Trouvez le titre et l’auteur -12 août

« Les bombes font fuir les touristes ». C’étaient surtout les membres de la nouvelle Coopérative et son président Paul Staggl, qui le disaient.
Le plus pauvre des camarades de classe d’Hermann, celui qui le rejoignait lui et Sepp Schwingshackl sur le chemin de l’école, était devenu un homme aux cheveux roux, aux paupières claires de reptile et à la voix rude, aux jambes solidement plantées au sol de celui qui ne doit son succès qu’à ses propres capacités. Le terrain escarpé et à l’ombre qui, pendant des générations, avait réduit sa famille à la misère, avait fait sa fortune. A la fin des années vingt, tandis qu’Hermann apprenait à conduire un camion en récompense de son adhésion au fascisme, le jeune Staggl avait installé sur son terrain une poulie rudimentaire. Les skieurs aventureux qui montaient vers les alpages dominant la petite ville, armés de skis très longs et de peaux de phoque, s’y accrochaient pour se faire transporter plus haut, économisant ainsi du temps et de la fatigue. Au début, la poulie était actionnée par le gros cheval de trait de son père, mais Paul gagna bientôt assez d’argent avec les remontées payées par les skieurs pour pouvoir s’offrir un générateur.
Quand son père mourut, durant ces troubles années trente où Hermann était d’abord devenu fasciste, puis nazi, Paul avait persuadé sa mère et ses deux sœurs encore non mariées de louer les chambres de leur maso aux skieurs qui utilisaient son modeste téléski.
Les sportifs allemands ne pouvaient pas rêver mieux que de se réveiller de bon matin au pied d’une piste, et en plus du bon côté des Alpes, celui exposé au sud. Bien vite, les affaires marchèrent si bien que Paul put investir dans l’agrandissement de la maison près du fenil.
La nouveauté la plus sensationnelle fut la création d’un vrai W.C, pas dans la cour mais, luxe inouï, à l’intérieur de l’habitation : il ne serait plus nécessaire de sortir à la belle étoile pour faire ses besoins pendant les nuits d’hiver. Paul invita tout le voisinage pour fêter son inauguration. Il se comporta de façon très généreuse : il montra non seulement aux voisins son Wasserklossett immaculé, mais il insista pour que les gens l’essaient. Et afin que tous, adultes et enfants, profitent bien de cette occasion exceptionnelle, il fit préparer par sa mère et ses sœurs de grandes quantités de Zwetschgenknödel – les canederli aux prunes, on sait qu’il n’y a rien de mieux pour stimuler la digestion.

Le Wasserklossett fut testé par les voisins plusieurs fois, sans que la canalisation se bouche. Ce fut une fête mémorable, dont on parla encore bien des années plus tard.

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