Etats- Unis de nos jours (1993-2013).
Délivrances – au pluriel. Le titre est très bien trouvé pour ce roman choral. Dans un récit aux chapitres qui se répondent les uns aux autres, l’auteur nous raconte la difficile enfance de Lula Ann, qui a eu le malheur de naître « très très noire » dans une famille où la mère et le père pouvaient paraître quasiment « blancs ». La mère cherchera à étouffer Lula Ann à la naissance, le père quittera le foyer familial à ce moment-là, persuadé de l’infidélité de sa femme.
Vingt ans plus tard, Lula Ann a réussi dans sa vie professionnelle ; elle est cadre dans une grande entreprise de cométiques, roule en jaguar, s’habille chez de grands couturiers, a changé de prénom et se fait appeler Bride « fiancée » . C’est un portrait très touchant de cette jeune femme qui est à la fois si sûre d’elle dans sa vie professionnelle et si désarmée dans sa vie privée. J’ai aimé aussi rencontrer et avoir la version de la délivrance des deux autres personnages : Sofia, l’institutrice que Lula Ann a contribué à envoyer en prison, et Booker le petit ami qui la quitte un jour sans crier gare. Bride va mener son enquête pour comprendre les raisons de cette fuite …pour finir par se retrouver : leur délivrance sera commune.
Un roman très dense, où on ressort plein d’espoir.
J’avais six ans et je n’avais encore jamais entendu les mots « négresse » ni « salope », mais la haine et la répugnance qu’ils contenaient se passaient de définition. Exactement comme par la suite, à l’école, quand on me soufflait ou me criait d’autres insultes, aux définitions mystérieuses mais au sens limpide. Noiraude. Topsy(1). Face de charbon. Sambo (2). Ooga booga. Ils faisaient des bruits de primates et se grattaient les côtes en imitant les singes du zoo. Ils me traitaient comme un phénomène de foire, étrange, salissant comme de l’encre renversée sur du papier blanc. Je ne me plaignais pas à l’institutrice pour cette même raison qu’avait eue Sweetness de me mettre en garde au sujet de M.Leigh : je pouvais être temporairement exclue, voire renvoyée. Donc je laissais les injures et les brimades circuler dans mes veines comme du poison, comme des virus mortels, sans antibiotiques à ma disposition. Ce qui, en fait, était une bonne chose maintenant que j’y pense, parce que j’ai développé une immunité tellement forte que la seule victoire qu’il me fallait remporter, c’était de ne plus être une « petite négresse ». Je suis devenue une beauté profondément ténébreuse qui n’a pas besoin de Botox pour avoir les lèvres faites pour être embrassées, ni de cure de bronzage pour dissimuler une pâleur de mort. Et je n’ai pas besoin de silicone dans le derrière. J’ai vendu mon élégante noirceur à tous ces fantômes de mon enfance et maintenant ils me la payent. Je dois admettre que forcer ces bourreaux – les vrais et d’autres comme eux – à baver d’envie quand ils me voient, c’est plus qu’une revanche. C’est la gloire.
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(1) Toute jeune esclave noire, dans le roman de Harriet Beecher Stowe, La case de l’oncle Tom (1852)
(2) Héros du livre pour enfants écrit par Helen Brodie Bannerman, Sambo le petit noir (1889)
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Livre recommandé par Emilie dans le cadre du « challenge 12 amis – 12 livres »
Chez Loupiot et chez son ami Tom, de La Voix du Livre et aussi ici
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Je connais l’auteur pour l’avoir rencontré sur les blogs, mais je n’ai jamais rien lu de lui.
Je ne connais pas ce titre, mais d’après ce que tu en dis, il pourrait me plaire.
Bon dimanche.
Je viens de le lire et de le présenter sur mon blog. Une auteure dont j’aime chaque livre. Et quelle belle écriture !
Bonsoir Denis 🙂
Je vais aller lire ton avis de suite …
Coucou Philippe 🙂
En fait il s’agit d’un pseudo ,
C’est une romancière
Tu me diras si tu lis ce roman ?
Bisesss
Je dois le lire celui-ci.
À suivre alors 🙂
Bonne soirée Lydia
Bises, Val !
💚
Il semble intéressant.
Oui il est court mais très « riche » en émotions …
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