– Ah, vous voilà ! Alors, c’est notre nouveau commis ? Ça tombe bien, on a encore du foin à rentrer.
Elle a de la voix, Berthe ; on a toujours l’impression qu’elle vous parle comme si vous étiez à l’autre bout d’un champ. Sans effort d’ailleurs, avec beaucoup de naturel. Et une belle voix.
– Oui, dit mon père. Il pourra vous donner un coup de main. Ça sent bon chez vous. Qu’est-ce que vous cuisinez comme ça ?
– Un ragoût de cochon. Si le cœur vous en dit, restez donc dîner.
– Non merci, il faut que je rentre.
– Vous prendrez bien un verre tout de même, dit Marceau.
– Oui, un petit verre, dit mon père qui, je le sais, redoute le cidre de Marceau, aigre, et qui monte vite à la tête.
Mais, évidemment, pas question de refuser.
Marceau tire une bouteille du garde-manger, la pose sur la table avec des verres, et il commence à parler de ses chevaux. On voit bien qu’il n’a plus que ça dans la tête. Si les Allemands les prennent, avec quoi il fera les foins ? Et il faudra bientôt labourer, à l’automne. Sans chevaux, tout est fichu !
– Il faudrait les cacher, dit mon père.
– Oui mais où ça ? Dans la ferme, je ne vois pas où. Un cheval, ça ne se cache pas comme un œuf. J’ai bien un bois, dans un coin perdu. J’y pense.
.
L’été américain – Jean Joubert