Victor-Flandrin fut reçu par le marquis qui lui fit l’honneur de visiter son jardin, ses serres, son immense volière peuplée de chouettes effraies, et ses écuries. C’étaient en effet tout ce dont le marquis étaient le plus fier. Ses arbres centenaires écrasant de leurs ombres bleu nuit ou pourprées l’ombre grisâtre et dérisoire des visiteurs de passage ; ses fleurs exotiques aux pétales charnus comme des langues sucrées ; ses effraies au plumage aussi clair qu’étaient sombres leurs cris ; et par-dessus tout ses chevaux. Ceux-ci avaient le privilège de partager la lettre initiale du prénom de leur maître. Le marquis les présenta un à un à son hôte ; il y avait Amour-Acrostiche, Atlas-Ambassadeur, Abîme-Apostolique, Alarme-Arabesque et Absinthe-Abeille. Et ils étaient si fins, si élancés, que Victor-Flandrin en fut émerveillé. Tant de délicatesse en un animal le surprenait, lui qui n’avait jamais connu que les chevaux de trait et les boeufs de labour.
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Le livre des nuits – Sylvie Germain