L’été américain – Jean Joubert

– Ah, vous voilà ! Alors, c’est notre nouveau commis ? Ça tombe bien, on a encore du foin à rentrer.

Elle a de la voix, Berthe ; on a toujours l’impression qu’elle vous parle comme si vous étiez à l’autre bout d’un champ. Sans effort d’ailleurs, avec beaucoup de naturel. Et une belle voix. 

– Oui, dit mon père. Il pourra vous donner un coup de main. Ça sent bon chez vous. Qu’est-ce que vous cuisinez comme ça ? 

– Un ragoût de cochon. Si le cœur vous en dit, restez donc dîner.

– Non merci, il faut que je rentre.

– Vous prendrez bien un verre tout de même, dit Marceau. 

– Oui, un petit verre, dit mon père qui, je le sais, redoute le cidre de Marceau, aigre, et qui monte vite à la tête. 

Mais, évidemment, pas question de refuser. 

Marceau tire une bouteille du garde-manger, la pose sur la table avec des verres, et il commence à parler de ses chevaux. On voit bien qu’il n’a plus que ça dans la tête. Si les Allemands les prennent, avec quoi il fera les foins ? Et il faudra bientôt labourer, à l’automne. Sans chevaux, tout est fichu !

– Il faudrait les cacher, dit mon père.

– Oui mais où ça ? Dans la ferme, je ne vois pas où. Un cheval, ça ne se cache pas comme un œuf. J’ai bien un bois, dans un coin perdu. J’y pense.

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L’été américain – Jean Joubert