L’orthophonie est un art qui mérite d’être connu. Vous n’imaginez pas la gymnastique effectué machinalement par votre langue pour produire tous les sons du français. Pour l’instant je bute sur le « L », piteux rédacteur en chef qui ne sait plus articulé le nom de son propre journal. Les jours fastes, entre deux quintes de toux, je trouve le souffle et l’énergie pour sonoriser quelques phonèmes. Pour mon anniversaire, Sandrine a réussi à me faire prononcer l’alphabet de façon intelligible. On ne pouvait me faire de plus beau cadeau. J’ai entendu les vingt-six lettres arrachées au néant par une voix rauque venue du fond des âges. Cet exténuant exercice m’a donné l’impression d’être un homme des cavernes en train de découvrir le langage. Le téléphone interrompt parfois nos travaux. Je profite de Sandrine pour avoir quelques proches en ligne et saisir au vol des bribes de vie, comme on attrape un papillon. Ma fille Céleste raconte ses cavalcades à dos de poney. Dans cinq mois, on va fêter ses neuf ans. Mon père explique ses difficultés à tenir sur ses jambes. Il traverse vaillamment sa quatre-vingt-treizième année. Ce sont les deux maillons extrêmes de la chaîne d’amour qui m’entoure et ne protège. Je me demande souvent quels effets ont ce dialogue à sens unique sur mes interlocuteurs. Moi, ils me bouleversent. A ces tendres appels, comme j’aimerais ne pas opposer mon seul silence. Certains le trouvent d’ailleurs insupportable. La douce Florence ne me parle pas si je n’ai au préalable respiré bruyamment dans le combiné que Sandrine colle à mon oreille « Jean-Do, êtes-vous là ? » s’inquiète Florence au bout du fil.
Je dois dire que par moments je ne sais plus très bien.
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Le scaphandre et le papillon – Jean -Dominique Bauby