Le Marin est mort noyé dans son champ, au milieu des barques qu’il avait retapées pendant des années sans jamais les remettre à l’eau. L’hiver avait été froid, la mer et les montagnes s’étaient recouvertes d’une brume blanche et bleue. Quand le redoux est arrivé, les ruisseaux ont grossi, le Prunelli et la Gravona sont sortis de leur lit, la Méditerranée a fait des vagues. Le mobil-home de Monsieur Colombani était posé sur une étendue herbeuse qu’une plage de gros sable et un torrent à sec encadraient. Des vaches et des chevaux paissaient au milieu des coques d’embarcations qui embaumaient la résine et la peinture fraîche. La mer est entrée dans le champ, tandis que la rivière se réveillait pour venir à sa rencontre. Le Marin ne savait pas nager, quelques bêtes sont mortes avec lui. Après son enterrement, j’ai appris qu’il n’avait jamais navigué. Il réparait des bateaux parce qu’il aimait travailler la fibre de verre et que l’odeur des enduits ranimait ses sens. S’il avait été capitaine un jour, c’était seulement d’une jonque chinoise dans le port de Saigon et parce qu’il avait fumé de l’opium.
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Le caillou – Sigolene Vinson