Et quelquefois j’ai comme une grande idée – Ken Kesey

 

et quelquefois Etats-Unis – 1961

Les Stamper sont des bûcherons dans l’état de l’Oregon : Le père est blessé – une jambe et un bras dans le plâtre – alors le fils aîné Hank décide de rappeler son petit frère Leeland pour lui demander de venir travailler dans l’exploitation familiale. Les deux frères ne se sont pas vus depuis 16 ans. C’est le début d’une folie qui va durer quelques semaines à peine et où personne ne sortira indemne.

Hank veut briser la grève qui sévit dans la région et veut à tout prix honorer une grosse commande de bois que lui a fait une société en aval de la Wakonda River. Leeland, citadin en manque de repères, veut se venger (de son père ? de son frère ?). Viv, la femme de Hank, veut exister et se sentir utile. Les syndicalistes essaient de ramener Hank à la raison et de respecter la volonté des autres bûcherons de faire la grève….
Dès le départ, le ton est donné, le milieu est âpre et la vie dans cette contrée dominée par la nature ne fait pas de cadeaux : « Celui qui avait choisi l’endroit où suspendre ce bras au bout de sa perche avait tout fait pour donner à la scène le même air de défi à la fois comique et sinistre que la vieille maison ; celui qui s’était démené pour que le bras vienne osciller bien en vue depuis la route avait aussi pris la peine de replier tous les doigts avant de les attacher, tous sauf le majeur, de sorte que cette provocation à la raideur universelle demeure, dressée dans son mépris, bien reconnaissable par n’importe qui. »
Au terme de 892 pages très très denses (il y a de multiples narrateurs par chapitre et ce n’est pas toujours aisé de savoir qui parle), le lecteur comprendra ce passage énigmatique. Il aura aussi pris quelques bains glacés dans la Wakonda river, vibré pour Hank, Leeland, Joe ou Viv, cotoyé des gens simples et vrais…

Un vrai bonheur tant pour les personnages que pour l’histoire pleine de suspense….
En bref , un coup de coeur

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Deux extraits :

Joe était de si bonne humeur qu’elle surpassait même sa bonne humeur habituelle. Il avait échappé aux hostilités de la veille, étant monté se coucher sans rien savoir de la reprise de la guerre froide entre Hank et moi, et il avait passé une nuit pleine de rêves visionnaires de fraternité, tandis que sa chère famille se déchirait à l’étage du dessous, loin de son Utopie : un monde coloré plein de guirlandes et d’arbres de mai, d’oiseaux bleus et d’azalées, où l’homme est bon pour son prochain simplement parce que la vie est plus marrante ainsi. Pauvre imbécile de Joe, avec ta cervelle en Meccano et ton monde désordonné… On raconte que quand il était gosse, ses cousins avaient vidé sa chaussette de Noël et remplacé les cadeaux par du crottin de cheval. Joe avait jeté un œil au fond de la chaussette et s’était précipité vers la porte, les yeux brillants d’excitation. « Attends, Joe, où tu vas ? Il t’as apporté quoi le Père Noël ? ». Si l’on en croit l’histoire, Joe se serait arrêté dans l’entrée pour chercher une longe : « Il m’a apporté un joli petit poney, mais il s’est échappé. Si je me dépêche je pourrais le rattraper. »
Et depuis ce jour-là, on dirait bien que Joe a accepté tous les malheurs de l’existence comme des gages de bonne fortune, et toute la merde du monde comme un signe indiquant la présence de poneys Shetland à proximité immédiate, des étalons pur sang caracolant juste un peu plus loin. Si quelqu’un s’était avisé de lui montrer que le poney n’existait pas, ou n’avait même jamais existé, seulement une blague et de la merde, il aurait dit merci pour l’engrais et planté un potager. Si je m’avisais de lui dire que mon désir de l’accompagner à l’église n’avait pour seul motif que d’honorer mon rendez-vous avec Viv, il se serait réjoui de me voir consolider mes liens avec Hank en apprenant à mieux connaître sa femme. (Page 428)

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Allongé dans sa chambre, Lee espère qu’il ne va pas tomber malade. Les trois semaines qui viennent de s’écouler tourbillonnent au grand galop sous son crâne comme un manège de chevaux de bois. « La tête qui tourne, diagnostique-t-il, le facteur hasch ». Chaque mésaventure, chaque contusion, la moindre égratignure et la plus petite ampoule viennent caracoler devant ses yeux, toutes façonnées dans le moindre détail par la précision horlogère d’un sculpteur sur bois chevronné. Elles défilent devant lui tel un régiment de cavalerie ciselé. Allongé l’air rêveur au centre de ce dispositif tourbillonnant, il tente de décider quel étalon il enfourchera ce soir. Après quelques minutes d’examen scrupuleux, il choisit « Celui-ci, là » – une fière pouliche, flancs élancés, garrot bien dessiné, voluptueuse crinière dorée, à l’oreille dressée de laquelle il se penche pour murmurer : « Vraiment, tu aurais dû le voir…. comme une bête primitive brutal et beau à la fois ».
Et à l’autre bout du couloir, affalé sur une chaise en bois au dossier dur, débarrassé de sa chemise et de ses souliers, Hank respire bruyamment à travers un nez obstrué de caillots pendant que Viv tamponne ses blessures à l’aide d’un coton imbibé d’alcool. Il tressaille, sursaute et glousse à chaque passage du tampon froid, et les larmes coulent rouge sur ses joues. Viv rattrape les larmes mêlées de sang dans son coton.
(Page 493)

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La chanson qui donne le titre à ce livre, chantée par Eric Clapton :

Sometimes I lives in the country
Sometimes I lives in town
Sometimes I haves a great notion
To jump into the river an’ drown

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Quelquefois j’habite à la campagne
Quelquefois c’est en ville que je vis
Et quelquefois j’ai comme une grande idée
De me jeter dans la rivière aussi

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Challenge américain chez Noctenbule

CHALLENGEmoisamericain