Impression d’un profane
Quiconque n’a jamais connu l’hippodrome de Vincennes un jour de Prix d’Amérique ignore ce qu’est un bain de foule.
Égaré dans cette cohue bariolée, bruissantes de mille froissements de journaux, pataugeant gaiement sous le crachin, guettant les augures électriques des tableaux d’affichage dans l’attente dont ne sais quel messie, on se prend à envier les paisibles pantouflards « télévisionnaires » ! Et pourtant… Pourtant, que le moins turfiste des non-turfistes nous pardonne, on ne peut pas ne pas vibrer avec les « fans » de la chose épique, quand, quelques secondes avant le départ à l’auto-start, un recueillement de cathédrale envahit les tribunes.
On ne peut pas se retenir de joindre aux milliers d’autres cris de déception un « Ha! » désolé quand le favori des favoris est soudain mis hors de course.
On ne peut pas s’empêcher de se hausser désespérément sur la pointe des pieds pour entrevoir » la Reine » Une de Mai.
On ne peut plus dévisser son regard des jumelles trop lourdes quand la petite troupe élégante des plus beaux trotteurs du monde devient soudain, à l’entrée de la ligne droite, meute puissante et soufflante, belle d’efforts contenus. Et Toscam le magnifique l’emporte avec brio sous les hurlements et des chapeaux s’envolent, et les applaudissements couvrent les annonces des haut-parleurs, et « Minou » Gougeon pleure de joie dans les bras de son frère dans les vestiaires surchauffés, et…C’est déjà fini.
Déjà !
Pierre Desproges – l’Aurore – 26 janvier 1970