John Banville – La lumière des étoiles mortes

Ma passion pour Mme Gray allait-elle, en tout cas au début plus loin que la conviction exacerbée et classique chez nous tous à cet âge que les familles de nos amis étaient autrement plus agréables, gracieuses et intéressantes – en deux mots, plus désirables – que la nôtre ?
Billy avait une famille, lui au moins, alors que j’étais seul avec ma veuve de mère. Elle tenait une pension pour représentants de commerce et autres voyageurs qui, tels des fantômes angoissants, hantaient les lieux plus qu’ils n’y logeaient. Je restais le plus possible dehors. La maison des Gray était souvent déserte en fin d’après-midi, et après la classe, Billy et moi y traînassions  des heures durant. Où étaient les autres, Madame Gray et Kitty par exemple, où étaient-elles à ce moment-là ? Je revois Billy, dans son blazer  bleu marine de lycéen et sa chemise blanche pas nette, après qu’il avait retiré d’un geste brusque et négligent sa cravate pleine de taches, sa cravate de l’école, debout devant le réfrigérateur ouvert et fixant d’ un œil vitreux l’intérieur de l’appareil comme s’il regardait un truc captivant à la télé. Il y avait d’ailleurs dans le salon à l’étage est parfois un poste devant lequel on s’affalait, les mains enfoncées dans nos poches de pantalon, les pieds sur notre cartable, pour essayer de suivre les courses hippiques de l’après-midi qui se déroulaient de l’autre côté de la mer, dans des lieux aux sonorités exotiques, tels que Epsom, Chepstow ou Haydock Park. La réception était mauvaise et souvent nous ne  voyions que des  cavaliers fantômes,  voutés sur leurs montures  fantômes et fendant  aveuglément un blizzard d’interférences statiques.
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John Banville – La lumiere des étoiles mortes