Madeleine remonte l’écharpe sur son nez. La voiture les dépasse. La bicyclette tangue à travers la nuée âcre. Des étendues sépia défilent sous le tintement continu de la sonnette. Champs cuivre, ciel jaune, arbres dorés. Sillons. Par un effet d’optique ils pivotent sur leur axe, et tournent comme un disque, semblables aux rayons de la bicyclette, sur cent quatre-vingt degrés.
À cause de ces sillons, il y a eu Anatole. Germain. Frédéric. Les après-midi dans la grange, les récits d’histoires réelles et rêvées, de baisers, de caresses pas permises qui réjouissaient le prêtre dans l’ombre du confessionnal.
….
À cause des milliers de sillons étirés jusqu’à l’horizon.
Sans eux, leur tristesse plate, Madeleine ne se serait pas attachée à Bérénice, la sourde-muette, à son morceau de solitude à l’autre bout de la commune au milieu de ces douze chats. Bérénice ne ressemble à personne. La petite maison qu’elle habite n’est pas une vraie maison. Les murs s’effondrent parmi les ronces, les mauvaises herbes, envahis de lierre, de lichen, de mousse. Une fois par an, la vieille y jette à toute volée des poignée de graines de pavot, qui éclosent d’un coup en fleurs palpitantes et rouges. On la voit souvent assise sur une pierre, au milieu du jardin en friche, les yeux dans les vagues, minérale sous sa blouse grise, sa peau grise, ses cheveux blancs. Les chats se frottent contre elle. Se glissent sous ses coudes, entre ses jambes, s’étirent sur ses genoux. Bérénice vit ici depuis soixante-dix ans. Son père ferrait les chevaux de ferme. On ne lui connait pas de mère, pas de frère, pas de sœur. Elle n’a pas de métier, pas de langue, même des signes, pas d’argent. Plus jeune, elle effrayait les habitants de Moermel, perchée jour et nuit dans les arbres, les mains serrées contre la bouche, hululant comme les oiseaux de proie. On l’appelait la Chouette. Il y a vingt ans son père est mort. Tout de suite, les habitants de Moermel ont nourri Bérénice. Elle trouve devant le portail le fruit de leur superstition : viande, légumes, biscuits selon les jours, des vêtements usagés, des images pieuses. Ils la croient sorcière, à cause des bustes qu’elle sculpte dans la terre et qui portent leurs noms, tracés à la pointe d’un couteau, alors qu’elle n’est jamais entrée dans une école.
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L’échappée – Valentine Goby
Tu lis beaucoup, Valentyne 😉
C’est bien ces citations, ça donne envie… ou pas 😆
Gros bisous d’O.
J’en déduis Soène que c’est « ou pas » pour cette fois ci ?
Bisesssss
Je viens de lire Banquises de Vaentine Goby, livre fort et puissant mais je n’ai pas du tout aimé son style…je vais peut-être le chroniquer. C’est drôle mais dans ton extrait, le style est assez différent…
Coucou Mind 🙂
Je n’ai pas lu d’autres livres de Valentine Goby, je ne peux donc pas te dire si celui ci est son « style habituel »
Il m’a beaucoup plu 🙂
Je note Banquise 🙂
Bises (pour la rime)
Et même banquises pour être exact qui va encore mieux avec rimes.
J’ai fait ma chronique, elle sortira je sais plus quand , mais il n’y a aucun extrait car je n’en noté aucun…
Bises
Coucou Mind
Je viendrai lire ta chronique . Je dois dire que l’auteure m’a séduite 🙂
Rebisesss
Splendide portrait de femme…
¸¸.•*¨*• ☆
Coucou Célestine
Un autre extrait de ce livre prévu en août 🙂
Bonne journée 🙂
Il a l’air magnifique ! Voilà une auteure notée depuis Kinderzimmer, l’Antilope Blanche, etc, et pas encore lue, shame ! 😀 Bisous Val 😉
Et ce que j’ai particulièrement aimé est la fin ou plutôt le fait que Valentine Goby imagine 3 fins différentes 🙂
Bisesssss Asphodele 💜💛💚💙
Comme je n’ai pas du tout aimé son style dans Kinderzimmer, je pense que je lirai plus rien de VG !
Le sujet de Kinderzimmer m’impressionne trop pour que je le lise
Ceci dit, j’ai bien aimé le style de ce livre « l’échappée »
Bonne journée Philippe 🙂