Le chameau sauvage – Philippe Jaenada

Elle m’a demandé pourquoi je la suivais, j’ai répondu que je ne la suivais pas, que j’essayais simplement de me cacher, moi aussi.
– Ah, d’accord. Vous avez des ennuis avec la police ?
– Non. Enfin si.
Curieusement, la seconde réponse me paraissait plus honnête que la première. Je n’avais pas d’ennuis avec la police, dans l’absolu, mais je venais de passer vingt-quatre heures entre leurs pattes, et à présent je me tapissais dans l’ombre au cinquième étage d’un immeuble pour échapper à une voiture de patrouille (car nous étions là, tout à notre amour, à rire à gorge déployée comme deux amants complices, enivrés par le plaisir d’être ensemble et pris dans le tourbillon de la passion naissante, mais nous semblions oublier un peu vite que le shérif et ses hommes rôdaient dans les parages, le nez au vent et la main sur la crosse). De toute évidence, l’avenir ne s’annonçait pas rose – ou alors les flics sont vraiment faciles à berner, et les vaches bien mal gardées. (Bon, avec moi, les vaches et le citoyen ne risquent pas grand chose, mais les flics ne sont pas censés savoir que je suis un agneau pacifique. Comme le coiffeur, tiens. C’est vrai, en fin de compte, personne n’est censé savoir que je suis un agneau pacifique– j’espère que ça ne va pas me causer de problèmes.)
En tout cas, dans le grand steeple-chase initiatique de la vie, je commençais à trouver ma foulée : le mors aux dents, la tête et la corde, et vas-y mon grand. J’avais trébuché sur le premier oxer, mais j’avais vite retenu la leçon. Dès le deuxième obstacle, on remarquait des progrès notables : d’abord, à la différence de la première fois, j’avais réussi à échapper à la voiture de patrouille (je me trouvais donc « en cavale », avec tout le prestige et la saveur émoustillante que contiennent ces mots magiques dans la mythologie du gangster), et surtout, pour ce deuxième crime, j’étais bien mieux accompagné (n’importe quel gangster vous dira que même pour un forfait mineur (ce qui n’était pas mon cas, ne l’oublions pas), il est primordial de savoir choisir ses complices – c’est la base de tout, paraît-il ; or je me sentais plus à l’aise  avec cette jeune femme humide mais jolie qu’avec un petit marseillais bête comme ses pieds). Il s’agissait maintenant de ne pas relâcher ma vigilance, et peut-être même de savoir si ma complice n’avait pas envie qu’on se serre les coudes, pour mieux faire face.

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Le chameau sauvage – Philippe Jaenada