal aussi.
Je ne suis pas québécoise mais ma fille vit à Montréal. Bonne journée
Danièle
Hello
Je vais aller me renseigner sur ce livre et les événements d’octobre 1970
Bonne journée 🙂
Je suis contente d’avoir un avis de lectrice car il est dans ma PAL audio, je le garde pour Quebec 2019 😉
Lire ce livre « avec les oreilles « doit être une sacrée expérience 🙂
Bonne journée Enna 🙂
Ce qui m’a marqué dans ton avis, c’est que normalement, si je me fie à ce dont je me souviens (je peux me tromper), j’avais cru comprendre que les juifs élevaient selon la religion de la mère et les chrétiens, selon celle du père, alors qu’ici, ils font le contraire.
Je ne suis pas au fait de ce qui ce passe en matière de religion et dans le livre je ne sais pas si il est dit comment sont « attribués » les deux enfants aux parents
Effectivement à un moment Bérénice évoque le fait que son père aurait préféré avoir un garçon mais c’est fréquent je crois qu’une fille ressente cela ….
Bonne journée Isallysun 🙂
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